Le rêve est un égout d’eau claire, mais c’est un égout quand même.
Cinq récits sur des hommes qui rêvent, et un point commun qui réunit toutes ces histoires : la désillusion et les femmes cruelles. Les intrigues sont réussies, plutôt riches, et certaines concentrent en dix pages ce que pas mal de BDéistes n’arrivent même pas à faire tenir en soixante planches ...
Chaque histoire reprend et déforme un conte ou une histoire pour enfants, comme si les personnages étaient des adultes désespérés qui rêvent encore vaguement comme des gamins. Les titres des histoires sont assez bien trouvés : le Gros Poucet, Cheveux bleus, ou encore La Cendrillonne.
L’hommage à Tintin est un bijou du genre, avec une réflexion parfaite sur le destin des personnages de BD.
Mais le véritable miracle de cet album, ce n’est pas le scénario : ce sont les dessins !
Des graphismes anguleux, acérés, particulièrement expressifs ; un découpage aéré, géométrique, truffé de symboles ; une mise en couleurs extrêmement pure, qui fait la part belle au blanc et aux couleurs adoucies. Chaque planche semble être composée d’un seul tenant, avec ses codes et ses logiques propres. Rien n’est laissé au hasard, le dessin est maîtrisé de bout en bout.
Les graphismes s’arrondissent pas mal dans les quatre derniers récits, mais le trait du premier est époustouflant : des perspectives arrogantes, des visages étincelants, des silhouettes musculeuses, tout cela balance le lecteur au cœur d’un monde riche et impitoyable.
Buffin possède une patte graphique complètement unique, jamais imitée dans la BD : on trouverait son dessin quelque part à mi-chemin entre la peinture cubiste de Picasso, les esquisses éthérées de Peeters & Schuiten, et le pop-art un peu rétro. Ces dessins sont simplement magiques.
(Et quand on pense qu'apparemment, Cruelles est la seule et unique BD qu'il ait jamais dessinée !)
Un album à lire absolument, ne serait-ce que pour s’en prendre plein les yeux.
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