Le rythme est enfin trouvé : comme dans le tome 4, les aventures des personnages fictifs dominent maintenant l’espace du récit, réduisant de ce fait la narration du contexte historique de « La Guerre des Gaules ». A partir de la planche 18, les opérations militaires de l’année 57 sont exposées (« La Guerre des Gaules », Livre II, chapitres 1à 35) : César fait la guerre à diverses tribus belges (Bellovaques, Nerviens) qui envahissaient à leur tour la Gaule. Le primipile Publius Sextus Baculus (planche 23) est tout droit tiré du chapitre 25 du livre II, et le chef nervien Bodugnatos (planche 24) du chapitre 23. Il est très facile, vu depuis notre morale consensuelle bien-pensante, de traiter « La Guerre des Gaules » comme une simple opération impérialiste de la part d’un ambitieux doué. Mais il est tout aussi clair que, sans l’intervention de César, de nombreux innocents gaulois auraient été massacrés par les envahisseurs qui ne se piquaient pas de principes de géopolitique aussi feutrés.
Ambre devient Maman, avec tous les ennuis qui s’attachent à une mise au monde dans des conditions plus que sommaires, et aux risques encourus en se baladant dans un monde ultra-violent avec un nouveau-né sur les bras. Cloduar, bonne pâte, ressemble plus que jamais à Obélix, et, s’il ne s’engueule pas avec Milon, son rival manifestement plus heureux, c’est que le succès de Milon lui-même auprès d’Ambre est malgré tout limité : malgré le dévouement de son protecteur peu entreprenant, Ambre ne perd pas une occasion de lui faire sentir qu’il n’a pas besoin de lui, et, en bonne mère, reste accro au géniteur qui l’a fécondée, ce qui la pousse à une conduite pour le moins... inconsidérée.
Ambre, présentée comme intelligente et cultivée dès le tome 1, devient donc moins sympathique : capricieuse, instable, impulsive, grognonne, faisant une sorte de crise d’adolescence (elle en a l’âge !) en prétendant à une indépendance personnelle radicale qu’elle ne peut personnellement assumer, elle reste sexy, mais faut avoir le moral pour penser qu’on peut rester avec elle longtemps.
Dans ce contexte de guerre et de mœurs barbares, cet épisode fait la part « belle » ( ?) aux atrocités perpétrées par les divers camps en présence : cadavres lacérés, brûlés (planches 29 et 30), plusieurs viols d’enfants, dont l’un en direct, attribué, pour les besoins de l’indignation du lecteur, à l’infâme Didius, grosse outre de sensualité et de libido perverse (planches 40 et 41). Didius est d’ailleurs le premier personnage de la série à enfreindre la règle qui semblait posée dès le départ : donner la parole à la première personne, pendant un temps plus ou moins long, au personnage dont le nom constitue le titre de l’épisode. Ici, Didius est tellement abject qu’il n’a pas droit à cette dignité que confère la confession subjective.
Mitton dessine toujours superbement les armes, les casques, les uniformes, les vêtements, les cabanes gauloises, et parvient à restituer remarquablement cette atmosphère d’une Gaule hivernale, embrumée et enraidie sous la couche de neige, sous laquelle les survivants se blottissent dans de dérisoires chaumières, exposées à tous les dangers. Ce sentiment, assez primitif, nous ramène à notre propre enfance et à une impression de précarité telle que celle transmise par les contes populaires.
Récit de violence et de barbaries, assis sur une documentation sérieuse.