La déflagration Akira résonne encore des décennies après, conséquence d’une œuvre remarquable, que ce soit sous sa forme papier ou son adaptation animée, orchestrés de main de maître par Katsuhiro Otomo.
Mais ce qui précède Akira dans la bibliographie de l’auteur ne doit pas être une ligne biographique à négliger, car Dômu, prépublié entre 1980 et 1981, annonce l’oeuvre phare du maître. Les thématiques et les angoisses d’Otomo sont déjà là, sous une forme plus condensée, plus de 200 pages tendues à en exploser, et loin de n’être qu’un brouillon pour ce qui allait suivre.
L’histoire prend place dans un Japon contemporain, à une approche plus macro, celle d’un quartier résidentiel de grands immeubles, où tout le monde se connaît, où les médisances vont de pair et où le déterminisme social s’abat comme une fatalité. Différentes morts suspectes arrivent régulièrement, sans que la police ne comprenne ce qui les relie.
Le lecteur l’apprend rapidement, ces meurtres sont causés par une seule et même personne, un habitant faussement anodin, à l’esprit dérangé, aux pouvoirs psychiques meurtriers, qui s’amuse à manipuler et torturer ses proies. Le récit bascule alors sur un fantastique assumé, celui d’un potentiel psychique malsain. Mais l’arrivée d’une enfant va tout changer, cette jeune fille possède son innocence tout en révélant une connexion avec le meurtrier, tous deux ont des pouvoirs psychiques et télékinésiques. Elle va l’observer, méfiante, jusqu’à ce que, dégoûtée de son comportement elle réagisse contre lui, sans bien maitriser ses aptitudes, comme le ferait une enfant. Ce sont deux enfants qui vont alors s’affronter, des mutants, qui rappellent ceux d’Akira, bien que ceux-ci ont atteint une maturité qui fait défaut à ceux de Dômu.
Dômu mélange donc les genres, du thriller, de la peinture sociale, de la science-fiction, mais ne perd rien de son objectif, bien loin de ses mangas qui s’étalent sur trop de tomes. L’oeuvre d’Otomo peut parfois prendre son temps, pour mieux habiller ses personnages, leur décor et leurs contextes, mais l’ensemble avance avec une détermination de plus en plus hargneuse, dont la conclusion apocalyptique n’est une fois pas encore si éloignée de celle d’Akira, même si celle de Dômu est à l’échelle d’un quartier à la fois lieu de vie et de mort.
D’ailleurs Dômu dresse aussi le portrait de ces déclassés, que tout le monde juge sans forcément bien les connaître, dont certains pourront tirer leur épingle du feu de la confrontation entre ces deux mutants, même s’il y aura de lourdes pertes à déplorer. Ils sont parfois proches de la caricature, mais pourtant en quelques pages, quelques répliques, quelques regards, ils se présentent avec une densité déjà présente, comme s’ils existaient avant notre lecture.
Katsuhiro Otomo n’avait que 19 quand sa première histoire fut publiée, il n’a même pas 26 ans quand il commence Dômu. C’est peu de dire que l’auteur est un génie, quand on contemple le travail sur Akira ou bien sur cette œuvre. Assez proche du photoréalisme, mais avec une légère exagération dans les visages, son trait n’est pas seulement détaillé, il l’utilise à merveille. Ses mises en scène des pages sont bluffantes, jouant des perspectives, des compositions, pour mener le lecteur là où il le souhaite, de l’angoisse de ce meurtrier invisible à une peur panique devant cette débauche de destruction. Une destruction dans laquelle il excelle, pas aussi radicale que dans Akira, mais qui met à terre ou défigure ces grands ensembles dont on ne sait s’ils contiennent la vie ou l’enferment.
L’oeuvre reste dans l’ombre de son petit frère, le grand Akira, et c’est bien dommage, car il vaut bien plus qu’un élément de comparaison. Dômu est une œuvre vraiment incroyable, à l’épure certaine mais aux thématiques très fortes, qui va à l’essentiel avec un aplomb saisissant, notamment avec son duo de mutants aux caractères d’enfants, antagonistes à la tension électrique.