Que j'aimerais être plus vieille d'une semaine.

Ce tome fait suite à Caroline Baldwin, Tome 13 : La Nuit du grand marcheur (2007) qu'il n'est pas nécessaire d'avoir lu avant. La première édition date de 2010 et il est repris dans Caroline Baldwin Intégrale T4: Volumes 13 à 16. Il a été réalisé par André Taymans pour le scénario, les dessins et l'encrage. La mise en couleurs a été réalisée par Thierry Wesel. Cette aventure comprend 44 planches.


Quelque part sur une pente enherbée, non loin de l'Everest, Caroline Baldwin est en train de faire le point avec Max qui consulte une carte, pendant que le sherpa et le porteur attendent les instructions. Max estime qu'ils devraient bientôt rejoindre l'autre groupe, sous réserve de ne pas être pris comme cible par des tireurs népalais. Un mois plutôt, Caroline Baldwin retrouvait Roxane Leduc au pied de la fontaine Bethesda dans Central Park. Baldwin a enfin pu revenir aux États-Unis, du fait de l'alternance politique à la tête de l'état, avec l'arrivée de la présidente Kristin Wallace. Roxane propose qu'elles aillent prendre un verre chez Allan, un barman de leur connaissance qui s'est installé à New York. Une fois sur place, elles entament une partie de billard, puis vont s'asseoir pour siroter un bourbon. Roxane Leduc finit par expliquer ce qui la travaille à son amie : elle milite pour le Tibet libérée du joug chinois, et elle a décidé d'accompagner une expédition qui va essayer de planter un drapeau tibétain au sommet de l'Everest, le jour où la flamme olympique doit y arriver.


Caroline Baldwin tente de décourager sa copine, mais sans succès. Roxane lui remet une enveloppe avec le parcours qu'elle compte suivre, au cas où il lui arriverait malheur. Dix jours plus tard, Caroline Baldwin se fait accompagner par l'inspecteur de police Philips pour se rendre à rendez-vous dans la chambre 112 d'un motel, fixé par un individu qui en sait long sur elle. Elle monte seule dans la chambre, Philips lui ayant remis un revolver avant. Elle est accueillie par Max, un agent de la CIA qui lui explique qu'il est essentiel d'intercepter Roxane Leduc et ses compagnons avant qu'ils ne réussissent dans leur projet de protestation parce que ledit groupe a été infiltré par un mercenaire à la solde d'un puissant lobby industriel prochinois qui doit tout faire pour que le projet n'aboutisse pas. L'agent indique que le tueur n'hésitera pas à apporter une solution définitive et mortelle. Caroline Baldwin n'accepte de communiquer l'itinéraire de son amie que sous réserve de faire partie de l'expédition de sauvetage. En vol, Max présente les autres membres du groupe de Roxane : Ted Chirabia, Chris Bourbon, Ben Jabot, John Erwin, Andrew Roberts. L'un d'entre eux est le tueur potentiel.


Ce n'est pas la première fois que Caroline Baldwin s'aventure au Népal : elle avait y avait déjà séjourné dans Caroline Baldwin, tomes 9 : Rendez-vous à Katmandou (2003). Cette fois-ci, elle n'est plus en fuite, suite à une histoire d'espionnage qui a mal tourné : elle y va pour aider une copine. André Taymans ouvre son récit avec ce qu'il sait faire de mieux : rendre compte d'un paysage, avec l'émotion associée. Il sait rendre intéressants un tas de cailloux et de sommets enneigés, semblables à beaucoup d'autres. Il dessine d'après ses propres expériences de montagne, y compris dans cette région du monde. Le lecteur se rend compte qu'il peut se projeter aux côtés des personnages, et imaginer se trouver à cet endroit. Il voit leur tenue adaptée au climat : chaussures de marche, pantalon de grande randonnée, blouson protégeant du vent et du froid, lunettes adaptées à la haute montagne, avec les petites protections sur le côté. Il regarde autour de lui : les formations rocheuses, le chemin de terre, l'herbe rase. De la planche 18 à la planche 44, il suit en alternance l'expédition du groupe de Caroline Baldwin, et celle de Roxane Leduc. L'artiste se montre aussi bon metteur en scène que descripteur.


Le lecteur ne s'ennuie pas un seul instant à regarder les paysages : lac encaissé dont on devine que l'eau doit être bien froide, sensation d'isolement total, effort à la montée qui fait qu'on enlève son blouson pendant l'effort, descente prudente alors que les cailloux roulent, lambeaux de nuage, murets de pierre, grandes étendues qui semblent interminables, vue imprenable à chaque franchissement de col ou de sommet, vallées encaissées, déséquilibre provoqué par la combinaison de la fatigue et d'une pierre qui roule, ambiance lumineuse unique, augmentation progressive des parties enneigées. L'intensité de l'immersion augmente progressivement et discrètement : l'évolution du terrain et sa variété n'apparaît que dans les images, sans qu'aucun personnage n'attire l'attention dessus en commentant une caractéristique ou une autre. André Taymans raconte la randonnée presqu'incidemment par rapport à l'intrigue. Le lecteur peut ne prêter aucune attention consciente à ces éléments, par exemple le fait que les personnages sont habillés de plus en plus chaudement, mais cela participe de manière subliminale à l'intrigue. Même s'il n'y fait pas consciemment attention, l'esprit du lecteur intègre le fait que les conditions de randonnée se durcissent au fil des pages.


Du fait du nombre de pages consacrées à la randonnée, André Taymans ne montre que quelques autres paysages. Il reproduit avec fidélité la fontaine Bethesda dessinée par Emma Stebbins en 1868 et inaugurée en 1873. Il retranscrit bien également la sensation d'espace ouvert quand le touriste la découvre en contrebas dans Central Park. Le nouveau bar d'Allan est accueillant avec ses fauteuils profonds et confortables, et agréable car pas bondé à cette heure de la journée. Le rendez-vous au motel permet de retrouver l'architecture typique de ce genre d'établissement : deux étages, l'accès aux chambres par un escalier extérieur qui donne sur une partie commune à l'air libre qui dessert les chambres. En décalage avec le mobilier bon marché, ainsi que l'aménagement strictement fonctionnel. Enfin le lecteur passe quatre pages avec Caroline Baldwin dans une petite ville du Népal, à la fois à marcher dans les rues, à la fois chez l'habitant et à l'hôtel, pour recruter des sherpas. À nouveau, il peut constater que l'artiste représente les rues, les façades et le quartier en prêtant attention à l'urbanisme local, à l'opposé d'un décor générique vaguement exotique, déconnecté de toute réalité.


Le titre annonce un album politiquement engagé. Planche 4, Roxane Leduc parle du joug chinois qui père sur le Tibet, mais sans détailler la nature de ce joug, la gestion politique du Tibet par la Chine, et les méthodes utilisées pour faire régner l'ordre. Planche 8 & 9, l'agent Max évoque les intérêts économiques de certaines entreprises, ainsi que la politique extérieure de la nouvelle présidente des États-Unis, mais sans non plus approfondir la question. Planche 21, quelques traits représentent une patrouille militaire chinoise, six silhouettes très vagues de 3 millimètres de haut au fond d'une case. Enfin planche 40, il est question de l'ethnie Khamba d'un des porteurs. Avec un tel titre tel que celui de Free Tibet, le lecteur s'attendait à ce que l'auteur se livre à une prise de position plus développée, plus étayée. De ce point de vue-là, il en est pour ses frais : l'histoire ne se transforme pas en tribune de dénonciation de l'oppression d'un peuple, et aucun nom n'est donné, ni aucune date. Le scénariste s'en tient à son intrigue : démasquer et neutraliser le tueur dans l'équipe de Roxane, avant qu'il ne puisse frapper. Du coup, les quatre dernières pages tombent un peu à plat en développant le sort d'un personnage qui n'a pas été développé, qui se bat pour une cause qui n'est pas incarnée, qui effectue un geste que l'auteur veut lourd de sens, mais dont la portée émotionnelle en devient très faible, voire inexistante.


L'horizon d'attente du lecteur comprend également une enquête de type policière, ainsi que de côtoyer Caroline Baldwin. Le scénariste construit son récit sur le principe d'une course–poursuite se déroulant à vitesse réduite : à pied, en marchant, avec un fort dénivelé. Le lecteur accorde peu d'importance au fait de découvrir si Caroline Baldwin et Max rattraperont Roxane Leduc et son groupe avant qu'ils ne mettent leur plan à exécution ou après. En effet, Taymans présente bien les 5 autres membres du groupe dans la planche 10, avec leur nom et leur métier. Mais finalement ils ne disposent que d'un seul trait de personnalité au cours de l'expédition, et ils n'évoquent ni leur passé, ni leur motivation : ce n'est pas un polar psychologique. Le lecteur se rend également compte qu'il n'attache pas beaucoup d'importance à savoir qui est le traître, ce qui diminue d'autant l'intérêt de la scène d'explication en deux pages, même si les paysages restent magnifiques en arrière-plan.


Le titre de ce quatorzième album sonne comme un cri politique, une exhortation à l'indignation et à l'action. Le lecteur découvre une enquête de type policière qui prend la forme d'une expédition pour accéder à l'Everest, par deux groupes distincts, l'un poursuivant l'autre, au rythme de la marche ascensionnelle. Finalement, l'atteinte de l'objectif des manifestants devient vite secondaire, ainsi que l'identité de mercenaire. Il reste par contre une randonnée extraordinaire sur le toit du monde.

Presence
7
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le 24 juin 2020

Critique lue 52 fois

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