Morue est loin d'être une beauté. Risée de la communauté, moquée et rejetée, son physique inharmonique la condamne à toutes les cruautés. Mais si Morue n'est pas belle, son monde est un conte. Un du genre de ceux qui étaient une fois, dans un lointain royaume aujourd'hui oublié. Son monde est peuplé de preux chevaliers et de princesses altières, on y honore le Petit Peuple et les crapauds ne sont pas toujours des batraciens: son monde est un conte de fée.
On ne sera donc guère surpris quand une oiselle enchanteresse sauvée d'un destin verruqueux par la disgraciée se voit trop heureuse de réaliser son plus cher souhait. Las! Il est des dons qui ne se voient accordés que penchée sur un royal berceau. Morue n'est pas née princesse: laide elle restera, mais aux yeux de tous, belle à jamais elle sera.
Morue devient Beauté.
Tous, pour ses beaux yeux, d'amour mourraient. Qu'elle ne soit pas marquise pour un sou et surtout sans le sou, ces messieurs n'en ont cure. Beauté déchaîne les passions et réveille les plus bas instincts. La voilà tiraillée, un brin désemparée. C'est que le trio d'auteurs a placé son héroïne sous l'égide de la supercherie. Le trait du couple Kerascoët, que rehausse habilement le travail chromatique de Hubert, ne fixe jamais définitivement les contours de leur personnage. Son visage reste changeant, nous rappelant sans cesse l'imposture, et la douceur des à-plats de couleurs cache des êtres acides. La magie est aussi l'apanage des chipies et notre exaucée n'est guère qu'une péronnelle. Son désir d'être aimée se gonfle d'orgueil, aidé par les pépiements de sa bonne fée qui prend à cœur d'élever la destinée de sa protégée. De châtelaine, la demoiselle se rêve reine, pendant qu'au pied de ses murs s’entre-tuent à corps perdus des amoureux éperdus...
Ce vœu exaucé semble, irrémédiablement, ne provoquer que carnage. Car ce costume de conte qu'endosse le récit n'est lui-même qu'un leurre. S'il en emprunte tous les aspects, c'est pour mieux nous tromper. Le chemin semble familier, ponctué de déjà-vu. Pourtant, au fil de son scénario, Hubert n'a de cesse de titiller, piquer, déranger. Ses fées se dévoilent chacune sous un visage animal, comme un écho des passions primitives qui animent les personnages. Et quand les désirs se font plus policés, c'est souvent empreints de fausseté.
Mais l'heure n'est plus au chagrin pour Beauté, que nous quittons toutes ses espérances comblées. Pourtant dans leur coin, les fées reconnaissant là la marque de leur plus vile congénère de croasser "Vilaine Mab! Vilaine Mab!", confirmant au lecteur naïf qui en douterait encore que le pire est à venir. La façade du conte s'effrite laissant deviner un avenir belliqueux couleur bain de sang.
Beauté n'a pas fini de faire des ravages!