Building Stories par hannahkaah
"Building stories" est un chef d'œuvre.
Imposant et généreux par sa forme, on est tout d’abord un peu perplexe. Il y a trop de formats d’un coup (du petit livret au format A2 (assez inconfortable je dois dire) en passant par une sorte de plateau cartonné…). Bref, on ne sait pas vraiment par quoi commencer, de peur de rater quelque chose. Mais en fait pas du tout, car les livres finissent toujours par se répondre au fur et à mesure. Un élément qui semble sans importance dans un, se retrouve comme enjeu principal dans l'autre.
Le coffret s’organise autour d’un seul personnage : une femme, handicapée et mal dans sa peau. Sa vie est répartie sur les différents livres, si bien qu’on est propulsé dans son passé puis dans son futur (ou inversement, c’est en fonction de la lecture de chacun). D’autres personnages, ses voisins et une abeille (oui, une abeille.), gravitent autour d’elle et nous livrent leur histoire personnelle. (SPOILER : avoir le point de vue de l’immeuble était vraiment génial !)
Mais c’est surtout celle du personnage principale qui m’a plu. Chris Ware réussit brillamment son portrait. Il a su se glisser dans la peau de cette femme proche de la dépression. Elle nous confie ainsi ses pensées, ses doutes, ses inquiétudes etc. Elle est seule - surtout dans sa jeunesse- se trouve moche et grosse, se fait avoir par des connards et abandonne peu à peu ses rêves artistiques. Il ne lui reste rien. Les cases défilent.
L’auteur met d’ailleurs très bien en image ce vide, cette vie qui semble sans intérêt, par des cases muettes où il ne se passe pas grand-chose ou presque. Il en inonde les pages. Il représente paradoxalement le vide par le plein de la page.
On retrouve cette femme quelques livres plus loin, toujours aussi inquiète. Elle se cramponne alors à une vie de famille, et essaye de se convaincre qu’après tout, elle est heureuse car son mari « est le meilleur au monde ». Son unique fille devient alors sa vie.
Les passages qui racontent la relation fusionnelle qu’elle a avec son enfant sont vraiment bouleversants. Elle regarde sa fille jouer avec les autres, aller à son cours de danse et s’éloigner ainsi peu à peu d’elle… Ses ambitions et ses rêves de jeunesse lui reviennent alors mais malheureusement, c’est trop tard.
Cette BD est vraiment déprimante… Déjà avec « Jimmy Corrigan, the Smartest Kid on Earth » c’était insoutenable. Mais alors là…
Certains passages sont vraiment tristes (avec les chats notamment…). L’auteur additionne, sans se lasser, les situations pathétiques. Je ne dirais pas qu’il s’acharne sur ses personnages mais quand même on est pas loin.
Ils sont tous plus ou moins passés à coté de leur vie (on bat un record avec la vieille proprio). Ils s’en rendent évidemment compte mais ne font pas grand-chose pour changer. Ils continuent ce qu’ils ont à faire. Et nous, on continue de tourner les pages.
Les dessins sont superbes, la coloration aussi. C’est toujours un spectacle de tourner les pages. Vraiment, il n’y a rien à redire. La mise en page est parfaite. L’auteur a ce besoin compulsif de remplir le moindre coin blanc, si bien qu’on ne sait plus trop où regarder. J’avoue m’être plusieurs fois emmêlée les pinceaux, en loupant une flèche guidant le sens de lecture…
Les différents formats apportent tous quelques choses de différents à l'histoire. J’ai adoré les grands dessins sur les A2 (comme le sourire de la petite fille qui surgit quand on tourne la page). Les petits formats sont très agréables aussi (déjà, ils sont plus faciles à manier) et représentent peut-être mieux le temps qui passe et le vieillissement des personnages.
Cette œuvre est malheureusement chère, mais si vous avez l’occasion (et le temps !) de la lire, jetez-vous dessus!