Encore une fois, le Label 619 nous régale d'une pépite du comics indépendant américain.
Niveau scénario, Butcher Baker joue de



la décadence du mythe des superhéros



qui ont fait et font toujours recette au pays, et interroge avec cynisme les amertumes de l'homme sous la charge du costume, c'est intelligent tout en étant brut et percutant, violent, mais c'est graphiquement que l'ouvrage vient chambouler le genre et sublimer le récit tout entier. Entre



humour désabusé et charge violente et acerbe,



Butcher Baker est l'un des meilleurs et des plus beaux comics que j'ai eu la chance de lire ces dernières années.


Graphiquement, ça commence très fort avec des vues sur le torse puissant, les reliefs abdominaux, et la ceinture surarmée dudit Butcher Baker, superhéros outrancier sur la retraite mais encore en forme, jusqu'au stars and spangled moule-couilles venant mettre le paquet sur la virilité inébranlable du bonhomme.



Le temps où les petits chefs à la con comme ces deux-là bouffaient
les cacahouètes de mes étrons.



Niveau dialogue, rien à envier, et le scénario démarre aussi rapidement qu'il dérape en aventure déjantée, suicidaire épopée de testostérone et de nihilisme. Structure simple : le soldat est supposé anéantir définitivement ses anciens adversaires mutants et dégénérés enfermés depuis belle lurette dans une prison spéciale que le gouvernement ne souhaite plus avoir à subventionner, mais cinq de ces supers vilains réchappent de l'explosion et, revanchards, se lancent à la poursuite de leur bourreau, bientôt lâché par les autorités. Rien d'extraordinaire dans la trame si ce n'est que Joe Casey va au bout de chaque affrontement sanglant sans jamais éviter de souligner les dommages collatéraux ni les conséquences caractérielles qui viennent sans cesse nourrir la rage de ce personnage antipathique et misanthrope que rien d'autre n'intéresse que l' amoncellement des langueurs érotiques de sensuelles félines soumises. Le tout en devient



aussi déplacé qu'un brûlot vif contre les obsessions sécuritaires du capitalisme infiltré



et aussi percutant qu'un combat de boxe sur les rétines et jusqu'au coeur du système cérébral.



Nous ne sommes rien d'autre que nos contradictions.




Ou la schizophrénie sociétale ambigüe et dangereuse de la démocratie occidentale.



Tout le jeu splendide, tout l'art de Mike Huddleston est de venir illustrer avec magnificence les impacts et les dégénérescences autant que les fantasmes, les fausses échappées, du discours. L'art de réinventer le comics classique pour lui ouvrir une multitude de possibilités, d'angles, de visions : la palette graphique, bien plus que diversifiée, est riche, foisonnante sans jamais nuire au récit, bien au contraire elle vient nourrir l'imaginaire, transporter le lecteur sur l'angle et le point de vue souhaité,



mettre en lumière sous les contrastes les subversions du récit et du genre.



Aquarelle, feutre, crayon, le trait enlevé et l'incroyable dynamique libre du montage alternent les techniques et les atmosphère au gré des besoins narratifs, au gré des alternances de points de vue. Et vient sublimer l'omniprésence du trio bleu blanc rouge dans les méandres de ses ramifications les plus viles : haine, colère, rancoeur, suspicion, et violence brute, aveugle, mais consciente. Consciente de sa cruauté froide justifiée par des exigences abstraites nécessairement inhumaines.
En référence récurrente, on appréciera à sa juste valeur l'utilisation d'Alan Moore dans l'inspiration du vilain Jihad Jones, parleur impénitent et fervent mystique venant déclamer ses réflexions de damnations et d'apocalypse à chaque apparition, à chaque confrontation.



Litanies lancinantes et éveils de la pensée critique.



Coup de poing dans le monde du comics sacralisé, liberté démesurée de l'indépendance graphique autant que pamphlet assumé autour de la violence d'Etat et de l'idéologie sous-tendue dans les aventures mainstreams de superhéros, Butcher Baker trace à contre-courant des personnages crasseux et vils, ne s'attache qu'à l'humanité abandonnée, pour souligner magnifiquement les sillons sanglants que nous refusons d'abord de voir, et évidemment d'assumer, derrière les appareils démocratiques auxquels nous nous abandonnons nous-mêmes.



Nihilisme enfiévré,



le superhéros déchu y est la voix acerbe et amère du peuple nié, abandonné à sa propre survie tandis qu'il lui faut continuer de combattre d'un absurde patriotisme les dissidents qui refusent de se soumettre au joug de l'ordre, aussi cynique soit-il.


Butcher Baker, c'est la nouvelle génération underground qui vient balancer un violent uppercut nihiliste et amer, libertaire et indépendant, dans la boîte à merveilles du puritanisme silencieux et discret, d'une industrie devenue globalement plus lisse que dérangeante - plus commerciale qu'artistique.
Et ça cogne sec !

Créée

le 28 déc. 2017

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