Est-ce le portrait d'une femme en ombre chinoise ou des scènes de vie quotidienne que l'on devine façon Fenêtres sur cour d'Alfred Hitchcock ? A moins que ce ne soit cette croix de guerre épinglée sur un cœur. Difficile de déterminer ce que l'on voit en premier lorsque l'on regarde la couverture de Collaboration horizontale. C'est une question de perspective diront certains. Tout comme les problèmes auxquels sont confrontées les huit femmes qui peuplent ce récit choral mettant en scène les résidants d'un immeuble du 11ème arrondissement sous l'Occupation. Une BD poignante et sensible imaginée par un duo d'auteures à suivre.
De quoi ça parle ?
Eté 1942. Dans la cour d’un immeuble parisien, on se croise sous les yeux muets et pourtant si clairvoyants de Camille. Bien qu’aveugle, rien n’échappe à la perspicacité du mari de la concierge, et surtout pas les secrets inavoués des locataires. Sarah, coupable d’être juive, que ses voisines cachent comme elles peuvent. Simone la garçonne, fille de Camille et d’Andrée, amoureuse en secret de l’intriguante Joséphine. Et surtout Rose, mariée avec un prisonnier de guerre qui va fortuitement tomber amoureuse d’un Allemand et entamer avec passion une “collaboration horizontale” avec l’occupant.
Car passage de la Bonne Graine, comme dans le reste du pays, il n’y a plus guère que des femmes et des enfants à vivre sous l’Occupation. C’est le destin croisé de ces filles, ces mères, ces femmes que raconte la scénariste Navie dans ce huis-clos poignant qui interroge sur un des tabous de notre histoire. Peut-on coucher avec l’ennemi en temps de guerre ?
Pourquoi j'adore ?
Quelle merveilleuse idée d’avoir confié le destin de ces femmes à la délicate dessinatrice Carole Maurel. Celle que l'on a découvert l’an passé grâce à deux albums remarqués, L’Apocalypse selon Magda (éd. Delcourt) - récompensé du prix Artémisia Avenir 2017 - et Luisa, ici et là (éd. La Boîte à bulles) - s’était déjà révélée très à l’aise pour mettre en images des héroïnes aux yeux ultra expressifs. Elle confirme ici tout son talent avec cette magnifique galerie de portraits féminins.
Avec Navie, elle forme un duo que l’on sent en harmonie parfaite avec leur sujet pourtant sensible. Universitaire spécialisée dans l’histoire des fascismes, la scénariste confiait récemment à Madmoizelle avoir fait son mémoire sur la collaboration horizontale et évoquait par ailleurs un "petit tabou familial" impliquant son arrière grand-mère.
Mais l’album de Navie et Maurel va au-delà de la BD historique en abordant avec beaucoup de pudeur des thématiques plus vastes et plus complexes. Il y a certes cet amour que la guerre interdit mais surtout, Collaboration horizontale aborde cette période en évoquant des moments où le courage et l’héroïsme devaient parfois cohabiter avec la trahison. Un album qui souligne que ces temps troublés ont également permis à un certain féminisme d’émerger.
C’est pour vous si…
Vous râlez (à raison) parce que les femmes ne sont pas assez présentes dans la bande dessinée. Dans Collaboration horizontale, elles sont non seulement aux manettes mais en plus elles nous racontent avec une grande sensibilité le destin d’autres femmes. C’est important et c’est réussi. Et si vous êtes passé à côté des précédents albums de Carole Maurel, procurez-vous à l'occasion le très beau récit initiatique qu'elle a entièrement réalisé. Luisa, ici et là.
Critique publiée sur Pop Up', le blog de l'actualité de la pop culture sur franceinfo.