D’abord, un peu de blabla technique:
Dorohedoro est un seinen de Q Hayashida et il a été prépublié à partir de décembre 2000 dans le magazine Ikki de l’éditeur Shogakukan. En 2015, la série passe dans le magazine Hibana jusqu’en 2017 ou la série change encore de magazine et passe dans le Monthly Shonen Sunday jusqu’à sa conclusion. Trois magazines différents pour une seule série, c’est pas commun mais ça montre que la série possède un vrai public au Japon mais ça montre aussi sa qualité. La série compte 23 volumes au total et est publiée ici chez Soleil Manga, mais on peut dire que le parcours de Dorohedoro en francophonie à été chaotique depuis le début. Déjà le titre est assez confidentiel, mais surtout il n’est pas vraiment bien édité. Peu disponibles -même à leurs sorties- les tomes de Dorohedoro sont difficilement trouvables. Même si la série a été réimprimée complément en 2014 et qu’il y a eu un retirage en 2019, les volumes d’impressions sont tellement réduits que les tomes sont rapidement épuisés. Et la sortie de l’anime en 2020 n’a malheureusement pas vraiment arrangé les choses…
Et c’est bien dommage, tant ce titre est de la folie, mais ça s’explique en partie.
Déjà, le rythme de parution est lent et le titre est peu accessible graphiquement parlant. Et ça, c’est des trucs qui n’aident pas à lancer un titre par chez nous. Parce que Dorohedoro de prime abord, c’est sombre et cru, un mélange d’absurde, (voir de grotesque), d’humour noir et surtout c’est extrêmement violent. C’est un titre sans concessions et il ne parle clairement pas à tout le monde. Moi même, quand j’ai découvert le titre en 2003 via ses deux premiers tomes, je suis passé à coté.
Sans doute que j’étais pas prêt ou pas assez mûr pour apprécier pleinement la folie, la noirceur et la richesse de ce titre. Je m’y suis replongé presque 10 ans plus tard et ça a été une redécouverte totale et une grosse claque dans ma gueule…
Bref,
Dorohedoro se passe dans un monde imaginaire ou cohabitent Humains et Mages. Les uns survivent et les autres… …aussi. Car on comprend vite que rien n’est tout blanc ou tout noir dans l’Univers de Dorohedoro.
Le titre nous est présenté comme la quête de Caïman pour retrouver sa mémoire et comment il s’est retrouvé avec cette tête de lézard. Et le gars y va pas avec le dos de la cuillère, ça ressemble plus a du massacre de mages, qu’a une enquête faut avouer. Mais si on s’en donne la peine, rapidement, en lisant entre les lignes, on comprend que Dorohedoro c’est bien plus que ça. Dans les premiers chapitres tout semble construit de manière empirique, et les éléments nous sont présentés et expliqués au fur et a mesure qu’ils se produisent. Comme la personne qui « vit » dans la gueule de Caïman, les mages et leurs pouvoirs etc. Rien n’est vraiment clair, c’est un peu confus et pourtant ça titille notre intérêt et comme Caïman, on veut savoir. Puis tout se précise, les pistes se font plus claires, les profils se dessinent, les éléments se mettent en place… Pour mieux nous péter à la gueule trois chapitres plus tard, et nous surprendre. Car Q Hayashida multiplie les trouvailles et ose tout pour nourrir son récit. En plus d’enrichir la trame, tout ça à une vraie utilité et du sens. Même si on s’en rend pas toujours compte de suite. On y reviendra…
Les mondes dans lesquels l’intrigue prend place, sont clairement posés et développés. Comment ils sont construits, organisés, leur règles, leurs fonctionnements etc. tout est expliqués et ça a son importance dans le récit. Et si on comprend vite qu’à Hole (chez les humains) la vie n’est pas rose et que la pauvreté règne, lors du récit on nous montre que chez les Mages, et bien, c’est pas la fête non plus. Chaque mage possède un pouvoir unique plus ou moins utile dont la force magique varie. Donc, les différences sont grandes, les inégalités aussi et chacun exerce un boulot en fonction de son pouvoir. Et ceux qui n’ont pas ou peu de pouvoirs sont relégués au rang de parias…
Mais si les parias se regroupent derrière un leader mystérieux, montent une organisation et que même sans pouvoirs, il arrivent a tuer des mages? Et si tout ça à un lien avec Caïman, sa tête de lézard, sa perte de mémoire, que des Mages puissants et même des Diables soient mêlés au truc, on pourrait bien mettre les pieds dans un sacré bordel mais surtout dans une putain d’histoire prenante et addictive ! Même si le récit est parfois un joyeux bordel, où souvent, on avance pour mieux reculer, ça reste pourtant super cohérent ! En plus la magie, les diables toussa toussa, ça permet de partir dans toutes les directions et dans le plus grand délire…
Pendant tout le récit Q Hayashida nous balade, nous désinforme, monte des pistes pour mieux les détourner ou les discréditer… Pourtant et parce que c’est subtilement mené, ça marche et on prend plaisir a se faire balader avec Caïman et Nikaido pour démêler ce sac de nœud et comprendre le fin mot de l’histoire. Et le pire dans tout ça, c’est qu’avec toutes les pistes qu’a montée l’auteure, il impossible de faire des hypothèses sur comment tout ça va se finir… Un peu à la manière de Usual Suspect, c’est à la fin quand les dernières pièces du puzzle se mettent en place, qu’on comprend que tout était lié depuis le début et ce qu’on vient de vivre. Et comment on s’est fait transporter pendant 23 tomes…
Et surtout, c’est à ce moment précis qu’on se dit: « Oh putain ! »
Tout ça servi par une galerie de personnages à la hauteur du récit et qui ne peuvent pas laisser indifférents. Nos héros, Caïman le morfale accro aux gyozas et Nikaido la cuisinière mais aussi la En Family et particulièrement la dimension comique et décalé de Ebisu. Sans oublier le Doc, totalement barré et son animal de compagnie, Jonson, un cafard géant et tant d’autres qu’il est impossible de tous les citer. Les personnages principaux et secondaires sont tous développés et on s’attache à pas mal d’entre eux pour leurs relations, leurs actions ou simplement pour leurs personnalités…
Car Dorohedoro c’est aussi une histoire d’amitié. Celle de Caïman et Nikaido évidemment mais aussi celle des lieutenants des Yeux en croix ou de la En Family -les antagonistes-, tous ont des liens forts et tiennent a leurs amis. Comme je l’ai dit plus haut, rien n’est tout noir ou tout blanc dans Dorohedoro et tout est toujours une question de point de vue même pour les personnages..
Et tout ça est emballé avec une bonne dose d’action (et de gore) mais surtout largement saupoudré d’une touche d’humour noir juste comme il faut. Parfois ça tend un peu vers l’absurde, mais l’Univers le permet largement, et 9 fois sur 10 ça fait mouche. En plus, ça permet de décanter efficacement et judicieusement la dureté de l’Univers (et des dessins) et la densité de l’intrigue.
Niveau dessin, on va pas se mentir, c’est peu accessible. Pourtant, le dessin a une vraie « patte » et dégage une atmosphère un peu sale et glauque qui colle parfaitement au récit. Et malgré tout, ces dessins dégagent un certain charme et les pages couleurs sont très jolies faut avouer. Et l’auteure à un vrai sens de la composition que ce sois pour les cases ou les pleines pages, c’est jamais bancal. Q Hayashida, travaille seule, sans assistants et à réalisé Dorohedoro de A à Z. D’ailleurs, avec ce dessin atypique ce serait dur de faire intervenir d’autres dessinateurs.
Concernant l’édition, on l’a vu plus haut, ils sont pas faciles à trouver. Édité par Soleil Manga en grand format et bénéficiant régulièrement de pages couleurs, même si la série est confidentielle, l’éditeur n’a jamais changé ses standards de qualités pour les 1er tirages. Par contre pour les réimpressions, exit les pages couleurs, ou l’effet « peau de lézard » sur la jaquette des premiers tomes.
Dans chaque tome, on trouve une histoire bonus généralement humoristique et un des trucs que j’adore, le résumé du tome en quelques points.
Dorohedoro est un titre qui pages après pages, ne cesse de surprendre, de se renouveler et de passionner… Une claque narrative et visuelle, une lecture qu’on oublie pas.
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