Pour sa première BD, Renaud Farace frappe un grand coup. Marchant sur les brisées de Ridley Scott, il adapte en près de 200 pages la nouvelle de Joseph Conrad. Le pitch est connu : durant les 15 années de l’épopée impériale, sans raisons connues, deux fines lames s’affrontent régulièrement pour la plus grande joie de leurs pairs. Le roturier Féraud est petit et râblé, sanguin et coureur. Le longiligne baron d’Hubert est discipliné, réservé et courtois. Le premier entend bien dépecer le second, mais ses ardeurs sont refreinées par un code de l’honneur qui exige des témoins, une interruption au premier sang et restreint les duels aux égaux en grade. Soucieux de protéger ses hussards, l’état-major promeut régulièrement d’Hubert, contraignant, pour mériter son avancement, Féraud à toujours plus se distinguer au feu.
D’Hubert et Féraud partagent une male insouciance devant la mort, le goût des armes et une fascination pour l’Empereur. Ils se haïssent, mais les frères ennemis sauront associer leurs efforts pour survivre en Russie. Si Conrad privilégiait le premier, Farace rééquilibre les rôles et modifie la chute de son récit à l’avantage du second.
Tout à la plume et à l’encre de Chine, le dessin est somptueux. L’auteur nous offre des décors variés et finement travaillés, châteaux, églises, forêts et landes enneigées. Si ses visages sont anguleux, ses costumes et ses positions sont justes. Il parvient à transmettre toute l’énergie déployée par les escrimeurs. Il joue avec les cadrages, les ombres et les brouillards... Plus difficile, il vieillit ses hussards. Le lecteur ressent le poids de leurs infirmités. D’Hubert boite et ses bacchantes s’allongent et tombent. Féraud a pris du poids et vu sacrifier son visage. La guerre use les hommes, mais manifestement pas leurs passions. Hubert sera, tardivement, sauvé par l’amour.
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