Bienvenue dans l’album le plus déconcertant de la série Tintin. Coke en stock, qu’est-ce que c’est ?

Le scénario est particulièrement désarçonnant, avec ses retournements improbables toutes les deux pages. Cette intrigue cousue de fil blanc est surtout prétexte à faire réapparaître tous les personnages secondaires de Tintin (sauf Tchang, faut pas abuser) dans une sorte de farandole délirante. Mais Hergé semble bien conscient de tout le côté improbable de ces rencontres miraculeuses, il s’en moque dès la première page lorsque Alcazar sort de nulle part ! C’est à se demander si Hergé ne se serait pas offert le plaisir de faire un pied de nez à tous ses lecteurs ...

A la première lecture, on est content de cet album. C’est du beau Tintin, dans des décors travaillés, et on y retrouve tous les personnages des aventures précédentes. Bien sûr, l’intrigue est incompréhensible, mais il y a plein de clins d’œil aux aventures passées : bref, un album best-of, aux airs de tournée d’adieu pour Tintin.
Avec la gloire est venue la stabilité financière pour Hergé, et il a pu mettre sur pieds ses propres Studios, une véritable machine de guerre qui l’assiste sur tous les plans : l’auteur semble ici s’apercevoir que la machine est bien huilée et qu’elle peut produire du Tintin même à vide, même sans éléments neufs. A l’époque, la question de savoir si Hergé autoriserait d’éventuels successeurs à reprendre la licence Tintin n’est pas encore tranchée, et pour un peu ce dix-neuvième album ressemblerait à un passage de relais depuis le père fondateur vers ses collaborateurs (Jacques Martin en tête).

A la deuxième lecture, on déchante un peu : cet album est plus sombre qu’on l’aurait soupçonné. Même si Tintin triomphe à la fin (comme toujours...), l’intrigue reste profondément immorale car elle permet à tous les méchants de s’en tirer : Rastapopoulos disparaît sous la mer, Allan est capturé mais pas clairement sanctionné, et le trafiquant d’esclaves retourne à son business. Même les gentils en prennent un coup dans l’aile, puisqu’on découvre qu’Alcazar trempe joyeusement dans le trafic d’armes pour reprendre le pouvoir, et que l’émir se moque de la traite négrière comme de sa première djellabah.
On imagine alors un Hergé au fond du trou, et qui se paye la fiole de son Tintin trop parfait en le plongeant dans un univers de pourris : Coke en Stock, c’est prendre le Tintin fleur au fusil des années 1930’, et le plonger dans le monde beaucoup plus nuancé des années 1950’, dans lequel plus personne n’est tout à fait blanc. Hergé accouche d’une auto-parodie grinçante de ses premiers albums, une relecture au vitriol des aventures de son jeune héros. On rit jaune.

Mais on peut faire toutes les conjectures du monde sur ce dix-neuvième album, le fait reste là : rien de neuf ! Tintin tourne à vide, il vit sur ses restes, recycle et recopie.

Bref, Coke en stock a la forme d’une aventure de Tintin, mais elle n’en est pas vraiment une ...

Après cet album, Hergé fera une sorte de burn-out : une année sabbatique sans toucher à Tintin, puis il expédie son héros dans l’aventure la plus contemplative de la saga, loin du monde et de son agitation, dans le silence de l’Himalaya. Si ça, ce n’est pas un signe ... !
Wakapou
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le 13 juil. 2013

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