Cogotaï - Le Vent des Dieux, Tome 11 par khorsabad
Cothias s’arrange pour formater la série sur une plus longue durée que celle initialement prévue. Le succès commercial du « Vent des Dieux » faisait pressentir qu’on ne pourrait prolonger indéfiniment l’intrigue relative aux démêlés de Tchen Qin avec Tête-Noire, Pimiko Zu et Mara ; cet épisode tend à préparer l’affrontement final, tout en dissolvant l’enracinement géographique et culturel du héros, Tchen Qin, de manière à lui faire reprendre ses errances aventureuses, propres à lui faire explorer de nouveaux lieux et de nouvelles civilisations. Cothias n’oublie nullement sa fonction pédagogique, si sensible dans l’épisode précédent.
De manière très modérément vraisemblable, Tchen Qin est passé du statut d’étranger suspect (d’un pays ennemi, qui plus est) à celui de chef de la garde personnelle de Kubilaï Khan. C’est fou ce que notre samouraï trouve de gens sympas sur sa route, par ailleurs parsemée de têtes qui roulent par terre, et que Tchen Qin lui-même avoue ne pas pouvoir dénombrer (planche 24) !!! Oui, mais si on ne mettait pas Tchen Qin en poste de responsabilité, impossible de le faire participer au dernier évènement que désirait raconter Cothias : l’assassinat d’Achmat, premier ministre de Kubilaï Khan, pendant l’absence de ce dernier en 1282 (préparée planches 12-13). Ce fait, parfaitement historique, et repérable dans les annales chinoises tout autant que dans « Le Devisement du Monde » de Marco Polo (auquel Cothias doit décidément pas mal de droits d’auteur), est en rapport avec la révolte des Chinois contre le pouvoir de Kubilaï Khan, qui n’avait confiance qu’en des étrangers pour accomplir des hautes fonctions de l’Etat (planche 6), Tchen Qin faisant donc tout naturellement partie du lot.
Rituellement, Tchen Qin doit participer à quelques bastons dans chaque épisode ; déjà, l’idée de le mettre au milieu d’une des « chasses » de Kubilaï Khan dans l’épisode précédent était romanesque, mais un peu exagérée ; ici, Tchen Qin affronte, sans grande conviction, tel un fonctionnaire qui pointe à son combat quotidien, un certain « Ro-lan », mandaté par Tête-Noire, histoire pour Thierry Gioux de nous offrir l’image inhabituelle d’un guerrier en armure chinoise affrontant en tournoi un chevalier armé à l’occidentale, et bellement chamarré (planches 14-16). Toujours moyennement vraisemblable : pourquoi Tête-Noire a-t-il besoin de tuer Tchen Qin (planche 2) alors qu’il a remis à plus tard sa mort tant de fois lorsqu’il l’avait sous la main, et, qui plus est, en déléguant le boulot à un Occidental, alors que Tête-Noire lui-même n’est pas spécialement manchot du sabre ? Artifice, artifice…
Thierry Gioux semble plus inspiré par les décors chinois que par les décors japonais : armures méticuleusement détaillées jusqu’à la moindre plaquette de protection, paysages intérieurs de la Cité Interdite de Cambaluc (Beijing-Pékin) (planches 6-7), muraille de Chine (planche 45).
Ce qui frappe, dans cet épisode de transition, c’est la modification des personnalités des personnages centraux : Pimiko Zu, de petite salope infréquentable et haineuse, se retrouve dans la peau d’une femme aimante de Tchen Qin, qu’elle veut reconquérir à tout prix (qui se souvient qu’elle voulait le trucider peu de temps auparavant ?). Il est vrai que Mara, la femme de Tchen Qin, confirme la thèse de Pimiko selon laquelle le beau samouraï est toujours plus accro à la putain (Pimiko) qu’à la Maman (Mara) ; dans une belle vague de courroux jaloux, Mara se refuse à Tchen Qin, qui se retrouve poussé vers Pimiko. (Ah ! Ne me parlez pas de l’amour et de ses incohérences !) (planches 19-20). Parmi les curiosités, on verra le Signor Marco Polo himself se faire tripoter par Pimiko (planche 21), et il y croit, en plus, le bougre !
Pour justifier la conversion de personnalité de Tchen Qin, Cothias nous gratifie de 12 planches (de 22 à 33) de visions oniriques de Tchen Qin rappelant le tome 2 : Tchen Qin y retrouve son ombre caricaturale qui lui dit ses quatre vérités sur ses sentiments réels. Caricaturale et distordue, cette ombre forme un contrepoint savoureux avec le sérieux des dessins du reste du récit, tout en déstabilisant encore l’identité de Tchen Qin (qui s’appelle donc aussi Mizu et Cogotaï, prenez des notes, je vais pas répéter la liste). Vision de spectre, de la déesse bouddhique Kwannon… la vérité vient de l’au-delà (de l’Inconscient ?).
Un peu long, même si les images sont pittoresques. Tout ça pour justifier l’émancipation de Tchen Qin, qui devient un pauvre samouraï solitaire qui projette de partir en direction du soleil couchant (bizarre, cette image me dit quelque chose…).
Onirisme, rappel d’un fait politique réel, crise d’identité pour les personnages principaux, le récit, plus riche et équilibré que dans le tome précédent, convainc à peine mieux, tant l’incohérence du cheminement intérieur de Tchen Qin est manifeste.