Ce tome fait suite à Manifest destiny 02. Amphibiens et insectes (épisodes 7 à 12) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série par le premier tome. Il contient les épisodes 13 à 18, initialement parus en 2015, écrits par Chris Dingess, dessinés et encrés par Matthew Roberts, avec une mise en couleurs réalisée par Owen Gieni.


Le caporal White a succombé à un virus transmis par un fungi et l'équipage lui organise un enterrement adapté aux circonstances : son corps est placé sur un radeau de bois auquel il est mis feu. Une nuit suivante, le caporal Perason a pris une chaloupe dans laquelle il se livre à une danse, complètement saoul. Le lendemain l'expédition Lewis & Clark détecte une nouvelle arche. Les Capitaine Lewis & Clark doivent faire face à l'hostilité de l'équipage à débarquer pour aller explorer les parages de l'arche. Ils se lancent dans un discours explicitant clairement les devoirs des uns et des autres, militaires comme civils, ainsi que les sanctions qu'ils sont en droit d'appliquer, tout en rappelant l'objectif de l'expédition. Finalement, ils débarquent. Sur la rive, ils retrouvent Toussaint Charbonneau (trappeur canadien-français) et Sacagawea (guide et interprète shoshone). Ils constatent que cette dernière à l'air malade malgré ses déclarations allant dans le sens contraire.


Le groupe arrive au pied de l'arche sans encombre. Lewis décide qu'ils vont inspecter le périmètre par groupe de 2. Celui qui inspecte l'arche constate qu'elle est constituée de fumier. Sacagawea s'éloigne un peu et vomit à 2 reprises. William Clark prend sur lui de raccompagner Sacagawea sur le navire, avec une des chaloupes. Aux alentours de l'arche, Burton et son compagnon entendent un bruit de brindille brisée. Ils regardent rapidement dans la direction correspondante et font feu. Ils ne voient que quelques plumes bleues. En levant les yeux, ils découvrent un oiseau d'une espèce inconnue, perché sur une branche, qui les dévisage bizarrement. Alertés par les coups de feu, les autres hommes arrivent immédiatement, prêts à défourailler. L'oiseau fond sur Etten, le soldat le plus proche et le mord au bras droit, sans lâcher prise, avant que quiconque n'ait pu réagir.


Que plaisir de retrouver le pauvre équipage du vaisseau d'exploration de Lewis & Clark, composé de soldats et de repris de justice, s'enfonçant toujours profond dans le continent nord-américain encore vierge et sauvage. Le lecteur retrouve Meriwether Lewis (1774-1809) & William Clark (1770-1838), les 2 capitaines de l'expédition, ainsi que Toussaint Charbonneau (1767-1843) et Sacagawea (1788-1812), personnages historiques ayant réellement existé, pour une variation sur la fameuse expédition Lewis & Clark (1804-1806). Ce tome commence en août 1804, avec les funérailles d'un caporal emporté par un mal mystérieux. Pour représenter l'état de son corps alors qu'une main s'apprête à mettre le feu à son radeau, les auteurs ont choisi un dessin en pleine page, et le lecteur retrouve immédiatement le haut niveau de qualité des images, colorisation comme traits encrés. Owen Gieni donne une teinte verdâtre à la peau du pauvre caporal, des plus maladives et malsaines. Il joue sur le blanc de la peau, le vert de de l'élément végétal, et rehausse de terrible manière la pupille encore visible du cadavre. En deuxième plan, le lecteur peut apprécier la texture du bois des rondins utilisés pour le radeau de fortune.


Tout du long de ces 6 épisodes, le lecteur se délecte de cette mise en couleurs, riche en saveurs, sans être écœurante, complémentaire des dessins sans les écraser. Le résultat donne la sensation d'une mise en couleur directe comme si chaque case avait été peinte, par le dessinateur lui-même. Au fil des séquences, le lecteur contemple le ciel pour un incroyable lever de soleil magnifique, ou pour le vaste ciel bleu qui domine l'arche. Il a l'impression de pouvoir tâter la terre des berges, de voir le feuillage onduler sous une petite brise, de toucher la granulosité du bois des planches du navire, de se laisser hypnotiser par les reflets changeants de l'eau du fleuve, de sentir la vague élasticité du matériau composant l'arche ou la rugosité des tissus, etc. Il constate que le coloriste travaille également les ambiances lumineuses en fonction du niveau d'éclairement. Il ne baigne pas les pages ou les cases dans une teinte principale qu'il décline en nuances ; il intègre l'impact la luminosité sur les différentes surfaces, que ce soit les teintes un plus sombres sous les frondaisons, les teintes plus vives dans la clairière, ou encore la semi pénombre dans la cabine du navire où Sacagawea est alitée. À plusieurs reprises, le lecteur reste bouche bée devant une case grâce à l'apport des couleurs, pas du fait d'effets spéciaux spectaculaires, mais grâce à la consistance qu'elles apportent, par exemple lors de la guérison d'une plaie suppurante avec un fluide très inattendu.


Matthew Roberts effectue un travail tout aussi impressionnant et spectaculaire que Owen Gieni. Le premier dessin en pleine page montre juste le cadavre d'un individu, mais les détails mettent la puce à l'oreille du lecteur : le cordage pour être sûr que le cadavre n'aille pas plus loin, les clous dans sa gorge et son bras, l'œil dont la paupière n'est pas fermée. Il n'est pas facile pour un dessinateur de surprendre un lecteur avec des images d'horreur, encore moins quand le lecteur les attend, comme c'est le cas dans cette série. Pourtant l'artiste y parvient à chaque fois, et pas seulement grâce à la mise en couleurs extraordinaire. La mise en scène de la découverte de la bestiole qui se cache aux abords de l'arche est impeccable pour que la révélation complète fasse un effet choc, mais pas par son apparence. Les plaies suppurantes d'Etten ont une apparence écœurante. La créature qui se cache vraiment dans l'arche nécessite d'avoir le cœur bien accroché. C'est donc la combinaison de leur apparence et de leur manière d'attaquer et de se comporter qui produisent un effet d'horreur réussi, comblant l'horizon d'attente du lecteur.


Matthew Roberts réussit également à rendre les premières créatures (les Ferzon) inquiétantes, malgré une apparence d'oiseau bleu vaguement mignon. Il doit montrer leur habitat, et il crée une vision parfaite de ce qu'il est, tout en surprenant le lecteur. Il sait jouer avec les yeux larmoyants de la créature pour la rendre touchante, tout en lui donnant des expressions de gueule irrésistibles. L'artiste se montre tout aussi convaincant quand la séquence ne comprend que des êtres humains normaux. Le lecteur est sur le bord de son siège en observant le combat à main nue qui oppose Meriwether Lewis à Finn Fricke, le grand costaud choisi par les autres pour rabattre le caquet au capitaine, et entériner qu'ils n'obéiront pas à son ordre de se rendre à terre pour explorer les pourtours de l'arche. Il fait preuve de la sensibilité nécessaire pour montrer le caractère indomptable de Sacagawea, mais aussi les preuves d'attention de Magdalene Bonniface quand elle s'occupe de l'indienne malade. La direction d'acteurs est naturaliste et les expressions des visages sont nuancées. Enfin, il s'investit dans les éléments de décor du navire, les armes, et les tenues pour une reconstitution historique de bonne qualité. Le lecteur éprouve donc vraiment la sensation de se trouver avec l'équipage de l'expédition Lewis & Clark… mais confronté à une faune inattendue.


Chris Dingess tire le meilleur parti de son idée. Au premier degré, le lecteur est happé par l'esprit d'exploration du récit. L'équipe doit progresser pour rallier l'autre côté du continent, tout en documentant la faune et la flore qu'ils découvrent. Le lecteur sait qu'ils vont être confrontés à des dangers, y compris des espèces inventées pour l'occasion, et qu'il y aura des pertes et des blessés, ce qui diffère de l'expédition historique. Il guette donc l'arrivée des monstres, en se demandant si l'équipe est bien préparée ou non. Le scénariste fait preuve d'inventivité pour la création des monstres et leur mode opératoire, à chaque fois spécifique. En outre, il sait glisser les détails qui attestent des tensions existant entre les militaires et les repris de justice contraints de participer à l'expédition, ainsi que les difficultés engendrées par le comportement en électron libre de Toussaint Charbonneau et Sacagawea. Il intègre régulièrement des extraits du journal intime de William Clark, ce qui a pour effet de faire apparaître sa personnalité dans ses jugements de valeur, ainsi que celle de Meriwether Lewis. En outre, le lecteur découvre des pans de l'histoire personnelle de Sacagawea, et du jeune Collins, ce qui leur insuffle plus de consistance également. Il prend donc grand plaisir à cette intrigue mêlant exploration et horreur, en pouvant se projeter dans différents personnages, avec une histoire personnelle spécifique, et des motivations spécifiques.


La narration ouvre également la possibilité au lecteur de considérer d'autres aspects de cette aventure. Il peut observer comment Lewis & Clark font pour conserver une autorité suffisante sur les soldats et les civils pour accomplir la mission qui leur a été assignée. Cette autorité n'a rien de naturelle et le scénariste se fait un malin plaisir de montrer comment ils manipulent leurs subalternes, parfois en payant de leur personne. Il peut également observer cette équipe s'enfoncer dans une zone inexplorée et voir quels sont leurs objectifs. À nouveau Dingess ne se montre ni naïf, ni angélique, et la dernière scène de ce tome le rappelle de manière éclatante. Il ne s'agit pas d'une mission de charité, ou d'une mission purement scientifique, ni même d'une mission d'évangélisation. Il y a là une illustration de l'esprit de conquête de la race humaine (au moins pour sa partie masculine) qui n'a rien de charitable. Le lecteur peut aussi observer le portrait psychologique qui se dessine progressivement pour différents personnages, dans ce tome pour Lewis, Sacagawea et Collins. À nouveau, le scénariste n'hésite pas à prendre en compte les comportements destructeurs de l'individu qui peuvent s'exercer contre lui-même.


Ce troisième tome est une grande réussite, aussi bien sur le plan de la narration visuelle maniant avec la même intensité le plaisir d'explorer et l'horreur des affrontements, que pour l'intrigue, riche en surprises bonnes et mauvaises, avec des personnages complexes et adultes, et un regard sur la nature réelle de l'exploration humaine.

Presence
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le 26 janv. 2020

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