L'ombre du mal
Avec "Death Note", on se retrouve devant un manga contenant quelques retournements de situations dont certains interviennent assez tôt, donc dans cette critique je me limiterais à parler surtout de...
le 5 nov. 2014
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Critique rédigée en octobre 2018
24 octobre 2018, j'achève définitivement l'aventure Death Note. Tsugami Ohba aura tout dit, j'en ressors complètement retourné, grandi, et d'avoir été rééduqué à travers ces 12 tomes. Il fallait que j'écrive combien ce manga est grand, combien ce monumental succès culturel doit occuper une place importante dans notre société actuelle.
A posteriori, qui aurait cru qu'un manga puisse dégager un tel impact psychologique sur son lecteur ? Qui aurait cru que des millions de lecteurs puissent s'intéresser de manière aussi sérieuse au monde inférieur, à savoir celui du Royaume des morts, et ses vestiges ?
C'est au même rythme que ces questionnements me venant à l'esprit lorsqu'il s'agit d'expliquer ce phénomène, que nous suivons le quotidien tout à fait banal de Light Yagami, adolescent âgé de 17 ans, taciturne mais brillant élève à l'école, ambitionnant de consacrer sa vie professionnelle aux sciences au service judiciaire.
Rien ne l'avait préparé à réaliser ses projets autrement jusqu'à ce qu'il trouve par hasard, à la sortie des cours, le fameux Death Note, grâce auquel il se désignera désormais comme l'élu: la vie des gens qui l'entourent est à présent entre ses mains, il est le marionnettiste, ils sont les pantins, et ceux-ci peuvent disparaître à jamais à tout moment.
Progressivement, nous assisterons à la métamorphose du jeune garçon, chargé par ses propres démons de ménager le monde à sa sauce, et de manière extrêmement discrète. Aussi bien entouré d'alibis que d'opposants, Light, plus connu à travers le monde sous le surnom de Kira, est-il finalement le suppôt de Satan, le messie ou la pauvre victime de ses maux?
Les 12 tomes (surtout, je bénis les tomes 1, 3, 4, 7 et 12 soit dit en passant) vont pointer du doigt l'évolution puis la déchéance de celui qui se désigne comme "l'Elu" à travers ses faits et gestes. L'arrivée du "cahier de la mort" dans sa vie éveillera en lui l'une des plus mauvaises passions humaines: l'ambition.
Se désignant comme un dieu, il se servira de ses admirateurs comme d'outils pour parvenir à ses fins.
Parmi ses victimes se trouvent l'idole japonaise Misa Amane dont elle est follement amoureuse, qu'il trompera avec Takada dans le second arc de la série, mais avec laquelle aucune véritable amour ne verra le jour ; Mikami, personnage de passion qui restera innocent puisqu'il sera manipulé par celui qu'il admire, Kira, le conduisant ainsi vers sa fin...
Dans le premier arc, les personnages, que ce soit Light ou L, sont chacun dotés d'un double niveau de lecture, rendant notre perception très variée de l'univers ; le tout, propice à un questionnement politique sur le monde réel sur la valeur de la vie humaine: faut-il combattre le mal par le mal ?
Ainsi nous voici projetés chez Kira, dans ses écrits, dans sa folie. Une ascension qui sera interrompue par l'intervention de L, mystérieux détective désigné comme le plus intelligent qui soit, prenant parti du côté des opposants et qui forcera Kira à redescendre sur Terre.
Qu'on prenne parti ou non pour lesdits personnages, la sobriété des dialogues (plus particulièrement les échanges entre les deux génies) et de l'écriture des réflexions personnelles de ceux-ci n'indiffèrent pas (ce qui, en revanche, pose un léger problème dans le second arc à cause de la large place qu'occupent celles-ci), tant ils sont bien écrits et nous tiennent en haleine jusqu'à
la résolution du premier problème majeur de Kira, à savoir, réussir à éliminer L.
Les nombreuses sous-intrigues constituant le premier arc sont parfaitement orchestrées tant le personnage de Light / Kira fascine par sa subtilité et sa capacité à résoudre les puzzles que lui imposent ce(ux) qui lui met(tent) des bâtons dans les roues.
S'en suivra ensuite le second arc, celui qui divise la plupart des admirateurs de l'homme au cahier: le récit devient une dystopie (même une utopie pour certains), nous faisant imaginer un monde futuriste situé à la fin des années 2000 et nous présentant un Light adulte parvenu à ses fins. En revanche, puisque l'on n'échappe pas à son passé, il sera de nouveau confronté à ses vieux démons.
Avec un climat plus mélancolique que pour l'arc précédent, cette seconde partie, tel une pièce de tragédie, nous prouve qu'on ne peut échapper fatalement au mal qu'on pourrait avoir commis autrefois, d'où l'apparition de Mello et Near,
les dignes successeurs de L et dont ce dernier parviendra finalement à vaincre Kira alors que ce dernier était trop emporté par son orgueil et sa détermination à être plus puissant que n'importe qui ; ceci entraînera entre autres la mort de son père, Sôichirô, événement à partir duquel la déchéance prend de l'ampleur, et sa trahison envers Misa rien que dans le but de parvenir à ses fins.
Grosso modo, alors que tout ceci part de la bonne initiative de nettoyer la Terre de la persécution et de la terreur, notre héros / antagoniste cédera à son égocentrisme dans le second arc dans lequel tout va basculer pour lui: il ne réussira à maintenir qu'un désir de gloire et de pouvoir, ce qui lui fait totalement oublier la valeur de la vie humaine.
On est donc ici face à un ample portrait du personnage, l'Epicurien par excellence. Tel DiCaprio dans un film tel que Le Loup de Wall Street ou encore Ryan O'Neal dans Barry Lyndon, notre Light se retrouve malgré lui victime de la tentation vers le mal, et alors que Ohba ne prend pas parti, il fait réagir le lecteur sur sa représentation de la Mort, ce qui touche à la fin: personne ne peut y échapper, quel que soit sa situation, en particulier lorsque l'on s'engage à devenir une personne comme Kira, fruit d'une controverse digne de notre actualité en 2018.
Light a conçu sa vie tel qu'il le souhaitait, mais en commettant le mal. Ohba a voulu montrer, à
travers ce paradoxe moral rendant l'oeuvre accessible, que malgré la folie de Light, c'est un personnage typique qui a su profiter de la vie à sa manière, et c'est ce qui fait l'essence d'une vie humaine selon l'auteur.
Un final qui, par ailleurs, fait froid dans le dos puisqu'on est plongé dans le ressenti de Light lors des événements, et finalement, n'importe quel lecteur pourrait se retrouver à sa place tant la mise en plage est réaliste et les retournements de situation brillamment conçus.
Le graphisme de Takeshi Obata est parfait, que ce soit les décors, le style physique des personnages ou leurs expressions, les rendant attachants. Personnellement, même en ayant lu les bulles, je suis capable de rester plusieurs secondes sur la même planche tant le dessin est beau et adapté à ce qui fait l'essentiel de l'oeuvre.
Enfin, là où certains mangas tels que Dragon Ball contenaient un humour bien trop présent et bien peu accessible à partir d'un certains âge, Death Note parvient à inclure un humour bien introduit et qui réussit à ne pas trahir l'atmosphère glauque qui doit se dégager: on rira facilement devant face à la gourmandise de Mello, L et surtout Ryûk, le dieu de la mort montrant, en réclamant des pommes en échange des services qu'il rend à Kira, qu'il souhaite être lié au monde des humains pour être associé à eux.
Aussi, Misamisa, la mannequin naïve et à l'apparence de petite fille, sera présenté comme un personnage déterminé à vivre de sa passion ; or, comme nous le savons, Kira, hormis pour le pouvoir, n'est pas un personnage de passion. On a donc tantôt de la pitié, tantôt de la sympathie envers cette fille.
Oeuvre polyvalente, philosophique, dramatique, à suspense, comédie noire, l'univers Death Note est un monde extrêmement riche, un reflet plus que d'actualité de notre société actuelle qui m'a murmuré au creux de l'oreille de devenir ce que je suis réellement. Des rebondissements à n'en plus finir contribuant à une intrigue tenant en haleine du premier au dernier tome, une ambiance hors du commun nous réconfortant dans l'idée d'avoir affaire à la Grande Faucheuse, et surtout, un raisonnement politique bien vaste faisant de ce manga une oeuvre unique en son genre. Arigato gozaïmasu Tsugami Ohba, il me tarde de voir l'anime !
Seuls ceux qui sont assez fous pour penser qu'ils peuvent
changer le monde y parviennent.
Henri Dunant (1828-1910)
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Créée
le 18 déc. 2020
Critique lue 156 fois
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