Il faut voir dans quel état se trouvait Daredevil avant que Frank Miller en reprenne les rennes. Le tome 0 des éditions Panini en donne un aperçu. Le héros se farcissait à chaque court numéro une pléiade de bad guys sans jamais qu’aucun enjeu réel ne vienne perturber ses exploits. L’écriture n’avait pas bougé d’un iota depuis la création du personnage et le lecteur avait encore droit à des commentaires légers made in 60’s.
Puis Miller arrive. Il recentre son écriture autour d’une petite poignée de personnages qu’il prend le temps de développer, étire son récit autant que nécessaire et n’imagine plus un numéro comme un one-shot. Avec lui, Bullseye devient un psychopathe victime d’hallucinations qui tue les passants à coup de couteau en plein New York. Caid, une montagne de graisse et de muscle contre laquelle Daredevil ne peut presque rien.
Et il y a des influences nippones dans la façon qu’a Miller d’iconiser chaque personnage. Il y a sûrement le poids d’un Kenji Misumi dans les personnages d’Elektra ou de Kirigi. Ses personnages sont surhumains, sont de vraies armes folles mues par leur amour ou par leur désire de vengeance. Le microcosme d’Hell’s Kitchen devient avec eux une seconde Gotham.
Et finalement, tout ce qui fait le style de Frank Miller est déjà en accomplissement dans ces pages. Le découpage est ingénieux et les dessins magnifiques. Les bastons, elles, sont précises. Elles durent sur plusieurs pages et Miller fait tout pour les rendre mythiques. La ville n’est plus un simple décor de fond mais un élément fort du récit dont les personnages se servent. Chaque rebord d’immeuble, vitre brisée ou lampadaire devient une arme ou un chemin. Chaque coup de pied porte quelque part, brise une rotule, déchire un muscle. La scène de baston dans le métro entre Bullseye et Daredevil est l’exemple parfait du style Miller en gestation qui trouvera sa forme aboutie dans un Batman Year One par exemple.