Ce tome est le deuxième dans la trilogie consacrée à Wormwood. Il fait suite à Gentleman zombie qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. Il comprend les épisodes 5 à 7, ainsi que le numéro spécial "Segue to destruction", initialement parus en 2007, écrits, dessinés et mis en couleurs par Ben Templesmith.


Le lecteur retrouve Wormwood, une entité extradimensionnelle en forme de ver de terre, habitant un cadavre humain, disposant de pouvoirs magiques à l'étendue des plus floues. Il a la répartie sarcastique et facile. Il est toujours accompagné de Monsieur Pendulum (un robot qu'il a créé et qui ne boit pas) et de Phoebe Phoenix, une jeune femme avec des capacités pyrotechniques (également assez floues). Ces 3 individus fréquentent toujours The dark Alley, le bar de Madame Medusa, une jeune femme responsable de la gestion d'un nexus de portes vers d'autres dimensions (pas toutes accueillantes).


Alors que l'histoire commence, une armée de César s'apprête à engager le combat, Wormwood habite le corps d'un des soldats. Puis une armée de croisées s'apprête à donner l'assaut ; Wormwood habite le corps d'un des croisés. Il en va de même pour une armée anglaise, puis pour une autre. Wormwood explique à Phoebe Phoenix que chaque fois qu'il se rend à un spectacle de combat physique, il ressent de telles remémorations. Ils font la queue, avec Monsieur Pendulum, pour entrer dans un établissement où se déroulent des combats de Leprechauns.


Comme la dernière fois qu'il s'est rendu en spectateur à des combats, ça dégénère, ici parce que l'un d'entre eux souhaite exprimer ses sentiments (ou pulsions) amoureux à Monsieur Pendulum. Le pire est qu'en intervenant, Wormwood se fait mordre par l'un d'eux. Le médecin est formel : seule la reine des Leprechauns peut lever la malédiction sous le coup de laquelle est tombé Wormwood. Il change donc de corps, se rend à The dark Alley, et fait le voyage en Leprechaunie, avec Monsieur Pendulum et Phoebe Phoenix.


Ben Templesmith est un artiste hors norme, qui a co-créé 30 jours de nuit avec Steve Niles. Si le lecteur a déjà lu le premier tome de Wormwood, il sait à quoi s'attendre. Sinon il découvre atterré une bande dessiné qui accumule toutes les tares. Le cadrage des 4 premières pages fait illusion, mais passé la scène avec les armées, il faut se rendre à l'évidence : les décors sont en option. Au mieux ils sont vraiment simpliste, esquissé d'un trait maladroit, au pire ils sont remplacés par des camaïeux fort jolis mais vide de tout élément concret. Ensuite l'artiste massacre les proportions du corps humain, du début jusqu'à la fin de la tête aux pieds, en passant par les épaules. Les visages sont disgracieux, Wormwood a les lèvres retroussées du début jusqu'à la fin. On peut encore mettre à charge de ce récit, la vulgarité des Leprechauns, et le caractère générique des individus croisés avec des calmars. Pourtant c'est une lecture irrésistible du début jusqu'à la fin.


Les 5 pages d'ouverture avec les différentes armées montrent des costumes qui permettent de situer approximativement l'époque. La répétition des comportements montrent une constante peu reluisante dans la condition humaine : la propension à vouloir exterminer son prochain, à se protéger en tuant l'autre. Les remarques de Wormwood rappellent à quel point il est sarcastique et caustique. Les jolis camaïeux orange transcrivent de manière expressionniste l'ardeur guerrière de ces soldats. Le lecteur en ressort à la fois avec le sourire et une petite amertume devant la constance de cette agressivité.


Dans la file d'attente, le lecteur se retrouve en compagnie de vieux potes, avec une touche de cynisme et d'autodérision, une forme de chaleur humaine cassante, très confortable. L'apparence de Monsieur Pendulum est toujours aussi immuable qu'improbable : crâne rasé, grande barbe blanche complétée avec une moustache et des lunettes noires. Phoebe Phoenix arbore de jolis tatouages. La tête de Wormwood est impossible : lèvres rétractées découvrant toute la dentition dessinée sans aucun réalisme, sans que personne autour de lui ne semble le remarquer, absence de globe oculaire, pentagramme gravé sur le front, ver de terre dans l'orbite droite, costard impeccable, et clope au bec. Mais la palme revient haut la main aux Leprechauns (avec une mention spéciale pour leur reine).


À nouveau, les Leprechauns semblent avoir été dessinés par un individu en train de griffonner à la va-vite, avec un stylo bille (à pointe fine quand même), et des notions quasi inexistantes d'anatomie (en fait juste ce qu'il faut pour être sûr de massacrer les règles basiques du bon goût). À ce niveau, inutile d'insister sur le degré zéro de l'intégration de tentacules sur la morphologie humaine. Le récit baigne dans une autodérision irrésistible, avec la sensation persistante que Wormwood conserve une forme d'espoir irraisonné que tout peut bien se finir.


En guise d'intrigue, Ben Templesmith se cale sur le modèle de Steve Niles : le plus simple possible et le plus linéaire possible. Wormwood est donc sous le coup d'un sort létal qu'il ne peut lever qu'avec l'aide de cette reine des Leprechauns. Il se rend en Leprechaunie (encore cette dérision omniprésente avec ce nom idiot) et rencontre ladite reine, seul imprévu ces gugusses mâtinés de calmars, avec des tentacules. Autant dire que cette intrigue tient sur un timbre-poste. Pourtant le lecteur ne décroche pas de ces péripéties improbables, grotesques (il faut voir la reine et son comportement pour y croire), absurdes, crétines (le rite d'accueil dans le village des Leprechauns), et la moquerie attentionnée de Wormwood. Non, ce n'est pas parce que Templesmith rajoute un arc-en-ciel en Leprechaunie que les paysages deviennent mignons.


Le constat reste donc le même du début à la fin : les décors sont les parents pauvres du récit. Globalement, l'artiste met en scène sans rechigner sur les effets spéciaux, les changements d'angle de prise de vue et les cadrages, les individus bizarres, mais les décors coûtaient trop chers. Évidemment, le lecteur finit par se demander si Ben Templesmith sait dessiner normalement, s'il maîtrise l'anatomie, la perspective, et d'autres compétences basiques pour un dessinateur. Pourtant le lecteur ressent l'immersion qui accompagne un récit visuellement prenant. Il y a donc ces effets spéciaux de couleurs qui installent une atmosphère spécifique pour chaque endroit ou séquence. Il y a un jeu d'acteurs plutôt en retenu, émotionnellement juste, contrebalançant l'apparence outrée.


Il y a également un sens du rythme de du comique qui fait mouche. Si l'intrigue est simple et linéaire, elle existe, et elle connaît une résolution en bonne et due forme. Le fait que Ben Templesmith soit le créateur unique du récit garantit à ce dernier une cohérence narrative très forte. Les Leprechauns ont une apparence parodique et exagérée, qui va de pair avec un comportement parodique et exagéré, et un mode d'expression parodique et exagéré. La dérision omniprésente s'exprime aussi par le dessin. L'auteur installe une forme de manque de confiance en lui chez Monsieur Pendulum du fait que Wormwood ne l'a pas doté d'organe sexuel. Wormwood compense en lui offrant un énorme 4*4, de type Monstertruck. Ce dernier est dessiné avec exagération, sous forme esquissée, avec des roues démesurées, soulevant des nuages de poussières, une hauteur d'habitacle impraticable, et bien sûr une paire de dés recouverts de moumoute (accessoire indispensable).


Lorsque les Leprechauns montrent leurs attributs sexuels (si, si, il y a un motif compréhensible à cette coutume), l'artiste aurait pu se contenter d'une esquisse grossière, raccord avec le reste des dessins. Il préfère adopter un outil de censure pour encore ajouter à la dérision et l'absurdité, avec un résultat convaincant. Bien sûr les anthropoïdes à tentacules sont idiots, mais Templesmith prend soin de les rendre inquiétants dans leur armure, avec une fusion entre chair et tentacule très bien réalisée. Les expressions des visages des protagonistes transcrivent avec conviction leur état d'esprit, avec une pointe d'exagération, mais sans en rajouter. Au final, le mode de représentation si particulier (un peu je-m'en-foutiste) amalgame parfaitement le caractère improbable de ce qui est représenté, sa dimension absurde, l'autodérision, les effets spéciaux, et le caractère des personnages.


Une fois le sourire apparu sur son visage, il ne quitte plus le lecteur qui prend un grand plaisir à suivre ce ver de terre sûr de lui qui encaisse sans coup férir, qui a souvent un coup d'avance, et qui compte sur ses compagnons d'infortune. Derrière une apparence relevant de l'imposture, les dessins réalisent une narration impeccable qui ne se prend pas au sérieux, mais qui comporte ses moments féeriques, et à haute teneur comique.

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le 14 mars 2020

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