Ce tome fait suite à Caroline Baldwin, tomes 9 : Rendez-vous à Katmandou (2003) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant. La première édition date de 2004 et il est repris dans Caroline Baldwin Intégrale T3: Volumes 9 à 12. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs a été réalisée par Bruno Wesel.
Caroline Baldwin est revenue s'installer au Canada, ayant loué un chalet en montagne avec Roxane Leduc. Elle refuse de retourner travailler aux États-Unis tant que l'administration Preston est au pouvoir. Roxane lui indique qu'elle a besoin d'une bouteille de blanc pour préparer la fondue. Caroline Baldwin se dévoue pour descendre au village à pied. En marchant en bordure de route, elle est poussée par une Ferrari qui descend à toute vitesse. Elle se retrouve sans conscience quelques mètres en contrebas. Une autre voiture passe par là et la conductrice s'arrête. Ellen aide Caroline Baldwin à se remettre sur pied et l'emmène à l'hôpital le plus proche car elle a le pied cassé. Le soir-même Caroline est de retour au chalet, avec le pied gauche dans le plâtre. Roxane y inscrit un petit mot : amputer en suivant les pointillés. Elle ajoute qu'elle est allée acheter la bouteille de vin elle-même.
Quelques jours plus tard, Caroline Baldwin se rend à un rendez-vous chez son médecin le docteur Gagnon, pour le suivi de son traitement pour sa séropositivité. Le médecin lui propose de bénéficier du programme Carver, c'est-à-dire tester un vaccin thérapeutique contre le SIDA mis au point par une équipe française. Une de ses patientes ayant débuté l'expérience il y a un mois, a été renversée par un chauffeur. Le docteur Gagnon lui propose de prendre sa place dans le programme Carver. Caroline Baldwin accepte. Elle va s'installer quelques temps dans un pavillon situé à Sainte-Anne-des-Lacs, qu'elle garde pour son propriétaire René. Il lui indique qu'elle a déjà reçu une lettre, et il lui fait les recommandations d'usage sur l'eau, le gaz, l'électricité, la voirie. Une fois seule, elle ouvre le courrier : il s'agit d'une lettre de Gary Scot. Le lendemain elle se rend à Montréal pour son premier rendez-vous pour le programme Carver. Elle fit la connaissance d'un autre patient dans la salle d'attente : Gilles Cartier.
Après la Thaïlande, le Laos et le Tibet, Caroline Baldwin est de retour dans son pays natal : le Canada, et plus précisément au Québec. Le lecteur européen peut trouver que cette destination touristique est moins exotique, mais André Taymans y investit le même sérieux que pour les autres. Une fois encore, il est perceptible qu'il y a séjourné et qu'il rend compte de son expérience personnelle, d'une découverte de la région qui ne se cantonne pas à un catalogue basique des sites touristiques les plus fréquentés. Il situe son action pour une petite partie à Montréal (les visites chez le médecin) et pour la majeure partie à Saint-Anne-des-lacs, une municipalité régionale du comté des Pays-d'en-Haut dans la région des Laurentides. En fait dès la première séquence, le lecteur prend une bouffée d'air pur, avec ce paysage de montagne en été, la belle pente herbue, la forêt de sapin, les rochers, et les montagnes à la cime enneigée dans le lointain. Comme à son habitude, l'artiste sait transcrire les sensations : le plaisir du grand air, l'isolement, la tranquillité de marcher dans la nature, les oiseaux volant haut dans le ciel, les nuages se déplaçant paisiblement, l'irruption brutale d'une voiture. Le lecteur a également un aperçu du chalet de Roxane et Caroline en vue extérieure avec une architecture authentique et un bref aperçu de l'intérieur tout en bois.
Le lecteur accompagne ensuite Caroline Baldwin dans le cabinet du docteur Gagnon où il peut voir son bureau, sa lampe de travail, son armoire à tiroir pour ranger ses dossiers, son fauteuil, sa corbeille à papier, son calendrier mural, son ordinateur portable, la vue depuis sa fenêtre, sans oublier la chaise visiteur, Caroline et lui-même, tout ça en une case à la lisibilité immédiate. Un peu plus tard, Caroline Baldwin est dans la cuisine du pavillon de René, et le lecteur observe le plan de travail en U, les plaques de la cuisinière électrique, l'évier, le four à micro-onde, la cafetière électrique, les placards au mur et les objets de décoration posés dessus, les étagères et leurs bocaux, à nouveau en une seule case. Ce niveau de détail fait que chaque endroit est singulier et différent : l'aménagement de la maison de Gilles Cartier est différent de celui de la maison de la deuxième victime. Du coup, la fouille effectuée par l'inspecteur de police dans l'une et dans l'autre présente des particularités. En y repensant, le lecteur se rend également compte que l'auteur a su composer son récit de manière à faire régulièrement voyager le lecteur d'un endroit à un autre : le chalet en montagne, Montréal, Sainte-Anne-des-Lacs, une rive de la rivière Gatineau à Hull (Québec), Dunham (comté de Brome-Missisquoi). Le Québec est encore évoqué par d'autres particularités de cette province : un ou deux mots de vocabulaire (Char pour Voiture) mais sans en abuser, un repas dans une cabane à sucre avec dégustation de la tire du sirop d'érable, le passage sur un pont couvert avec son toit à deux versants (structure de type Town), éléments qui sont intégrés de manière organique à la narration.
Dans l'introduction de la réédition de 2017, Anne Matheys indique qu'André Taymans souhaitait mettre plus en avant la séropositivité de son héroïne, ce qu'il fait au travers d'une enquête liée à des patients séropositifs. Par la force des choses le genre Enquête policière, nécessite de pouvoir exposer des quantités significatives d'information. Effectivement plusieurs personnages expliquent le temps d'une page ou deux : le docteur Gagnon en planche 7, Caroline et l'inspecteur lors d'une longue discussion en planches 24 & 25, Caroline Baldwin et d'autres personnages le long de 5 planches (35 à 39). Par rapport à de précédents épisodes, ces discussions se présentent de manière plus naturelle : il est normal que le docteur explique le nouveau traitement à Caroline, il est indispensable que l'inspecteur et Caroline échangent des informations sur ce qu'ils savent, certaines affaires se traitent naturellement en conversation en face à face ou au téléphone. Il ne s'agit pas d'un personnage qui se tient devant plusieurs autres pour tout expliquer de manière magistrale. En outre, il ne s'agit pas de l'unique forme de narration : régulièrement André Taymans réalise également des planches muettes dans lesquelles le lecteur regarde évoluer le ou les personnages. Cela commence avec la chute de Caroline Baldwin (planche 2), la lecture de la lettre de Gary Scott (planche 18), le retour la maison louée par Baldwin (planche 30), la fouille de la maison de Gilles Cartier (planches 32 à 34) avec très peu de phylactères. Les séquences muettes ne se limitent donc pas à des scènes d'action : il peut s'agit aussi d'un moment fortement chargé en émotion (la lecture de la lettre) ou d'une phase de l'enquête (la fouille). Le bédéaste sait aussi utiliser les bulles de pensée à bon escient : il y en a dans 7 pages, une ou deux à chaque fois, s'intégrant de manière organique, sans paraître être un outil narratif infantile.
Le scénariste a imaginé une série de meurtres avec un mobile original, facile à comprendre et plausible. Le lecteur relève les différentes informations au fur et à mesure, découvrant le système en même temps que Caroline Baldwin qui n'est pas omnisciente et qui accepte l'aide d'autres personnes pour pouvoir progresser. Il sait également faire transparaître la personnalité de chaque protagoniste. Caroline Baldwin reste une femme indépendante, prête à prendre des risques, dragueuse mais plus réfléchie qu'au début de la série, et appréciant toujours l'alcool. L'inspecteur de police est bougon et réfractaire à l'idée de laisser Caroline Baldwin s'immiscer dans son enquête, tout en étant capable de constater ce qu'elle peut apporter, et donc évoluer dans sa manière de faire. Les criminels sont motivés par l'appât du gain, et le tueur ne fait que son métier. Le lecteur apprécie de retrouver la bonne humeur de Roxane Leduc (une autre héroïne de Taymans) le temps de 3 pages. Il se demande qui est cette mystérieuse Ellen qui vient en aide à Caroline Baldwin dans le fossé. L'introduction de la réédition permet d'apprendre qu'il s'agit de l'héroïne d'une série de BD réalisée par Benoît Roels, et que la même scène apparaît dans Bleu lézard, tome 6 : L'Appât (2004), cette fois-ci du point de vue d'Ellen, avec certainement l'explication relative au chauffard. Enfin les informations sur la séropositivité relèvent à la fois de la vie de tous les jours (Caroline tançant l'inspecteur sur sa crainte parce qu'elle a touché son verre) et de la question médicale avec le docteur Gagnon, sans se transformer en une leçon de morale, ni en cours médical.
Avec ce dixième tome, André Taymans montre que cette série se prête à différents types de récit, tout en conservant ses caractéristiques principales : Caroline Baldwin, une enquête, une dimension touristique. Ici, l'héroïne commence à être plus réfléchie et sa relation avec la police se fait naturellement. L'enquête repose sur un motif plausible et simple, très convaincant. La dimension touristique semble plus banale (des endroits ordinaires du Québec), tout en étant parfaitement intégrée au récit, au point de pouvoir en devenir invisible, et pourtant André Taymans ne se contente jamais d'endroits génériques sans identité.