Le symptôme
Toi, lectorat Shônen des premières heures, t'a-t-on tant baisé la gueule avec ce qu'il y a de plus exécrable que tu en as oublié jusqu'au goût du sucre ? Reviens à la raison, reviens à la maison,...
le 27 août 2022
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Toi, lectorat Shônen des premières heures, t'a-t-on tant baisé la gueule avec ce qu'il y a de plus exécrable que tu en as oublié jusqu'au goût du sucre ? Reviens à la raison, reviens à la maison, reviens de là où la médiocrité t'a abandonné. Retrouve les bons réflexes ; aime ce qui peut être aimé et conspue ce qui en est indigne. Tiens, prends cette torche et laisse-moi accompagner ta main afin qu'enfin, dans un ultime sursaut de bon sens, tu t'en ailles immoler les idoles d'un culte stérile injustement voué à ce qui se fait ces temps-ci.
On le sait, y'a des études là-dessus ; l'existence des Shônens convenables, ça se peut. Ça se peut même vachement sur le papier. Mais si on laisse transgresser le pire, qu'on lui offre les assises les plus confortables pour qu'il s'installe, prenne ses aises, et ne s'en aille jamais, c'est le meilleur que tu contraints à s'exiler, voire même à se conformer à la médiocrité ambiante. Faut savoir dire «non». Voltaire professait l'éloge de la tolérance, je prends son contre-pied tout en suppléant son irrévérence coutumière et je vous dis à mon tour qu'il vous faut devenir intolérants ; si ce n'est par strict bon goût, au moins par instinct de survie. Parce qu'à ingurgiter de la merde dans des proportions aussi démesurées, y'a quand même de quoi tomber malade ; à en crever peut-être. On vaut mieux que ça et même si le Shônen ne nous désigne plus comme cible prioritaire pour la plupart d’entre nous, les générations de lecteurs qui nous succèdent ne méritent pas une si terrible initiation au genre.
Toi, n'esquive pas ma plume parce qu'elle te gêne, considère que l'encre ici versée est mêlée à des larmes de dépit. Pourquoi ? Parce que tu as commencé ton périple manga avec Dragon Ball là où d'autres, plus jeune, seront dépucelés salement avec Demon Slayer. Tu as des frissons ? Tu peux, parce que cette pensée est glaçante. Un Dragon Ball, il en faudrait un si ce n'est deux par décennie, et c'est pas avec madame Gotouge qu'on va ragaillardir un genre qui se sclérose sur place. Si je prends Demon Slayer en exemple, c'est pour ce que sa popularité soudaine a eu d'emblématique et d’inquiétante. Mais, derrière lui, en réalité, c'est une myriade d'autres que je désigne. Demon Slayer prend pour les autres – qui ont déjà bien pris sous ma plume – parce qu’il se sera payé le culot d’avoir été trop flamboyant sans pour autant émettre la moindre chaleur. L’autodafé, dans ces conditions, s’imposait de lui-même.
Qu’on s’entende, Demon Slayer, ça n’est pas le pire du pire en matière de Shônen, ça n’est pas la valeur étalon, mais c’est un symptôme trop flagrant de ce qu’est devenu le Nekketsu. Un symptôme innocent qui recouvre une pathologie lourde ; une des innombrables pustules présageant la peste bubonique. Et ce bubon-ci serait paraît-il sorti du lot d'après un lectorat ayant renoncé au principe même de l'exigence. C’est donc sur ce manga qu’on va s’attarder.
Le cahier des charges du Nekketsu contemporain est respecté à la lettre, aucune inquiétude à avoir de ce côté-là. Pas une fausse note dans la symphonie atonale : tout est mauvais. Tout. Les personnages sont pétris d’une extrême platitude agaçante. Du garçonnet pur et innocent au ténébreux qui n’a rien à dire en passant par le comique de service dont l’humour se borne à hurler très fort ; tout y passe. Les dessins sont loin d’être attrayants et présentent une rigidité dans l’anatomie des personnage en plus de ne jamais s’appesantir sur la moindre once de détail graphique.
Des mérites, il y en a. La thématique d’un héros qui traîne avec lui sa sœur devenue démoniaque – partiellement du moins – intrigue. Mais le ressort finit par rouiller bien assez tôt et, passé ce cap liminaire, il n’y plus de nouveau souffle à espérer. Le monde des humains contre les figures démoniaques, ça aura été pas mal abordé dans le Nekketsu. Et pas qu’un peu ; aussi bien dans le Shônen que dans le Seinen. Le genre – parce que c’en est un à force – aura même été poussé si loin que certains en seront venus à le déconstruire. Difficile de se démarquer dans ce contexte alors que tout ou presque a déjà été fait et sera d’ailleurs réitéré ici.
Et pourtant, bien qu’il y ait autant à en dire qu’à en vomir, il y a un petit quelque chose au début, c’est indéniable. La dissection aura bien mis plusieurs chapitres avant que les résultats m’apparaissent évidents : il y a une sobriété dans le trait qui se reporte jusque dans la narration initiale. Pas une sobriété contemplative, simplement un récit porté sans excès ni fioriture. La chose, dans le Shônen, m’était alors si peu coutumière, que le simple fait d’imaginer un récit sans cet agrément m’était impossible. Il n’y a, au départ de l'œuvre, pas d’emphase exagérée chez les personnages ; nous n’avons pas affaire à des acteurs. Cela ne corrige évidemment pas le travail d’écriture pour le moins lacunaire dans l’élaboration des personnages, mais cela suffit à rendre la chose acceptable. Du moins comestible à ses débuts.
Ce que j’avais pris comme un dessin relativement grossier transcrivait en réalité une ambiance dramatique mais sans tension. Il faut y regarder à deux fois, surtout dans les premiers volumes, mais le dessin sert d'abord admirablement son œuvre en lui faisant honneur. Même s’il n’y a pas une once d’audace ou d’originalité dans les designs qui nous parviennent, le trait ne saurait pour autant être qualifié de quelconque ou même de standardisé. On ne révolutionne pas ici le milieu graphique dans le Shônen, mais on le réforme en douceur.
Qu’on se rassure tout du moins, ça ne dure pas et tous les travers graphiques du Nekketsu nous reviennent en pleine gueule bien assez tôt. Ce que j'ai écrit de bien à propos de l'œuvre, on peut alors très vite le rayer d'un trait de plume.
Avec Demon Slayer, il n’y a pas une idée nouvelle qui puisse être susceptible de nous parvenir. Les combats sont si soporifiques que j’ai bien dû manquer de me luxer la mâchoire à force de bâiller et pour ce qui est du reste…. il n’y a rien d’autre. Tout est tacheté de médiocrité, tout à jeter de toute urgence, tout est achevé sans même avoir pris la peine de commencer. Comment ? Si ça se conclue sur le Happy End le plus convenu de l’histoire de l’humanité ? Ça se pourrait bien. Et il y en a qui ont crié au génie un peu comme d’autres hurlent des insanités à cause du syndrome de La Tourette.
La seule consolation qu’on puisse retirer de cette lecture est de s’estimer heureux que le manga n’ait pas duré plus longtemps. Car il aurait pu ! Gotouge a vendu 150 millions de copies ; Demon Slayer coiffait même au poteau l’indéboulonnable One Piece dans les classements. Cette affaire aurait pu nous torturer des décennies entières à répéter en boucle le même schéma scénaristique sans que les couillons de lecteur ne s’en aperçoivent jamais.
Mais les bonnes blagues sont les plus courtes et, l’auteur, sans doute prise de remords, a dû sentir en son for intérieur un sentiment de culpabilité. Je me plais en tout cas à le croire ou, du moins, à l’espérer.
La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit, mais souhaitons que sa prochaine œuvre ne se concrétise pas par le même succès retentissant en reposant sur les mêmes bases mitées.
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le 27 août 2022
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