Tout est dans le titre de cet album : après ce qu’a vécu Luz, il faut essayer de survivre. Ne pas abandonner son métier, ne pas tout lâcher. Les autres pourraient-ils seulement comprendre ? S’exprimer librement, dire, raconter, crayonner, pour tenter de faire passer ce qui ne passe pas, ce qui ne devrait pas pouvoir passer.
L’album est sobre, comme sa couverture, mais libre, comme Charlie. Et Luz se met à nu, au propre comme au figuré. D’emblée, il affirme que le dessin l’a quitté, le même jour que ses potes de Charlie, avant de revenir plus tard, lui permettant, si c’est possible, de s’apaiser un peu. A la lecture de l’album, on aimerait volontiers le croire.
Les rêves, ou plutôt les cauchemars, qu’on imagine, la culpabilité d’être encore en vie, la difficulté d’aimer, ou de faire l’amour, et en même temps, le besoin d’amour et de sexe, pour se libérer pleinement de tout ce qui enferme. La fin de l’insouciance, l’impossibilité d’oublier, la tristesse qui remonte, la peur, la paranoïa, l’angoisse, cette douleur qui te prend au corps et dont tu sais bien qu’elle ne te quittera jamais plus, tout cela, Luz le raconte très bien. Mais par ce biais, il prend du recul, analyse froidement tout ce qui survient et se donne ainsi, si c’est possible, des moyens pour tenter d’adoucir l’épreuve, d’accroître ses chances de pouvoir la surmonter.
Luz n’a pas perdu le sens de l’humour : le sel de la vie est là, sous la forme de la merde du pigeon qui avait envie de chier, et qui s’exécuta sur le président, cette légèreté du destin. Malgré ces éclaircies, la situation reste sombre, et Luz de croquer ses gardes du corps qui ne le lâchent pas d’un pouce, rappel permanent du passé et d’un possible nouveau drame, ces hommes qui le suivent partout, aux chiottes, au lit… Le salut, si j’ose dire, passe impérativement par cet humour qui est capable de mettre à distance le drame, comme avec ces pages où il évoque une théorie du complot selon laquelle les attentats de janvier seraient un complot, un complot juif de surcroît ce qui, forcément agace les frères Kouachi, et finit par décourager un extra terrestre : « Laissez tomber l’invasion, ils sont trop cons sur cette planète ».
Il s’attaque aussi à ceux qui sont obsédés par les représentations de Mahomet, quitte à le voir là où il n’est pas, même dans une tache. Indirectement, il est question de l’autocensure : comment ne pas se poser la question de comment va être reçu son dessin, comment quelque part ne pas être contraint d’amoindrir sa liberté face aux multiples interprétations, y compris les plus idiotes, qu’on ne manquera pas de faire sur son dessin ? Peut-il seulement continuer de dessiner Mahomet, comme avant ? Je vais plus loin que ces quelques dessins, mais il est évident que beaucoup de questions se posent, pour Luz et tous les autres caricaturistes.
L’ensemble des récits proposés est inégal mais touchant, forcément. Tout est pardonné, Luz. D’autres ont raconté l’impossible, avant de céder à la tentation d’en finir. Je sais qu’on te met la pression, de tous les côtés. Je sais que ça va être encore plus dur. Je te souhaite bon courage, mon gars, fais ce que tu peux, on te pardonnera tout.