Je crois, dans mon infinie paranoïa, que les lecteurs de mangas établis sur SensCritique se sont investis d’une mission : celle d’éprouver mes nerfs jusqu’à ce que ceux-ci ne lâchent. Il me faut alors admettre que ceux-là sont bien méritants dans leurs œuvres car, leur mission, ils vont la mener à bien. C'est pourtant pas malin de mettre des coups de pieds assidus dans une ogive nucléaire tactique, la démarche pourrait cependant porter certains fruits.


Présentement, pour mieux évaluer et pour mieux déplorer le goût-moyen d’un lecteur de mangas en France, je m’attelle à la rédaction des critiques de ce qui constitue à ce jour le Top 100 Shônen établi par les membres de SensCritique. J’avais, par le passé, déjà écopé le Top 100 mangas ainsi que le Top 100 Seinen. C’est chaque fois sur des rotules décharnées que j’avais achevé mon périple, exsangue, exténué, et plus enhardi que jamais par la haine de mon prochain. Qu’on me lise, et qu’on me lise bien ; cela, pour mieux palper l’extrême lassitude psychique qui s’insinue dans les sillons de ma cervelle échauffée : je fatigue. Je fatigue non pas comme un homme qui se prédisposerait à un sommeil bienvenu, mais comme un barrage qui, à force de se lézarder, s’apprêterait à céder ; avec tout ce que cela comporte de conséquences.


Me dirait-on que ces Top 100 auxquels je me suis confronté en bien des occasions n’ont été constitués que par les administrateurs de SensCritique, que j’aurais alors haussé les épaules en m’y éprouvant. J’aurais ainsi accusé le coup sans même être vaguement secoué car, le cas échéant, cela n’aurait été que l’avis d’une infime minorité de lecteurs. Il n’y aurait de ce fait pas eu matière à s’en formaliser outre mesure, et encore moins à établir la moindre généralité. Seulement… ces Top 100, ils sont le fruit des sondages adressés aux membres de la plateforme ; soit un véritable référendum pour statuer sur le mauvais goût. Un référendum auquel la vaste majorité a répondu d’un « oui » tonitruant qui, ainsi scandé, ne laissait pas la moindre place à l’ambiguïté.


Des occasions de dire et de démontrer que la majorité – la masse devrais-je dire – n’avait pas une once d’esprit critique à mettre en avant pour tolérer et même, se pourlécher de ce qu’il y a de plus infect, j’en ai eu. Étant devenu un plongeur vétéran dans les fosses sceptiques de l’édition manga, je pensais avoir fait le tour de la question… et pourtant, je trouve toujours matière à être surpris.


Vous autres. Lecteurs venus répondre au sondage SensCritique. Vous avez. Vous avez… Vous...

Nom de Dieu ! Vous avez mis une fan-fiction dans le Top 100 Shônen ! Vous l’avez fait. Vous auriez pu ne pas le faire ; cette éventualité statistique était d’ailleurs la plus probable. Et pourtant, vous l’avez fait. L’un des trois auteurs se présente même sous le nom de Gogeta Jr. Je répète : vous m’avez forcé à lire – pour mieux mesurer le niveau de mauvais goût sévissant dans ce pays – une fan-fiction dont l’un des auteurs s’appelle littéralement GO-GE-TA JU-NIOR. Est-il besoin de commenter après ce seul constat liminaire ? Est-il seulement nécessaire que je m’abandonne à une lecture dont je me doute du contenu à compter de la seconde où j’ai pris connaissance du nom d’un de ses auteurs ? En l’occurrence, je parle de celui qui s’appelle Gogeta Jr. Je tiens à le préciser une nouvelle fois car, quand on a assez peu de jugeote et de présence d’esprit pour faire figurer une Fan-fiction Dragon Ball dans un Top 100 Shônen (je n’arrive toujours pas à y croire alors que je l’écris pour la troisième fois), je crois qu’il faut répéter inlassablement ce qui ne va pas jusqu’à ce que ça entre en tête.


« Ce sont des choses qui arrivent » chercheront à me tempérer certains alors que ceux-ci approcheront insidieusement une seringue remplie d’anesthésiant dans mon dos (inutile, j’ai développé une accoutumance). Ceux-là, qui se plairont à relativiser, je leur poserai une question, une seule : qu’une fan-fiction DBZ – co-écrite par l’inénarrable Gogeta Jr. je le rappelle – soit à l'époque de rédaction de cette critique (2021) mieux classée que Phantom Blood dans le classement, ça aussi ce sont des choses qui arrivent ?

J’ai des preuves de ce que j’avance ! Parce que quand je vomis le mauvais goût, croyez-moi bien je ne simule jamais mes relents.


Osez me dire qu’il y a ne serait-ce qu’un minimum d’exigence critique dans la caboche d’un lecteur de mangas aujourd’hui. Vous pourriez l’écrire, ça oui, vous le pourriez… mais vous n’auriez pas une bribe d’argument pour le démontrer. Mais comment diable voulez-vous que les Shônens puissent renouer un jour avec l’excellence quand le lecteur moyen en est réduit à encenser les œuvres d’un auteur qui se présente sous le nom de Gogeta Jr ?

GO. GE. TA. JU. NIOR.


En un sens, je les remercie ces gens-là. Je ne leur conseille cependant pas de se faire connaître, je m’en voudrais de manquer de courtoisie en ayant des mots malheureux à leur égard. Car ils pourraient effectivement m’échapper sans jamais pour autant dépasser ma pensée. Si je les remercie ces gens-là, enfin ces… ces hominidés - car je ne peux pas décemment leur reconnaître le statut humain au regard de certaines carences cognitives flagrantes – c’est parce qu’ils me donnent de l’énergie. Imaginez-vous un Genki Dama qui gonflerait un peu plus chaque fois que je me retrouverais témoin de la bêtise crasse et de l’infamie : vous vous serez alors représenté mon esprit en chaque instant. Parce que la haine que j’éprouve, elle me galvanise. Et là, en me mettant sous le nez une fan-fiction présentée comme meilleure que la première partie de Jojo’s Bizarre Adventure, on a déverrouillé mes chakras. C’est bien simple, en apprenant qu’on avait osé faire ça, je suis devenu soudainement blond aux yeux verts. Oui monsieur, oui madame, ma haine était si pure et spectaculaire que je me suis littéralement transformé en Super Saiyan.

Il faut croire que ce sont des choses qui arrivent.


Des heures durant, je pourrais m’abîmer les doigts sur le clavier pour rédiger un recueil quasi-encyclopédique des raisons pour lesquelles le lecteur moyen de mangas nous condamne à être abreuvé de chiasse en continu aussi longtemps qu’il n’aura pas la moindre exigence critique. Mais à quoi bon juger encore une fois une plèbe qui s’est de toute manière condamnée à la coprophagie rituelle et ce, sans doute pour expier un mal qui les tourmente depuis trop longtemps : celui de la connerie pure et véritable.


Enhardi par cette haine qui a maintenant toute emprise sur mon être et même sur mon âme, je me lance le couteau entre les dents.

Dragon Ball Multiverse n’est donc pas une de ces suites officielles qui n’ont rien d’officielles, c’est une fan-fiction. Les plus septiques me demanderont d’arrêter mon char, mais je vous assure : c’est une fan-fiction. Les plus raffinés appelleront ça un « Dôjinshi ». Mais vous aurez beau faire preuve du plus infini euphémismes et dire d’un aveugle qu’il est un non-voyant… ça ne lui rendra pas la vue pour autant.


Il s’agit donc d’une fan-fiction écrite et dessinée depuis trois paires de mains. D’abord, celle du mythique Gogeta Jr. qu’on ne présente plus. Très peu d’informations circulent à son sujet, je me suis toutefois laissé dire que Gogeta Jr. ne serait pas son véritable prénom, mais un pseudonyme. Je peux me tromper néanmoins. Je peux.

À ses côtés, Gogeta sera accompagné d’un certain Asura, qui, pourrait être ou ne pas être un démon de la mythologie indienne. L’hypothèse du pseudonyme, là encore, est envisagée.

Le troisième larron, venu compléter le triptyque comme le saint-esprit succéderait au père et au fils dans une prière, est un certain Salagir ; Laurent Gomez de son vrai nom.


Je pourrais leur tomber sur le coin de la gueule, les agonir d’injures, mais ce serait une pure injustice… parce qu’ils ont dessiné une fan-fiction sans trop de prétentions, simplement pour le plaisir de la chose. C’est à ces gougnafiers de membres SensCritique venus porter leur œuvre dans un Top 100 Shônen auxquels il faut s’en prendre. Aussi, si l’un des auteurs venait par hasard à glisser sur la bile corrosive qui suinte de cette critique, j’aimerais qu’ils ne prennent pas les commentaires à venir à titre personnel. En vérité, je n’aurais jamais dû critiquer leur composition… mais les circonstances ont fait que.


Me voilà donc à devoir juger une fan-fiction au même titre qu’une œuvre éditée par des canaux officiels. Ce qu’on me fait pas faire… mais il faut ce qu’il faut pour dresser le désastre de ce que constitue le lectorat moyen de mangas, que ces spécimens figurent un jour sur le banc des accusés avant qu’on leur accorde la Guillotine pour laver leur mauvais goût.

Oui, vous l’avez deviné, je suis un humaniste. Modéré cependant. Très modéré…


Le style, pour ce qui se rapporte au strict character design, respecte plutôt bien le trait de Toriyama. Mais on en reste loin alors que le trait, aseptisé pour la peine, s’éloigne en mille occasions du style de l’auteur. En outre, on pourra apprécier le fait que les premières planches aient été colorisées, courtoisie de Faye (que je suppute là encore d’être un pseudo). La scénographie et le paneling, sans surprise, n’ont absolument rien à voir avec l’œuvre originale. Il n’y a pas même le début d’une ébauche d’ambition dans la présentation du dessin ; c’est résolument plat. Mais cette tare, peut-on décemment la leur reprocher quand même un mangaka – ou plutôt un mercenaire avec des crayons – bien que dépêché par la Shueisha, n’a pas non plus été capable de cette prouesse ? Disons-le d’emblée, sur le plan graphique, Dragon Ball Multiverse – une fan-fiction je le rappelle – supplante de beaucoup Dragon Ball Super. Encore une preuve, s’il en fallait une autre, de l’étendue de la chute venue accabler le milieu du Shônen.


Fan-fiction oblige - oui, je vais le répéter autant de fois qu’il le faudra pour que ça entre dans la tête de tout le monde : on a mis une fan-fiction dans un Top 100 Shônen – il n’y a pas d’introduction à proprement parler. « Bonjour, nous sommes une race jamais mentionnée auparavant, nous avons inventé une machine pour voyager à travers les univers parallèles et on s’est dit, vu qu’on passait dans le coin, qu’on allait vous en faire profiter ». Soyons francs, un réalisateur de porno soigne mieux son intrigue que notre trio d’auteurs.


Et quelle est la ficelle scénaristique la moins imaginative que puisse concevoir un auteur de Shônen ? Un tournoi. Un tournoi, quand on a pris soin de préciser les enjeux, les protagonistes, de créer la surprise et de ne pas le rendre linéaire ; ça peut avoir de la gueule. Yu Yu Hakushô et Shaman King en attestent. Mais ici, il n’y a rien de tout ça. Rien qu’un agglomérat de fan-service alors que tous les personnages de Dragon Ball – auxquels on a ajouté les personnages des films Toei de la belle époque – sont jetés sur le ring sans propos ni explication véritable. En clair, ils se seront mis à trois pour adapter sur papier ce qui se présente comme étant ni plus ni moins qu’une partie de Budokai Tenkaichi 3. En beaucoup moins bien, cela va sans dire.


Je n’ai rien de plus à en dire. Nous lisons, littéralement, le mode tournoi d’un des jeux-vidéos les plus populaires de Dragon Ball. Après Dragon Ball Z, l’adaptation de l’anime en comics, nous avons Dragon Ball Z, l’adaptation de Budokai Tenkaichi 3 en manga. C’est aussi con dans l’idée, mais ici, ça se pardonne plus volontiers du fait qu’il s’agisse d’un fan-fiction gratuite.


Du fait que la mise en scène soit absente, que les personnages soient figés et statiques, tout, sur les planches qu’on nous présente y apparaît plat et creux à la fois. Il n’y a ni tension ni intérêt qui s’en dégage à aucun instant. Les combats sont courts en plus d’être chiants et caricaturaux. Je n’ai pas l’impression de lire une tentative de copier Toriyama, mais une parodie vue depuis l’œil d’un auteur qui caricaturerait le manga sans l’avoir lu, en se basant uniquement sur les on-dit. À leur cœur défendant, les trois auteurs – y compris Gogeta Jr. – ont raillé l’œuvre dont ils souhaitaient s’inspirer pour leur déballage obscène de fan-service grossier et sans imagination.


Et tout cela dure plus de deux-mille pages sans même chercher à se munir d’une ligne d’intrigue. C’est une fan-fiction, d’accord, mais c’en est même pas une bonne pour ce qui est du script. J’en ai lu des meilleures du temps où, bien plus jeune, j’arpentais le site puissance-dbz. Qu’il me manque ce temps-là. Cette lecture aura au moins eu le mérite d’insuffler en moins l’élan nostalgique m’amenant à consulter le site de mon enfance. Quand je pense que bon nombre de ceux lisant cette critique n’étaient pas nés quand il a été créé, ça ne nous rajeunit pas.


Mais toutes les bouffées mélancoliques de l’univers ne suffiront pas à adoucir ma rage. On m’a fait lire une fan-fiction présentée comme une œuvre supérieure à Phantom Blood. On l’a fait. Et ce faisant, on a apporté à mon moulin une eau limpide ; un argument de plus visant à démontrer que le lecteur moyen – très moyen – de mangas, n’était sur le plan biologique qu’une masse informe de cellules dépourvue de néocortex. Je préférais avoir une conversation avec une amibe ou bien une éponge que de discuter avec ces énergumènes, je serais ainsi assuré d’avoir davantage de répondant.


À ces lecteurs-ci, je ne peux même pas les enjoindre à avoir honte, car cela supposerait pour eux d’avoir l’intelligence nécessaire pour ce faire. Les chiens peuvent ressentir la honte, mais pas vous qui avez porté Dragon Ball Multiverse – entre autres déjection qui n’ont même pas l’excuse d’être des fan-fiction – dans un Top 100. Je les encourage néanmoins à se manifester dans les commentaires. Ils ne feront ainsi que mieux démontrer par leurs articulations approximatives à quoi ressemble un lecteur-moyen de Shônen aujourd’hui. De quoi ainsi mieux faire comprendre pourquoi le genre crève sur place depuis vingt ans du fait que ses plus fidèles lecteurs ne soient constitués que d’une masse d’hydrocéphales bruyants et impudiques. Un multiverse sans ces gens-là, je serais preneur. Je crois que les chrétiens ont d’ailleurs un nom pour désigner cet univers-ci : le paradis.

Josselin-B
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le 21 juil. 2024

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Josselin Bigaut

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