C'est bien beau de réaliser une brillante introduction marrante à une série, mais il faut assumer les conséquences de ce qu'on a mis en place dans le premier épisode.
Or, Garulfo a réussi à se mettre à dos tout un tas de gens importants, et le présent épisode le voit en train d'échapper aux pièges, attaques, et agressions successifs dont il est la cible. La philosophie du récit est rien moins qu'humaniste : les hommes sont enfermés dans leur univers mesquin, dans leurs passions et ambitions à courte vue, et incapables d'en sortir; Garulfo a tort de les idéaliser, ce que semble suggérer la fin de l'épisode. La sorcière lui assène d'ailleurs une leçon de misanthropie (planche 13). Le traumatisme majeur lui vient du sort que les hommes ont réservé à Fulbert, son ami canard (planches 17 et 18).
Le récit vaut donc surtout par les détournements et caricatures qui émaillent les désillusions notre prince-rainette. Les planches 1 et 2 ridiculisent le thème du beau chevalier combattant le dragon pour sa belle, et d'ailleurs Garulfo n'éprouve strictement aucun sentiment envers Pipa, qu'il s'est mis en tête d'épouser. Notre batracien anthropoïde ne serait-il qu'un arriviste cynique ? Son but est de s'intégrer le plus haut possible dans la société humaine, et, à ce qu'il en sait, il faut pour y parvenir épouser à tout prix une princesse. Peu importe que ce soit la première mocheté venue sur un chemin de ferme.
Reprise plus harmonieuse du héros combattant un monstre pour sa belle : planches 41 et 42.
Scénaristiquement, il est délicat de concocter la fuite d'un grand imbécile candide et confiant quand deux ou trois bandes de tueurs sont à ses trousses : il risque d'accueillir à bras ouvert le premier coup d'estoc qui se présente. Ayroles se joue de la difficulté en tablant sur la concurrence entre deux groupes de tueurs, ce qui permet à Garulfo d'apprécier une première fois les avantages de l'état de grenouille : au moins, celui-ci permet de se débrouiller sans peine sous l'eau ! (planches 4 à 7). Au cours de la même séquence, on ne sous-estimera pas la jubilation enfantine que nous communique Garulfo lorsque sa séance de natation se résout en jeu de parc aquatique, avec rapides, et une vertigineuse chute d'eau au-dessus de laquelle on plane (planches 8 et 9).
Comme dans la bataille finale du "Seigneur des Anneaux", ce sont des aigles qui sont chargés de garantir à Garulfo la possibilité de poursuivre ses aventures (planches 11 et 12).
La seconde tentative d'assassinat de Garulfo joue un peu sur la même forme de concurrence entre plusieurs individus patibulaires (planches 23 à 25). Le spectacle est assuré par des numéros de voltige (planches 26 à 29). Quant à la troisième tentative, elle voit intervenir un loup...
On aime bien les familiarités du Roi local, cynique mais assez brave mec. La liste des noms fort médiévaux tirée de ses archives laisse place, à la lettre G, à un "Goldorak" que l'on devine sous d'illustres références littéraires. Le personnage d'Anjalbert de Gonfalon, gros costaud pourfendeur de dragons, mais myope comme une taupe, est réjouissant (planches 38 et 39), ainsi que les revendications populaires planche 43.
Les dessins offrent toujours de beaux talents de caricaturiste, en même temps que des couleurs lumineuses et variées, qui égaient l'ensemble (planche 12). On apprécie la laboratoire-cabinet de curiosités gothique du savant de service (planches 15 et 16), le bourg blotti avec son lavoir au pied du château (planche 20).
Vu la manière dont se termine le récit, tout pourrait s'arrêter là. S'il y a une suite, il faudra réamorcer l'intrigue façon "Saison 2".