Ce tome fait suite à Danse macabre qu'il faut avoir lu avant. Il est initialement paru en 2002, publié par les éditions Nickel (il a bénéficié d'une réédition en 2016 par Glénat). Le scénario est de Pat Mills. Olivier Ledroit a réalisé les dessins et la mise en couleurs.


Comme dans les 2 premiers tomes, celui-ci s'ouvre avec une scène sur le front de l'Est en 1944. Heinrich Augsburg joue du lance-flammes avec un zèle effrayant. 2 ans plus tôt, sa relation avec Rebecca avait pris une tournure malsaine lorsqu'elle lui avait montré l'étoile jaune ornant son manteau. Au temps présent, Igor continue d'espionner Sire Cryptus en pleine discussion avec Sire Mortis. Au temps présent sur Résurrection, à l'occasion de la danse macabre, Requiem doit affronter le démon Charnel, sous les yeux d'Attila, Caligula, Élisabeth Bathory, Black Sabbat (le maître de Cryptus). Du fait de cette interruption, Dame Claudia Démona en a profité pour aller batifoler avec une autre personne.


Les relations entre chevaliers vampires se complexifient grandement, alors que Requiem réussit à savoir qui a envoyé le démon Charnel, et qu'Attila se positionne vis-à-vis de lui. Il y est également question de la réincarnation de Thurim. Mitra nomme une nouvelle à la tête de la flotte des pirates du ciel. Requiem est assailli par le spectre des individus qu'il a envoyés à la mort où qu'il a massacrés. Les chevaliers vampires sont envoyés en Lémurie pour affronter les lémures qui ont coupé la route d'approvisionnement de l'opium noir. De son côté Rebecca prépare la guerre contre les chevaliers vampires, avec Sean à ses côtés. En particulier il faut qu'elle gère le chef de meute des loups garous.


Le lecteur a maintenant bien intégré le principe : chaque tome commence par un petit retour en 1944 qui permet d'en apprendre plus sur Heinrich Augsburg. Mais, plus que de découvrir la suite de l'intrigue, ce qu'il anticipe avec plaisir, c'est de retrouver les visions dantesques d'Olivier Ledroit. Les dessins sont toujours aussi somptueux et macabres, et les moments de bravoure picturale ne manquent pas. Outre l'ambiance unique le lecteur se délecte de ces images monumentales, avec une méticulosité obsessionnelle dans leur exécution. Le combat entre Requiem et Charnel se poursuit avec une case de la hauteur de la page dans laquelle se déroulent des kilomètres de chaîne (à faire pâlir d'envie Spawn de Todd McFarlane) et Charnel enveloppé du drapé des entures, pour un moment tout en mouvement, avec une grâce aérienne. Quelques pages plus loin, le lecteur contemple un spectacle enchanteur : le vaisseau des pirates du ciel revenant vers la forteresse volante de Mitra. Le spectacle est grandiose, baignant ans une lumière jaune-brun, avec des effets de moirage rendus par aquarelle. Magique !


Quelques pages plus loin encore, Requiem est écartelé par des chaînes avec des démons à l'extrémité de chacun de ses membres, et des cases disposées autour de cette image centrale en rond, le tout baignant dans une couleur rouge sang. Le Satanik (le vaisseau amiral de Dracula) apparaît dans une case occupant 2 tiers d'une double page, à nouveau une vision monumentale et gothique, dans des tons gris bleutés, à l'opposé de ceux des pirates du ciel. Lorsque le récit passe à Rebecca, l'artiste pare la Lémurie d'une teinte verte d'une grande luminosité, établissant un fort contraste avec les autres régions, pour un effet enchanteur impeccable.


Tout du long, le lecteur retrouve les visions monumentales qu'il est venu chercher, sans aucune impression de redite d'un tome à l'autre. Olivier Ledroit a aéré certaines parties de cases pour des compositions plus efficaces, sans rien perdre en densité d'informations. Il n'hésite pas à recourir à des teintes qui n'apparaissaient pas avant : le vert lumineux de la Lémurie, le mordoré du ciel des pirates, des teintes rouges moins foncées. Cette évolution n'obère en rien la dimension macabre du récit. Comme dans les tomes précédents, le lecteur retrouve toute la quincaillerie gothique : croix de fer (Eisernes Kreuz), croix renversée, chaîne métallique à gros maillon, écoulement de sang, médaillon à tête de mort, accessoires vestimentaires à clou, pentagrammes, épines, et même une vierge de fer.


Ledroit n'est pas en reste pour la représentation des monstres, c’est-à-dire tous les habitants de Résurrection. Comme pour le reste, il ne fait pas dans la demi-mesure (et c'est un euphémisme). Les vampires ont toujours des dents aussi proéminentes et découvertes, ainsi que des canines d'une longueur qui les empêchent de complètement fermer la bouche. Ce tome est l'occasion de voir Attila et Black Sabbat de plus près, et ils en imposent tout autant que les autres. L'apparence de Mitra vaut le déplacement. Olivier Ledroit s'est encore plus lâché pour Dracula. C'est difficile à croire, mais il a encore plus exagéré, et le résultat est aussi premier degré que brutal. Cette créature est d'une stature gigantesque et son armure est baroque en diable avec des parties acérées et ouvragées, et quelles moustaches ! Afin d'accentuer le contraste, il a choisi une apparence élancée pour Néron (sycophante de Dracula), avec une tenue vestimentaire qui fait penser au Docteur Frank-N-Furter dans The Rocky Horror Picture Show (1975). Le loup garou final emporte tout sur son passage, massif, bestial, démesuré, exagéré.


Pour autant, la narration d'Olivier Ledroit ne se limite pas à enfiler les images magnifiques et monumentales. Comme dans les tomes précédents, le lecteur peut se gaver de la profusion de détails, des maillons de la chaîne métallique, à toutes les voiles du Satanik, en passant par des choses plus inattendues comme la poupée que tient Sire Mortis quand il s'apprête à dormir dans son cercueil (une figurine de Jack Skellington, en provenance de L'étrange Noel de Mr. Jack (1993) de Tim Burton). Il peut aussi admirer les branches du tronc torturé auquel est suspendue la cage de Torquemada. Il peut apprécier la composition des pages, l'artiste imaginant des dispositions de cases différentes pour chaque page, de manière à coller au plus près au cheminement de la séquence. Il peut aussi sourire devant des exagérations devenant parodiques ou moqueuses. L'artiste a cette capacité de raconter son histoire au premier degré, mais pouvant parfois aboutir à une image amusante si elle prise hors de son contexte.


Par exemple lors du combat entre Requiem et Charnel, le visage de ce dernier se déforme sous l'action d'une décharge de sorcellerie. Il a les yeux exorbités, avec des dents en guise de cils, des dents pointues coniques et une langue pendante qui ondule. C'est à la fois l'effet du choc de l'énergie, mais aussi un gros monstre pas beau. L'effet comique peut également venir d'un accessoire inattendu, comme la grosse peluche violette dans la chambre de Sire Cryptus, avec un cheval à bascule et un coffre à jouets en bois joliment peint. Dans ce registre, les véhicules utilisés dans l'assaut donné par les Lémures à l'armée de Dracula laissent rêveur : une voiture qui pourrait provenir de Les fous du volant (Whacky Races) ou des corbillards tirés par des chevaux spectraux. L'effet comique peut également provenir d'un élément macabre dont la nature devient grotesque, par exemple le regard sadique et un poil lubrique du Dictionnaire quand il raconte l'histoire de Thurim à Requiem.


Le jeu des acteurs et la mise en scène restent théâtralisés. Olivier Ledroit aime bien utiliser des cadrages face caméra pour que le lecteur éprouve la sensation qu'un personnage le regarde droit dans les yeux et s'adresse à lui. Il y a des plans conçus spécialement pour que le lecteur ait une meilleure vue possible d'un personnage particulièrement impressionnant, comme le loup garou final, ou Sire Cryptus, etc. Les expressions des visages manquent régulièrement de nuances. Pour le cas particulier des vampires, c'est assez compréhensible puisque finalement leur faciès les empêche de fermer la bouche, et donc limite leur registre d'expressions. Cette particularité finit par participer de la tonalité malsaine de la narration puisque les personnages semblent toujours sous le coup d'une émotion désagréable leur faisant montrer les dents.


Il semble bien que Pat Mills ait conçu son scénario de manière à jouer sur les points forts d'Olivier Ledroit, voire peut-être que ce dernier a pu participer à la conception de certaines séquences. En tout état de cause, il a conçu l'apparence des personnages, et les différents environnements. À plusieurs reprises, le lecteur tique un peu devant une incongruité visuelle. Lorsque Rebecca utilise un boîtier de contrôle pour maîtriser un loup garou, ce dispositif dénote par rapport à l'environnement majoritairement Sword & Sorcery, dans une forme de bas moyen-âge, début de la Renaissance. De la même manière, le véhicule à moteur de type jeep customisée semble appartenir à un autre environnement, ne pas être complètement raccord. Mais le lecteur n'a d'autre choix que d'accepter cette bizarrerie et il la rationalise bien vite dans le cadre du récit, en se rappelant qu'Heinrich Augsburg est en provenance du vingtième siècle.


D'ailleurs le récit s'ouvre avec une scène en 1944. De tome en tome, le lecteur découvre qui était vraiment cet officier nazi et sa responsabilité dans les atrocités commises par l'armée allemande. Ces souvenirs permettent au lecteur de réajuster son ressenti vis-à-vis du personnage principal. Cet officier utilisait des méthodes sadiques sans éprouver aucun remord. Il mérite effectivement sa place sur Résurrection. Qui plus est, sa relation avec Rebecca n'avait rien de pure ou de romantique. Elle était basée sur des sentiments malsains et viciés. D'un côté Requiem se conduit en héros sur Résurrection. Il est tombé au beau milieu d'une coterie qui cherche au mieux à l'instrumentaliser, au pire à l'exterminer. Il est prêt à subir son châtiment pour expier ses fautes, ses exactions du temps de son vivant. D'un autre côté, il est toujours le même individu, prêt à imposer sa volonté par la force, peu soucieux des sentiments des autres, ou de leur bien-être. Il se conduit toujours comme quelqu'un ayant des droits sur les autres du fait de sa force et de son origine sociale comme un soldat habilité à exterminer l'ennemi.


Avec ce troisième tome, le scénariste rentre plus avant dans son intrigue et le lecteur commence à prendre conscience de la profondeur de champ du récit. Le retour des femmes pirates permet de comprendre qu'il s'agit de personnages récurrents, ce qui n'était pas évident lors de leur première apparition. De la même manière, les dialogues de Sire Mortis, de Sire Cryptus, d'Attila, de Dracula et des autres attestent de luttes de pouvoir de grande ampleur, ainsi que de la ressource stratégique qu'est l'opium noir. À court terme, l'intérêt du lecteur est retenu par les grandes batailles. À long terme, il est retenu par le complot qui se découvre petit à petit, dans lequel Requiem aura son rôle à jouer, petit ou grand cela reste à découvrir. Le personnage d'Heinrich Augsburg va en s'approfondissant, plus repoussant, mais toujours plus fascinant. Pat Mills n'oublie pas d'inclure des respirations comiques, soit par des remarques relevant d'un humour noir ou cynique, soit par le personnage de bouffon d'Igor. Ce dernier évoque à nouveau une forme théâtrale avec un personnage secondaire apportant des respirations comiques. Ce scénariste est coutumier d'utiliser des formes empruntées au théâtre et à la tragédie pour la dramaturgie de sa narration, ce qui aboutit parfois à une forme empesée ou artificielle.


Le lecteur s'immerge donc dans un récit morbide et gothique, avec des visuels spectaculaires, des batailles monstrueuses, sur une toile de fond de manigances et de conspirations politiques dans lesquelles s'expriment la rapacité de l'humanité. Mine de rien, Pat Mills ne se contente pas d'une intrigue bien ficelée, il évoque aussi l'histoire de l'humanité, au travers de l'envie, de la peur et de la violence. Heinrich Augsburg éprouve des remords quant à sa conduite sur Terre, qui se matérialisent sous forme de spectres, ceux de ses victimes qu'il ne considéraient pas comme des êtres humains, pas comme des individus appartenant à la même race que lui. L'accumulation de tortionnaires historiques apparaissant au cours du récit évoque également la violence des rapports sociaux et économiques consubstantiels de l'histoire de l'humanité. Torquemada n'est pas juste agité comme un criminel assoiffé de sang, il a bel et bien existé et conduit à la torture et au bûcher des centaines de personnes. L'autre personnalité historique a un bilan encore plus horrible. Mills ne se contente pas d'agiter leur spectre comme un raccourci facile des horreurs de l'Histoire, il atteste par leur existence passée de la capacité d'atrocité de l'humanité. Il en ajoute encore une couche avec le mépris pour les scientifiques inventant des armes de destruction massive et se lavant les mains des conséquences.


L'histoire se concentre également sur l'histoire personnelle de plusieurs personnages. La relation entre Rebecca et Heinrich incarne une autre forme de violence : celle qui existe entre 2 individus. Malgré leur amour bien réel, leur relation baigne dans le sadisme, le dégout de soi, le mépris de l'autre et la dépendance, sans acte de violence physique. En plus de cette violence dans les rapports intimes, plusieurs séquences évoquent la violence des rapports professionnels. Il est possible de voir la nomination par Mitra, de la successeure à Mère Terreur, comme un effet comique. Il est aussi possible d'y voir la décision arbitraire d'un chef de service nommant une personne à un poste, décevant ainsi les attentes d'autres s'estimant méritante, sans qu'elles ne puissent discuter la décision ou faire valoir leur valeur.


Olivier Ledroit & Pat Mills donnent l'impression de franchir un cap avec ce troisième tome : des dessins qui deviennent encore plus gigantesques (au point d'évoquer la majesté ceux de Philippe Druillet, par exemple dans Salammbô), tout en conservant leur pouvoir gothique et macabre. L'histoire gagne de l'ampleur, sans rien sacrifier des personnages, pour un commentaire décillé sur les pires défauts de l'humanité.

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le 8 févr. 2020

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