Le 7 janvier 2015, Luz, bien connu pour ses talents de dessinateurs et son travail à Charlie Hebdo, fête ses 43 ans. Son épouse, Camille Delalande lui souhaite un joyeux anniversaire au lit, ce qui le fait partir en retard. Arrivé devant les bureaux de Charlie Hebdo, il croise des terroristes qui sortent des locaux. Le drame s'impose alors dans sa vie et le syndrome du survivant se fait sentir plus que jamais.
Luz va, dès le mois de janvier, sentir le besoin de dessiner, d'écrire sur cette tragédie et sur son ressenti. Il va continuer jusqu'en mars et ces 3 mois deviendront Catharsis. Le titre est évocateur, c'est une simple tentative d'exprimer quelque chose pour ne pas être submergé par les émotions.
De ce fait, c'est très dur de donner un avis sur cette BD. Elle est belle et réussie mais s'intègre dans un projet tellement personnel, tellement intime, qu'il me paraît impossible d'en parler réellement.
Demandera-t-on de juger le style littéraire d'Anne Frank ?
Il me semble impossible d'avoir un réel avis sur Catharsis tant le projet dépasse les cadres artistiques habituels. On est pas ici dans un rapport de partage entre l'auteur et le lecteur, mais dans un rapport de rejet, de la part de l'auteur, d'un besoin de se délester, et le lecteur lui, est un pervers avide de larme, de vérité, de point de vue.
A ce titre Catharsis est un superbe doigt d'honneur. Pour être honnête, j'ai été relativement touché par les attentats de Charlie Hebdo, et plus particulièrement par la suite d'attentats en quelques jours. Je ne me suis pas pour autant senti attaqué plus que de raisons et je pense posséder un regard suffisamment éclairé sur ce qu'est le terrorisme pour bien comprendre qu'avoir peur, même un minimum, c'est déjà donner raison, en parler, plus que de raison, c'est leur donner la victoire.
Il faut dire aussi que pour quelqu'un qui, comme moi, a été bercé par Desproges et Gotlib, je trouvais cela un brin ironique de voir un tel mouvement de foule. Les propos de Charlie n'avaient jamais été nouveau et n'avaient jamais pour but de plaire à tout le monde.
Ce grand symbole national avait un côté risible. Ces cries pour « la liberté d'expression » me semblaient d'une stupidité incroyable quand on songeait que les mêmes personnes demandaient l'abolissement de l'Islam et qu'ils pleuraient un journal qui avait réclamé de censuré l'extrême-droite.
Et pourtant, malgré ce brin de mépris qui fut le mien, celui qui est perceptible dans Catharsis est mille fois pire.
Luz est une boule d'émotion, c'est trop dur à comprendre pour ceux qui n'auraient pu vivre ça. Il va, ici, coucher toute sa rancune envers ces vampires émotionnels qui pensent qu'entre lui et eux il y a des points communs. Il va détester ces gens qui pleurent Charlie et le maudissaient deux jours avant. Il va critiquer cette récupération politique.
C'est aussi là le génie de Luz, montrer encore du Charlie, du vrai, du pur. Des pigeons qui chient sur le président, des bites et du sexe en veux-tu en voilà. La haine de l'autre si stupide, si étroit. Charlie n'est pas mort et Luz en parle encore. Il en parle avec une flamme pleine et animée qui ravira ceux qui n'en pouvaient plus de la Récupération. Nous ne sommes pas tous Charlie car cet esprit demande une force de volonté très rare. Luz la possède.
Plus on avance dans la BD et plus Luz s'éloigne aussi du cadre global pour se concentrer sur soi, sur sa culpabilité, sur son histoire. Plus on avance et plus on tombe dans le domaine de l'intime en évitant, pourtant, le voyeurisme.
C'est très beau et quand même touchant.
Le style de dessin est vif, rapide, libre diront certains. Il n'est pas le plus beau, c'est évident, mais il est compréhensible de par le climat.
Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Un lieu et une date qui seront dans les livres d'Histoire. Un moment où la France s'est rassemblée. Mais était-ce un vrai rassemblement ? Etait-ce pur de toute mauvaise intention ? Chacun est seul juge sur l'héritage Charlie, mais, si Charlie est devenu le nouveau Christ, alors, Luz est son évangéliste.