Quiconque a déjà eu à négocier un passage un peu tendu niveau santé mentale se retrouvera dans l'histoire de Clara, cette jeune trentenaire qui peu à peu voit le monde qui l'entoure se vider de ses couleurs. Pourquoi, après tout ? Elle semble avoir tout ce qu'il faut, un boulot qui l'épanouit (autant qu'il l'épuise), une vie sociale active, des ami.e.s qui tiennent à elle. Oui mais voilà, parfois, ça ne s'explique pas. La joie de vivre s'en va et laisse place à un cortège d'émotions dont on se passerait bien : morosité, lassitude, mélancolie. Le fameux spleen des artistes torturés du 19e siècle. On pourrait les imiter, ne plus s'habiller qu'en noir et deviser avec une clique d'intellectuels parisiens sur la médiocrité du monde en s'enfilant de l'absinthe à même le goulot. Mais c'est un peu passé de mode.


Mirion Malle illustre avec beaucoup de justesse la manière dont le rapport aux autres est parasité, voire empoisonné, par cette maladie qui nous coupe du monde. Il y a ceux qui ne comprennent pas, ceux qui sont trop occupés par leur propre nombril, ceux qui nous en veulent (plus ou moins consciemment) de ne pas aller bien, ceux pour qui tout pourrait être résolu par une bonne balade en forêt, etc. Il faut dire que la dépression est un mal bien nébuleux, poursuivant avec ténacité son travail de sape tout en se rendant invisible de l'extérieur. L'auteure décline l'éventail des réactions possibles sans pour autant porter de jugements sur ceux qui n'ont pas les bonnes, car ils n'ont pas forcément de mauvaises intentions. De plus en plus, Clara refuse les invitations, les déjeuners, les soirées, sans que son entourage ne puisse forcément sentir ce qui se cache derrière. Et pour ceux qui comprennent de quoi il en retourne réellement... ça ne veut pas dire pour autant qu'ils savent quoi faire de leur inquiétude. C'est difficile, d'aider quelqu'un qui ne va pas bien. On ne sait que dire, que faire, comment ne pas être maladroit. Alors que la réponse est toute simple, finalement : il suffit d'être là.


Difficile aussi pour la personne concernée d'accepter de se faire aider. On peut être tenté.e de faire comme si tout allait bien, alors qu'on a mal à en hurler. Car en avouant aux autres qu'on ne va pas bien, on se l'avoue aussi et surtout à soi. Alors qu'on peut plutôt continuer à enfoncer la tête dans le sable, voire soigner les blessures des autres pour ne pas avoir à affronter les siennes. C'est très bien montré dans la BD, et je m'y suis énormément retrouvée : on se rassure en prenant le rôle de celle qui écoute, celle qui conseille, celle qui a toujours une petite phrase pleine de sagesse sur la bonne attitude à adopter. Tout pour ne pas admettre que, pendant ce temps, on est en train de s'effondrer.


L'auteure évoque également la difficulté d'accéder à des soins. L'histoire se déroule au Québec, où le système de santé est un peu différent, mais finalement le problème est plus ou moins le même en France : les consultations privées, coûteuses, sont mal remboursées et les établissements publics déroulent souvent une liste d'attente de plusieurs mois... délicat quand on a besoin d'aide immédiate. Sans parler du fait qu'il faut être bien chanceux pour tomber sur une personne qui nous convienne du premier coup ! Eh oui, en matière de santé mentale, on se met pas forcément à nu devant le premier venu... Bref, une démarche qui demande énormément de ressources et d'énergie, à un moment où, justement, c'est précisément ce qui fait défaut.


Un récit que je recommande donc amplement : sincère, honnête, sans tentative d'édulcorer les réalités de la dépression. L'éventualité du suicide est évoquée à plusieurs reprises et il faut savoir, en effet, que ça peut se terminer comme ça. Malgré tout, il y a de l'espoir. Et c'est joliment montré aussi.

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le 19 févr. 2020

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