Par principe, j'attends davantage d'un Seinen que d'un Shônen. Suffisamment lucide pour me rendre à l'évidence, la tranche [seize ans et plus] me parle encore davantage que la catégorie [douze ans et plus]. J'ai cessé il y a longtemps d'être un jeune abruti pour gracieusement évoluer d'ici à ce que je devienne un vieux con. Deadman Wonderland, j'y allais confiant. Non pas que j'en attendis quoi que ce soit, mais espérais de Kazuma Kondou et Jinsei Kataoka qu'ils fussent suffisamment consciencieux dans leur ouvrage afin de m'épargner au moins la crise de nerfs ; celle-ci ne me guettant que trop souvent au détour de la myriade de Shônens venus m'accabler ces temps derniers.
Face à une œuvre inconnue : ne jamais baisser sa garde et surtout ne pas se fier au label. À défaut de sans cesse escompter le meilleur il faut entrevoir le pire. Le pessimisme et la paranoïa ont ça d'agréable qu'ils nous évitent les mauvaises surprises. Le pire, j'aurais dû le supputer car c'est manifestement à ça que les auteurs aspiraient alors qu'ils poursuivaient impunément le récit de Deadman Wonderland.
Ganta aura été envoyé en prison sans preuve concrète, sans arme du crime ; sans même un témoignage ou l'ombre d'un faisceau d'indice susceptible de l'accuser. Qu'il s'agissait d'un coup monté, c'est entendu, mais puisque machination il y avait, il convenait de rendre la chose crédible aux yeux de l'opinion public. Ce n'était pas pour un vol à l'étalage qu'on l'avait traîné devant un tribunal mais un exorde de génocide. Quand on accuse quelqu'un d'un crime aussi grave, on se donne au moins la peine de fabriquer de fausses preuves plutôt que d'abattre le marteau à peine la séance ouverte.
Quand, d'entrée de jeu, rien n'a été pensé, c'est que la pensée du scénariste se rapporte généralement à ce même rien étalé à longueur de planches. J'aurais été confronté à l'inanité tant de fois que je parviens maintenant à me représenter le néant à l'œil nu.
Peut-être que le préambule aura été bâclé pour entrer plus rapidement dans le vif du sujet, sans doute aurons nous droit à un manga carcéral cuisant à mi-chemin entre Rainbow et Battle Royale. C'est en tout cas ce que pourrait se dire un optimiste. Espérer ; voilà une erreur à ne pas commettre quand on entame une œuvre par le dépit et la déception.
La trajectoire initiale du manga, déjà peu engageante et porteuse d'un avenir incertain, déviera bien assez tôt de son itinéraire à la seule fin de chavirer sans grâce ni distinction. La débâcle fut si désastreuse que Deadman Wonderland ne put cacher encore bien longtemps la nature même du fiasco contenu dans ses planches : celle d'un Shônen. Et pas d'un bon, je vous prie de le croire.
Quand la nunuche attardée à la force dévastatrice et à l'affection injustifiée pour Ganta sortit des fourrées pour se présenter à nos yeux dépités, je savais alors dans quoi je m'engageais ; la tentation de la désertion n'avait alors jamais été aussi forte. Une hystérique chevronnée qui passera son temps à sauver les miches de l'homme qu'elle aime, le tout, avec une loyauté d'épagneul et un sens de l'abnégation à faire rougir le museau de Lassie chien fidèle. Non, je n'avais alors plus aucun doute ; je relisais bien Mirai Nikki. De l'Enfer, on ne s'en échappe pas, on ne s'en éloigne que pour y replonger tête la première. Les flammes, le souffre, la torture, je puis encore supporter, mais pas ça. Tout, mais pas ça. Pas encore.
Si l'on est désespéré au point de chercher à voir le bon au milieu du mauvais, nous pourrons toujours nous consoler frugalement en nous disant qu'au moins, nous n'aurons pas eu trop de mal à identifier les antagonistes. Il faut dire que leurs rires de dément et leur cruauté gratuite aident le lecteur à se faire une idée les concernant. Mais Kazuma Kondou et Jinsei Kataoka auront beau y faire, jamais ils ne les rendront aussi détestables que l'intrigue.
Au départ, on jurerait que les personnages sont plutôt plats dans l'ensemble, mais cela ne dure que d'ici à ce que l'on prenne consciente qu'ils le sont dans leur entièreté. Des protagonistes-fonction au caractère défini par une variable chacun, cette dernière se résumant à une ligne seulement. Ce ne sont pas eux qui façonnent l'intrigue, c'est l'intrigue qui a été façonnée pour eux ; ils n'en sont que les paramètres, pas les acteurs.
Aucune mort n'aura d'impact sur un lectorat qui ne considérera ces personnages que pour ce qu'ils sont vraiment : de l'encre sur du papier qui n'aura rien su suggérer au-delà. Inutile de s'abaisser à leur donner des noms d'oiseau alors qu'ils ont choisi de s'en attribuer eux-même le plus spontanément du monde.
Deadman Wonderland, le Battle Royale édition SEGPA. Tout y est excessif, à la limite du delirium fantasque alors que la torture infligée aux captifs frise le ridicule.
Le manga est un The Promised Neverland en nettement moins élaboré. La proximité est telle qu'elle se repère même parfois au niveau du dessin. J'imagine que Deadman Wonderland aura finalement inspiré autre chose que des envies d'autodafé.
Car, comme si l'appartenance au Shônen n'apparaissait pas aussi patente que depuis les prémices de l'œuvre, les auteurs se sentent de rajouter des pouvoirs magiques motivés par des prétextes pseudo-scientifiques. Avec - bien entendu - la sempiternelle parenthèse des expérimentations humaines. Être médiocre ne suffit pas, il faut en plus démontrer que l'on n'a aucune originalité à revendre.
Qui dit Shônen sans inspiration aucune suppose aussitôt les confrontations brouillonnes où le manque flagrant de volonté créatrice renvoie instamment vers les destructions aveugles et autres crises d'hystérie coutumières. Le manga ne se réduira d'ailleurs plus qu'à ça passé le premier gnon tout en se payant le culot de faire traîner les combats ; le supplice n'en est qu'un que s'il dure, voilà des auteurs qui ont appris à bonne école.
Death Note aura élevé le Shônen jusqu'à tutoyer le Seinen, Deadman Wonderland aura avili le Seinen pour le faire plonger au plus profond de la fange excrétée par le Shônen. Un parcours croisé qui en dit long.
Le script - appelons ça comme ça - ne prendra forme qu'au gré d'une continuelle gesticulation sourde et erratique dans un cul-de-sac scénaristique. Voilà qui est gênant à regarder et plus embarrassant encore à lire alors que tous s'agitent en vain afin de sécréter une parodie de drame d'ici à ce que le dénouement - qu'on devine décevant à la mesure de ce qui l'a précédé - n'advienne enfin pour délivrer le coup de grâce.
Les auteurs craignaient sans doute que certains masochistes ne soient encore disposés à les lire alors qu'ils n'avaient précisément rien à écrire depuis le départ. Afin de faire fuir - je le crois - les plus téméraires s'étant infligés une œuvre sans autre vocation que celle de rebuter son lectorat, le duo derrière Deadman Wonderland jettera les Flash-Backs pompeux et déjà lus mille fois comme autant de grenades à main nécessaires afin que le reste de leur suiveurs ne rebroussent chemin. Il y a là assez pour gaver sans qu'il ne vienne à manquer.
Puisque nous relisons ici Mirai Nikki, Shiro se retournera le plus prévisiblement du monde contre Ganta à l'issue d'une énième foucade de la trame qui espérait sans doute suggérer du drame. La farce ne durera pas tellement et, après s'être fait gentiment donner la bastonnade, la jeune fille chouinera et hoquettera ce qu'il faut avant de finalement renoncer à son statut de méchante honoraire. Comme quoi, une bonne rouste remet les idées en place.
Fidèles à leurs engagements, les auteurs ne dérogeront pas d'un iota à leur lubie malsaine consistant à faire de leur œuvre un dépotoir dans lequel tous les poncifs Shônen - et surtout les plus mauvais - se déverseront discontinuellement jusqu'à la dernière page du calvaire qu'ils n'en finissaient pas de rédiger. Un épilogue de deux cases pour chaque personnage, une fin sirupeuse où tout se termine bien ; un suppo et au dodo. Une fin qui fait judicieusement honneur à l'histoire qu'elle boucle autant qu'elle bâcle.
D'abord surpris d'avoir pu tant écrire sur ce qui n'était finalement qu'un énième concentré de néant, je considérai finalement que cela n'avait en réalité rien d'étonnant. D'une œuvre si creuse, on n'en retire fatalement que de la profondeur. L'écho de mes complaintes porta d'ailleurs très loin face à ce vide éditorial ; tout ce que le Shônen pouvait faire de pire y résonnait depuis les bas-fonds.
Il est quelque part admirable d'étaler de l'encre sur des milliers de pages sans qu'aucun contenu n'en jaillisse jamais. Tirer à côté de la cible en visant son centre, c'est chose aisée. Ne tirer qu'à côté de la cible des heures durant en s'obstinant pourtant à toujours chercher à viser juste, il y a là comme une forme de mérite dans l'impéritie. La médiocrité, poussée jusqu'à ses dernières extrémités, force presque le respect de ceux qui en sont les témoins malheureux. Qu'on me pardonne toutefois si je n'applaudis pas, j'ai pour principe de ne pas encourager les désastres.