Florence Dupré La Tour poursuit l’exploration autobiographique et intime de sa vie. Et si jamais il fallait soupirer devant une production récente assez fournie en tranches de vies parfois mineures, parfois pesantes, il est bon de rappeler que l’auteure se distingue par le ton choisi.
Ayant critiqué le tome précédent, je vous incite à consulter mon avis dessus, certains points ne seront pas repris, et l’essentiel du propos se suffit pour appréhender ce tome mais aussi cette suite.
Mais puisque vous êtes là, et que je n’allais pas laisser Pucelle 2 avec une impersonnelle note, autant glisser quelques mots sur ce tome, et peut-être offrir aux nouveaux arrivants l’envie de découvrir cette œuvre de Florence Dupré La Tour.
Dans « Confirmée », elle poursuit sa présentation de sa vie et nous relate de ses 13 ans à ses débuts en tant que jeune adulte. C’est donc un cap à passer, et pas des moindres, celui de l’adolescence. Ce stade où on se confronte aux autres et à soi-même pour se forger son identité mais aussi sa sexualité.
Florence est née dans un cadre privilégié, toutefois bousculé par le déménagement de la famille de la Guadeloupe à la France métropolitaine. Leur mère est très présente, mais ne comprend pas les désirs d’indépendance ou de souffrance de Florence et de sa sœur jumelle Bené, qui ne partagent plus les mêmes conceptions. Le père est présent sans être actif, une ombre accentuée par des événements personnels et professionnels négatifs. L’auteur l’évoque bien, ce couple de parents, elle ne les comprend pas, elle veut même s’en défaire, mais à son âge juvénile elle ne comprend pas encore qu’ils ont aussi besoin d’aide.
L’adolescence c’est bien sûr l’âge où le corps change, où il se forge pour devenir celui adulte qu’il faudra adopter. Florence a déjà ses règles, sa sœur jumelle aussi, cela a été évoqué dans le précédent. Mais ce dont elles n’avaient peut-être pas encore conscience est la douleur qu’elles allaient leur créer, une souffrance à mettre KO. Elles auraient pu être aidées, accompagnées, mais les adultes ne prennent pas en compte leur détresse. Leur mère est parfois compatissante, parfois attentiste, peut-être aussi soulagée de voir que ses filles passent par les mêmes peines qu’elle à son époque.
De ce corps parfois traître se révèle pourtant une autre facette liée à cette période, celui de l’éveil à la sexualité. L’attente confuse autour de « la chose » dégoûte la narratrice, terrifiée et horrifiée par la gestuelle, la pénétration, cette intimité bousculée. Avec la masturbation elle va trouver une échappatoire à ses problèmes, une obsession même d’autant plus bénéfique qu’elle en retire une gigantesque culpabilité mêlée à un désir très fort. Et timidement, maladroitement, parfois même de façon embarrassante, définir sa sexualité avec d’autres personnes, pas toujours très adroites ou attentionnées.
Car l’un des points forts de cette bande dessinée autobiographique n’est pas seulement dans l’expression de cette vie passée et de ses tourments, mais aussi le regard extérieur sur qui doit être Florence. Élevée dans une ambiance religieuse, dont elle se détachera, elle ne pourra pas échapper à des vacances chrétiennes avec leurs bons moments et leurs pires, dont une propagande anti-avortement assez abjecte et mensongère, mais aussi au vacillement de sa mère absorbée par une communauté christique qui rappellera le film Les Éblouis de Sarah Suco.
Florence aura quelques amis, quelques petits copains, ou s’en rapprochant, mais là encore le regard extérieur sur elle lui pèse, définissant les critères de ce qu’elle doit être, ce qu’elle doit faire. L’auteure est parfois horrifiée par certains comportements, certaines paroles, et même blessée. Elle nous rappelle que cet âge de formation est un âge ingrat, et pas seulement à cause de sa personnalité en construction, mais bien des contraintes exercées sur soi, et parfois par des personnes qui nous ressemblent.
Pour mettre en images sa vie, Florence Dupré La Tour utilise un trait assez caoutchouteux, les personnages sont des formes vaguement caractérisées, tandis qu’un tel style permet de le déformer pour des scènes plus puissantes, dans l’expression d’une douleur aiguë ou d’un désir fantasmé. Il ne s’agit pas de se mettre en valeur, d’ailleurs tout le monde a un peu son physique ingrat, même si les deux sœurs sont réduites à peu de choses. L’auteur utilise une colorisation assez simple, dont le rose est l’argument dominant, bien adéquat pour un tel ouvrage sur le corps et la sexualité.
J’en ai probablement trop dit sur cette adolescence, qu’il vaut mieux découvrir. Mais sur les 230 pages, il en reste encore à lire. Ce qu’il en faut en retenir est bien sur la difficulté de cette époque, bien loin de certaines retranscriptions arrangées pour le cinéma, la littérature ou la bande dessinée. Florence Dupré La Tour n’a pas peur de se révéler, d’autant plus qu’elle se ne montre pas sous ses meilleurs avantages, dans la confusion de ses sentiments ou de ses opinions, parfois forgées ou déformées par d’autres. Cet opus sur l’adolescence est l’occasion ainsi de rappeler l’importance du regard et des actes de ceux qui nous entourent, dans leur bienveillance ou leur rudesse. Malheureusement les codes et les conventions sociales sont aussi enfermés par les perceptions des jeunes têtes qui n’ont pas l’expérience ou la maturité nécessaire pour accepter le changement. C’était le cas à l’époque de l’auteur, dans les années 1990, espérons que les nouvelles générations feront mieux.