Ambre en pasionaria anti-romaine
Cet épisode couvre en gros l’année 53 avant Jésus-Christ (correspondant au Livre VI de « La Guerre des Gaules » de César). La révolte générale des tribus gauloises se dessine, et Simon Rocca a beau jeu d’y montrer le rôle majeur qu’y joue Ambre, traversant au long de l’année toutes les régions de la Gaule du Nord pour appeler à la résistance contre les Romains.
Le dessin de Mitton n’est pas seulement réaliste, raffiné et convaincant, il sait en plus troubler le lecteur en restituant des atmosphères fantasmées, où l’on reconnaît le sentiment (autant que l’image) que l’on se fait des chaumières antiques blotties sous la neige (planche 35), les architectures de bois robustes et équilibrées des camps romains et des fortifications (planche 28), le caractère déjà pré-médiéval des créneaux de l’oppidum d’Autricum (planche 32).
Ambre, qui penche vers ses 19-20 ans, a deux gosses sur les bras, et un peu plus de plomb dans la tête. Ce n’est pas du luxe. Dès la planche 1, elle se lasse du bel Arulf, qui passerait bien tout son temps entre les cuisses de la belle, et manifeste cette évolution en lui faisant le coup de la migraine, dont on voit qu’il ne date pas d’aujourd’hui. Au fil du temps, les amoureux fidèles (et chastes !) d’Ambre sont de plus en plus appréciés par la rousse guerrière, et Cloduar a au moins ce bénéfice d’être un garde du corps efficace et permanent de la reine des Icéniens. Quant à Ambre, son cœur semble enfin pencher vers la fidélité et la courtoisie de Milon (planche 5), toujours lointain mais impeccable dans ses choix. On appelle ce genre de certitude la maturité, paraît-il. On sent que la conclusion des errances amoureuses d’Ambre s’annonce.
La lettre de Milon à Ambre mérite une mention (planches 5 à 12). Simon Rocca l’a concoctée en latin, s’il vous plaît, écrite en caractères romains majuscules (planche 6) (je suppose que, même à cette date, on utilisait quand même une sorte d’écriture plus cursive dans les missives). Surtout, cette lettre sert à résumer les évènements les plus récents de « La Guerre des Gaules », dont Ambre, retenue en Bretagne, n’a pas forcément été informée. Beau procédé de flashback ! De même, dans la narration, Rocca / Milon a l’habileté de varier le propos afin de ne pas lasser, et d’entremêler le récit des divers massacres et représailles de l’allusion aux manigances de César et Pompée au sein d’un « triumvirat » agonisant, et de la célèbre mort de Crassus devant les Parthes (planche 9). L’opposition frontale César-Pompée, matérialisée dans la première vignette de la planche 10 sous la forme de deux profils de médaille style Renaissance, n’a pas empêché Pompée de fournir à César les légions dont il avait besoin. Le trait est noirci par Rocca : César n’était pas que l’insecte desséché, sanguinaire et fanatique qu’il met en scène, et Pompée avait son côté intelligent et généreux.
L’habileté narrative de Rocca, c’est de récupérer le personnage d’Ambiorix, chef des Eburons, en fuite, symbole d’une révolte générale naissante des tribus gauloises, et de le faire utiliser par Ambre comme éventuel « Cingétorix », c’est-à-dire comme chef général et provisoire des tribus gauloises (planches 23 et suivantes). Tant dans le titre de l’album que dans les dialogues (planches 26, 42 à 44), Rocca prend bien soin de souligner que « Cingétorix » est un titre de chef, et non pas un nom de personne, de même que « Vercingétorix », dont le préfixe rapporté souligne la qualité de chef de toutes les tribus gauloises (planches 42-43-44). Aucune source antique ne parlant de la mort d’Ambiorix (sur lequel César n’a jamais réussi à mettre la main), Rocca peut en faire ce qu’il veut, et il ne se gêne pas... Quant au côté manipulateur d’Ambre, il est avoué et formulé planche 26.
Celtill, bombardé « Vercingétorix » dans cet opus, n’est plus le petit ado fier que l’on avait vu. C’est un beau blond moustachu, souriant et sûr de lui, qui cultive sa popularité ; décidé, certes, mais manipulateur et démago tout de même ; enfin, on ne fait pas les bonnes révoltes sans casser quelques images d’Epinal...
Pour introduire un rebondissement fictionnel dans ce qui menaçait de se limiter à un accompagnement par Ambre des révoltes gauloises, Rocca inflige une énigme au lecteur : Critovax, conseiller de Celtill l’Arverne (que nous appelons Vercingétorix), serait bien vivant, alors que tout le monde l’a vu décapité dans un épisode précédent ; pire, il se balade en se dissimulant (planche 35). Ciel ! Quel coup tordu Rocca nous prépare-t-il ?
Conception militante bien anachronique, le dégoût des héros « positifs » contre les druides et la religion en général (planche 28). On sait que Mitton, dans « Les Survivants de l’Atlantique », bouffait du curé et de la religion au nom du Laïcisme qui se crée ses propres sacrilèges (servez-vous dans l’actualité, même pas la peine de se baisser pour ramasser) ; eh bien, Rocca lui en sert une louche ; c’est vrai, entre copains, ce sont des attentions appréciées... Pour les moins bornés et les amateurs de paganisme, on cueille du gui et on se réunit dans le cromlech de la forêt des Carnutes planche 4.
Un épisode chargé en évènements qui se bousculent un peu, avec ce petit rien de sentiment que les héros de fiction ont beau faire des pieds et des mains, ils restent toujours au deuxième plan de l’Histoire. La rigueur y trouve son compte, dans l’ensemble.