Les briques sont les mêmes
Je suis un grand fan de Chris Ware. Bon je n'ai pas tout lu de lui, mais ce que j'ai pu lire (trois livres en plus de cette oeuvre-ci) m'a beaucoup plu. Le bougre est indéniablement talentueux. Bon je préfère son dessin plus jeté comme dans ses carnets, mais l'esthétique froide pour laquelle il opte lorsqu'il fait de la BD ne me laisse pas pour autant indifférent, je dirais même plus : j'apprécie son trait.
Le problème de Chris Ware, c'est qu'il raconte toujours la même chose. C'est une réalité qui pourra en ennuyer plus d'un. Habituellement, ça ne me gêne pas, d'un livre à l'autre il répète la même histoire avec d'autres personnages et même son jeu formel amuse même si ça se répète aussi malgré le changement de format. En revanche, ce Building Stories m'a pesé. J'étais d'accord pour relire la même histoire encore une fois, mais le fait de scinder son récit en 14 livres rend vraiment le tout.... superficiel. 14 livres qui se répètent. C'est dur.
Bon il y a quand même quelques livres qui sortent du lot, où la narration diffère légèrement. Le livre sur l'abeille par exemple est assez agréable à lire. Mais la plupart du temps, entamer une nouvelle histoire n'amène pas grand chose de plus.
Ce qui m'a manqué, par conséquent, c'est un vrai jeu de croisement entre les livres. Il y a bien quelques carrefours, mais ce sont des petites routes, or il aurait été plus intéressant de pousser cette structure complexe plus loin. D'ailleurs c'est bien simple, le synopsis est mensonger : on nous annonce trois histoires qui s'entrecroisent, sachez qu'en réalité, il s'agit plutôt de l'histoire d'UN personnage, et que l'auteur consacre sulement deux bouquins pour chacun des deux autres. C'est vraiment dommage. Et même, finalement, ce building est à peine exploité. Il y a quelques pages qui y font référence (avec ingéniosité, il faut l'admettre) mais elles sont si peu nombreuses et tellement superficielles par rapport à l'ensemble, que ça donne l'impression que l'auteur s'est forcé de les mettre pour justifier son concept...
Donc les histoires sont assez décevantes globalement, beaucoup trop de contemplation misérabiliste sans qu'aucun enjeux ni qu'aucune évolution (ou presque) ne viennent jamais dynamiser le propos.
Maintenant, attaquons la forme. Chris a toujours voulu exploiter la bande dessinée sous tous ses aspects. Peu importe le format, il en tirera parti à 100%. Encore que c'est un peu excessif de dire ça, puisqu'au final que ce soit au format horizontal ou vertical, il revient toujours avec le même principe de lecture (petites cases et grosses cases, inversion du sens de lecture, etc.). Ce qui ne choque pas ordinairement à raison d'un bouquin à la fois, choque à nouveau dans ce contexte des 14 livres mis l'un à côté de l'autre. On se rend vite compte que Chris ne fait plus qu'appliquer une recette du début en l'affinant à peine. Il reste tout de même une mise en page plus complexe (tout en conservant une lecture facile, assez paradoxalement), avouons-le aussi.
La question qui se pose réellement, au-delà de savoir s'il évolue dans sa manière de mettre en page, est : est ce que tout cet artifice formel est pertinent? Non. Pas du tout. Honnêtement, je ne vois pas l'intérêt d'avoir imprimé une histoire au format A2. Oui c'est beau, c'est marrant, c'est original... Mais au format A4, ça aurait raconté la même chose. Chris Ware change la forme à chaque bouquin sans que rien ne le justifie. Ou presque. Certains courts récits qui ne racontent pas grand chose et qui sont de nature circulaire, vont plutôt bien sur le format de strip à dérouler. Mais globalement, tous ces changements sont peu pertinents.
Par rapport au dessin, Chris a fait pas mal de progrès. Il est plus juste. Et en plus, au milieu de tout ce manièrisme, il est plaisant de voir qu'il laisse plus de place à l'erreur ; ses traits vont souvent trop loins, dépassent, etc. Il y a aussi un jeu curieux de la vignette, car au fil des pages il va laisser progressivement tomber le trait fermant cette vignette. Les cases ainsi ouvertes permettent une aération non négligeable, et ses récits, ses longs monologues s'en trouvent nettement plus faciles à lire.
Bref, Building Stories m'a déçu mais je ne regrette pour rien au monde mon achat. Cela faisait longtemps que je cherchais une BD utilisant ce procédé d'édition (une boîte remplie d'objets) (Alagbé a réalisé un projet similaire, j'aimerais bien me l'offrir un jour), et même si Chris Ware s'est un peu planté (cette diversité dans les formats et cette multiplication des récits n'apportent pas vraiment de conclusion tant chaque récit ne fait que répéter l'autre ; disons que Chris Ware échoue dans le sens ou chaque album ne se ressent pas vraiment comme un point de vue différent, nouveau, sur la vie de cette jeune fille), cela reste de qualité. iIsons que je pense que l'auteur a fait le tour, et que ses prochaines BD n'amèneront probablement plus rien, à moins d'une remise en question globale. Ce qui veut dire que, vu le prix de ses BD, je ne pense pas que j'achèterai ses prochaines, à moins d'une évolution majeure (ou que je devienne riche, très riche un jour et que je puisse m'autoriser des achats irrationnellement cher). Je recommande donc Building Stories pour son concept mais je préviens de suite que Chris Ware n'en fait rien de véritablement passionnant.