Copra Round One
6.6
Copra Round One

Comics de Michel Fiffe (2014)

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 6, initialement parus en 2012/2013, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Michel Fiffe. Il a également réalisé le lettrage. La série a bénéficié d'une réédition en recueils par Image Comics.


Quelque part dans une petite ville fermière des États-Unis, une équipe d'individus dotés de superpouvoirs prend en charge un colis remis par le cousin du chef de l'équipe : un objet bien embêtant. L'équipe s'appelle Copra et elle est composée de Sniper, Brawler, Wir, Guthie, Lite, Gracie Kriegeskotte, et de leur chef Man-Head (Benicio Sandoval). Ils repartent en fourgon, à l'intérieur duquel la tête transpercée d'un artefact en forme d'éclair est placée sous une cloche avec un appareillage électronique évitant toute émission d'énergie. Les membres discutent entre eux, pendant que Marty conduit, Man-Head occupant le siège passager. Soudain une masse semble tomber du ciel au beau milieu de la route : il s'agit de Tiro. Marty a freiné pour éviter la collision : Vitas se trouve sur le toit du véhicule et il transperce le conducteur avec sa longue épée. Un soldat tient Man-Head en joue avec un lance-flamme. Le véhicule étant arrêté, les membres de l'équipe décident que l'un d'entre eux doit sortir pour voir ce qui se passe. C'est Lite qui s'y colle et il est immédiatement attaqué par Thana qui manie une lame aiguisée. Elle est accueillie par Gracie qui la cueille en plein saut. Burl enlève sa prothèse de main et découvre un canon dans son avant-bras : il fait feu sur Gracie. Wir s'élance comme un malade sur Burl, pendant que Guthie sort l'arme au poing. Man-Head neutralise celui qui le tenait en joue, et un combat généralisé s'engage. Finalement, Vitas parvient à s'introduire à l'arrière du véhicule, à tuer Sniper & Brawler, et à s'emparer du crâne transpercé par l'éclair. Mission accomplie.


Vitas ressort du véhicule et fait signe à ses quatre acolytes qu'il est temps de partir. Une dernière chose : il reste un peu de vie dans la tête et elle veut quelque chose. Vitas la tourne vers la ville et une décharge d'énergie se produit depuis l'éclair vers la ville : celle-ci est la proie d'un incendie généralisée et est détruite. Le crâne se désagrège et le morceau de métal en forme d'éclair continue d'émettre des radiations d'énergie. Man-Head constate la destruction de la ville et commence à s'élancer vers elle. Mais il est saisi au col par Wir qui parvient encore à prendre Gracie et Guthie avec lui et à s'envoler le plus loin possible pendant qu'il se produit une énorme explosion à l'endroit où ils se tenaient. Sonia Stone conduit sa voiture de nuit et se rend à une église. Elle y pénètre et retrouve ce qu'il reste de l'équipe Copra dans ce lieu qui leur sert de base. Elle exige un compte-rendu de la mission qui a tourné au fiasco, et qui de surcroît n'avait pas été autorisée. Benicio Sandoval se lance : l'appel de son cousin qui avait découvert qu'un fermier du coin s'était livré à un rituel de sorcellerie qui avait mal tourné.


Michel Fiffe a une trentaine d'années quand il entame cette série qu'il autopublie, et réalise entièrement tout seul. Le lecteur ne sait pas trop comment réagir face à ce qu'il découvre : une tripotée de personnages exotiques, n'existant que par leur superpouvoir et les couleurs de leur costume, une narration visuelle avec des dessins sortant de l'ordinaire de ceux des superhéros, une intrigue qui ne fait jamais de pause, et comme un air de déjà-vu. Qu'il soit un grand connaisseur des comics DC ou Marvel, ou pas, le lecteur se dit qu'il y a comme un air de connu. Des individus dotés de superpouvoirs, majoritairement des criminels, une cheffe pas commode, des missions à haut risque dont il est quasi certains que tous ne reviendront pas vivants… Bon sang, mais c'est bien sûr ! Suicide Squad ! Il identifie d'ailleurs sans peine Deadshot (Floyd Lawton) personnage créé en 1950 par David Vern Reed, Lew Schwartz et Bob Kane. Il se rend compte que le personnage de Vin est également un décalque très proche de Doctor Strange, que Castillo est Punisher (Frank Castle). L'artiste ne représente pas des personnages évoquant de loin le costume ou les pouvoirs des originaux : ils sont quasiment identiques. Sous réserve qu'il connaisse l'itération des années 1980 de l'Escadron du Suicide, le lecteur reconnaît facilement d'autres personnages : Rax pour Rac Shade (personnage créé par Steve Ditko en 1977), Comte Compota pour Comte Vertigo, et bien sûr Sonia Stone pour Amanda Waller (personnage créé en 1986 par John Ostrander, Len Wein et John Byrne). Avec l'arrivée de cette dernière dans l'église, le doute n'est plus permis : Michel Fiffe réalise un hommage direct et premier degré à la version de Suicide Squad (1987) par John Ostrander & Luke McDonnell. C'en est même troublant que les avocats de DC Comics ne lui soient pas tombés sur le râble tellement il reprend les mêmes concepts et certains costumes à l'identique.


Le lecteur en déduit que l'auteur a considéré la version de Suicide Squad de 1987 comme un genre à part entière, et qu'il a décidé de réaliser une histoire en mettant en œuvre les conventions associées, qui définissent ce genre. Le lecteur retrouve donc ce goût de mission impossible, d'agents pouvant y rester, de déroulement partant en vrille du fait d'imprévus. Il ne manque à l'appel que les mésententes entre les membres de l'équipe, pouvant aller jusqu'à la trahison sur le champ de bataille. Le scénariste tente bien de temps à autre d'ajouter une petite touche de personnalisation : la jeunesse de Patrick Dale pas forcément encore à l'âge adulte, la perte des siens par Benicio Sandoval, la liaison qu'il avait avec Sonia Stone, et quelques autres. Mais tout cela n'a pas grande incidence sur le déroulement des événements, leur étrangeté et le risque d'y laisser sa peau. Tout commence avec un mystérieux artefact magique, puis avec la soif de pouvoir du supercriminel Vitas qui fut autrefois un membre de Copra. Il faut l'arrêter coûte que coûte, soit pour se venger de la destruction de la ville et de la famille de Sandoval, soit pour éviter qu'il ne provoque une catastrophe encore plus grande, soit pour mériter son salaire, ou peut-être sa réduction de peine, encore que Fiffe n'expose pas trop ce dernier point.


En regardant la couverture, le lecteur identifie donc sans peine le costume de Deadshot, celui de Bronze Tiger, et la veste M de Rach Shade. Il peut être un peu surpris par l'absence de décor en arrière-plan, mais cela fait mieux ressortir les personnages, et par la variété des épaisseurs des traits de contour, sans raison apparente. Pour une raison inexpliquée, l'artiste a fait le choix d'un papier légèrement jauni, parfois d'un léger marron, peut-être un clin d'œil au papier journal bon marché des années 1980, comme s'il s'agissait d'un comics de cette époque ayant subi le passage du temps, une volonté de faire vintage, ou de faire bon marché. Il retrouve dans les dessins de la première page, cette étrange hétérogénéité dans les traits de contours, en épaisseur et en netteté. Il comprend que cela peut faire ressortir comme une sorte de fourrure pour le costume de Man-Head, mais pour le reste ? Mystère. Il remarque également que la morphologie des uns ou des autres semble mal assurée par endroit. Il note comme une forme de naïveté dans la narration visuelle, que ce soient les décors, les accessoires, ou certaines postures. À nouveau il peut y voir au choix un parti pris esthétique fait sciemment pour évoquer des comics plus artisanaux, ou une limite de l'artiste.


Le lecteur est vite happé par le tourbillon d'aventures échevelées, et il en oublie de s'attarder sur la structure de l'intrigue ou sur les caractéristiques des dessins. De temps à autre, il sent son regard s'attarder sur une case, au contraire parce qu'elle apparaît singulière, plus marquante. C'est le cas par exemple pour le costume de Gracie, pour l'apparence de Vitas qui semble tout droit sorti des ennemis de la Doom Patrol de Grant Morrison, de l'explosion qui détruit la ville, de la séquence où Vin jette un sort avec Xenia pour sonder l'artefact en forme d'éclair, de Gracie en train de sauter d'un immeuble à un autre dans une pose évoquant Miho dans Sin City de Frank Miller, ou d'un combat bien chorégraphié. Si tant est qu'il s'agisse de limitations artistiques qui rendent certaines cases ou certaines proportions un peu gauches, l'artiste fait mieux que compenser avec une maîtrise remarquable des conventions visuelles des comics de superhéros, introduisant ainsi une variété de plans, et chacun remarquablement adapté à l'action en train de se dérouler. De la même manière, l'intrigue semble parfois sauter dans une nouvelle situation sans avoir pris le temps d'acter les conséquences de ce qui vient de se produire, de prendre connaissance des répercussions. Là encore, l'auteur fait plus que compenser par son inventivité et le rythme du récit. Dans le texte de postface, il explique que Walt Simonson lui a exposé le principe de briser la barrière Kirby : produire les pages rapidement, sans jamais se retourner, sans jamais revenir en arrière pour en modifier une. Cela peut expliquer pourquoi le récit fonctionne parfois sur le principe de la fuite en avant, sans s'appesantir sur les événements passés.


Voilà un premier tome bien étrange, pour une série très originale. Michel Fiffe réalise un hommage transparent et entièrement assumé à la version de 1987 de Suicide Squad par Ostrander & McDonnell, en ajoutant quelques personnages comme bon lui semble, au travers d'une narration visuelle parfois mal assurée, ce qui en apparence peu donner l'impression d'un récit amateur (fan fiction). Mais dans le même temps, il crée une œuvre résolument originale qui n'appartient qu'à lui, une sorte de récit de superhéros conceptuel, entièrement tourné vers l'action, les hauts faits et le spectaculaire, sans contrainte de plausibilité ou même de structure narrative trop rigide, ce qui peut s'avérer parfois un peu décontenançant.

Presence
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le 11 déc. 2021

Critique lue 110 fois

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