Oh! Great, de son véritable nom Ōgure Ito, est un mangaka qui dénote : après s’être forgé un style résolument ecchi dans des magazines spécialisés, celui-ci quittera les plates-bandes du récit pour adulte averti au profit d’œuvres davantage grand public... non sans se départir de récurrences olé olé. Son premier grand succès, Enfer et Paradis (Tenjō Tenge), en dépeint ainsi parfaitement les caractéristiques tout constituant le titre charnière de sa future carrière : un graphisme atteignant rapidement des sommets, des portraits hauts en couleur, beaucoup de baston et... encore et toujours ces figures féminines fantasmées.
Découvert par le biais de l’anime éponyme, Enfer et Paradis est fait de deux virages lui étant propres : celui d’abord formel, le coup de crayon rond et parfois brouillon des premiers tomes se muant peu à peu en une véritable démonstration graphique. Quant au second, il s’agit de l’évolution abrupte des enjeux et du background de l’intrigue au point de faire basculer le tout dans une autre dimension... où confusion et défauts de tout ordre côtoieront de franches bonnes idées. Il est ainsi facile de résumer l’œuvre, celle-ci tenant rapidement du capharnaüm fait de personnages à la pelle, jeu de factions fluctuant et retournements de veste pas toujours compréhensibles.
Pour en revenir au versant formel de l’œuvre, il apparaît rapidement qu’Enfer et Paradis vit et meurt aussi rythme de la plume de Oh! Great : car si sa plastique est à n’en pas douter brillante, douée qui plus est d’un dynamisme imprégnant d’immersives planches, le manga souffre d’une illisibilité finalement chronique, telle la matérialisation d’un fil rouge partant dans tous les sens. Sous ses faux-airs de shonen brutal et idiot, le premier volume agira en trompe l’œil : difficile à ce titre de qualifier le viol de ressort léger, l’intrigue basculant rapidement dans un grand n’importe quoi débridé mais non moins grave.
La qualifier de mature ne tombe pas pour autant sous le sens, le semblant d’application dont fera preuve Enfer et Paradis s’imposant sporadiquement puis plus nettement à l’aune d’arcs fondamentaux. Le souffle tragique des passés liés de Maya et Mitsuomi dans un premier temps, puis le retour au présent qui verra les diverses forces en présence s’agrandir, se diversifier et se complexifier : et bien avant qu’un autre flash-back ne nous renvoie aux origines (la surface émergée de l’iceberg tout du moins) du schmilblick, l’intrigue s’était donc d’ores et déjà muée en une entité improbable. Sous couvert d’un versant à la fois historique, ésotérique et fantasmagorique, la baston et les guerres de clans entre lycéens trop sérieux pour leur âge n’étaient plus les uniques composantes d’un récit unique.
Néanmoins, comme évoqué plus haut, Oh! Great est un drôle d’animal : à la manière d’un Tite Kubo, celui-ci possède des mains en or mais pèche côté scénario. En l’absence de garde-fous à même de canaliser son imagination débordante, son récit manque rapidement de cohérence comme de lisibilité : abusant encore et encore de dialogues pêchus et autres punchlines philosophico-badass, l’étiquette « cool » d’Enfer et Paradis tend à s’estomper d’elle-même tandis que ses enjeux pâtissent de l’abondance de protagonistes et alliances sens dessus-dessous. Si le tout se découvre sans déplaisir, il s’avère ainsi que, faute de clarté suffisante et d’une propension à la dédramatisation, la lecture tourne au survol sans réel investissement de notre part.
Il subsiste malgré tout une affection particulière pour ce titre bancal mais mémorable. Car, quand bien même « l’amour » d’Aya pour Sōichirō tiendra de bout en bout de la farce agaçante, et que la traduction/édition de Panini Manga est une véritable honte, Bunshichi prévaut et continuera de prévaloir.