Je n’en suis seulement qu'au tome 6 mais l’air de rien je sens déjà une routine se mettre en place.
Encore une fois l'album commence avec chaque personnage traqué et dans la mouise.
Encore une fois chacun a un plan secret dont le lecteur ne sait rien et qui va ne se révèlera à ses yeux ébahis qu'à la toute fin.
Et encore une fois tout ça va se démêler dans un final dantesque qui mêle tout autant retournements successifs de situation et scènes visuellement spectaculaires.
C’est rodé… Presque attendu…
…Mais pour ma part ce ne constitue clairement pas un problème.
Bah oui, ça a beau être presque prévisible un tome de « Largo Winch », ça n’en reste pas moins efficace.
Et quand bien même la mécanique commence à être connue, la répétition de la chose ne se fait pas forcément au détriment de la saga.
Car c’est bien là l’une des grandes forces des sagas de Van Hamme (du moins celles qui débutent) : chaque cycle rajoute toujours une part de cynisme.
Chaque affaire révèle à quel point le Groupe W est en fait davantage pourri qu’on ne pouvait jusqu'alors l’imaginer.
Chaque affaire réduit de plus en plus le nombre de personnes en qui Largo ou Simon peuvent avoir confiance.
L’air de rien, cette répétition permet aussi d’aborder une autre approche de ces personnages.
Largo et Simon apparaissent notamment comme des fonceurs et des queutards patentés. Pourtant à chaque fois ça se retourne contre eux, presque systématiquement.
Changent-ils pour autant ? Non…
Pourquoi ?
Parce qu’ils sont irrécupérables ?
Non. Peut-être tout simplement parce qu’ils n’ont pas le choix.
Largo et Simon sont finalement les deux facettes d’une même pièce.
Ils sont tous les deux des imposteurs. Deux hommes qui vivent du vol et de la magouille.
L’un le fait en élégant costume tandis que l’autre le fait en T-shirt sans manche, mais dans le fond rien ne les séparent. Ils se sont tous les deux forgés auprès des pires crapules. Ils ne savent pas vivre autrement que comme ça. Et sitôt cherchent-ils d’ailleurs à se poser ou à se caser que cela se retourne systématiquement contre eux.
Ç’en est presque tout l’intérêt – a posteriori – du tome 3 « O.P.A. » que je juge pourtant être l’album le plus faible (pour le moment) de la saga.
Car quand bien même « O.P.A. » était-il cousu de fils blancs et n’avançait guère dans son cheminement, on a pu néanmoins y voir ce que ça donnait quand Largo cherchait juste à se poser : il devient la proie des manipulateurs ou des bonimenteurs.
Largo et Simon ne sont pas de tendres ruminants vivant au milieux des alpages suisses ou du Liechtenstein voisin. Non ils sont des animaux lâchés dans la savane. S’ils ne mangent pas, ce sont eux qui finissent mangés. S’ils ne spolient pas, ce sont eux qu'on spolie.
Et aimer à l’arrachée, c’est finalement la seule manière qu’on ces hommes de goûter subrepticement aux saveurs essentielles de la vie.
En cela les parcours conjugués de Largo et de Simon participent à ce que ce tome 6 cherche à installer comme univers, dans la droite continuité de ses prédécesseurs.
Parce que l’air de rien, à force de rajouter des couches, la peinture commence à prendre de l’épaisseur et à faire émerger un motif plus global de ce qu’est au fond ce monde de Largo Winch.
Le monde de Largo Winch, c’est un monde où les puissants finissent toujours par se révéler faibles.
Scarpa est à la tête de la division hôtellerie mais son goût pour les parties fines en présence de mineures le transforme en marionnette au service des cartels de la drogue.
Même chose pour la baronne Solange Vandenberg qui, bien que riche, belle et veuve, n’en reste pas moins une esclave du fait de sa dépendance à l’héroïne.
Et à chaque fois un modèle se répète. Ceux qui chutent sont ceux qui restent esclaves de leur puissance et de leur statut (Scarpa) tandis que ceux qui survivent sont ceux qui parviennent à se libérer de leur bourreau en ne se souciant plus des conséquences pour l’après (Solange.)
...
En cela la répétition instillé par ces albums ne me dérange clairement pas.
Au contraire elle me va même très bien. Surtout quand – comme c’est le cas dans cet épisode – le crayon de Francq sait aussi agréablement nous faire voyager.
L’air de rien des canaux d’Amsterdam aux contrées lointaines des Highlands, ces pages ont un véritable charme. On aime fureter dans ces cases, un peu comme ce pauvre Largo s’efforce de tirer profit de ses déboires.
Ah ça oui, plus j’y pense et plus elle a du bon cette répétition.
J’avoue d’ailleurs que j’ai plutôt hâte de répéter l’expérience avec le tome suivant…