Mission : récupérer une jeune fille possédée, et enlevée par des trafiquants

Ce tome fait suite à Mission fantôme (épisodes 1 à 5) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2014, écrits par Joshua Williamson, dessinés et encrés par Davide Gianfelice, avec une mise en couleurs de Miroslav Mrva. Les couvertures (très saisissantes) ont été réalisées par Matteo Scalera.


Le tome s'ouvre avec une séquence de 3 pages dans laquelle une vieille femme (une sorcière) réalise un rituel pour maudire Jackson Winters. Six mois plus tard, ce dernier est en train de prendre du bon temps dans une villa du défunt Markus Schrecken, en compagnie de son ami Robby Trick (un magicien d'une cinquantaine d'années, assez porté sur la récupération illégale pour revendre). Mais toute les bonnes choses ont une fin, et Askook Megedagik (Snake) arrive avec 2 hommes de main armés.


Du fait des conséquences de son braquage raté dans un casino de Las Vegas, Jackson Winters se retrouve au Mexique, à la recherche de Nina Blood Crow, une jeune demoiselle. Cette dernière a la particularité d'être la petite fille de Wenona Blood Crow (la propriétaire du casino dans lequel Winters a effectué son braquage qui a tourné en bain de sang), et d'être possédée par un fantôme. Il est aidé par Robbi Trick et Askook Megedagik. Il subit aussi des apparitions d'Anderson Lake, une femme apparue dans le tome précédent.


Avec le premier tome, Joshua Williamson avait réalisé une histoire rapide, jouant sur le doute de la réalité ou non des phénomènes surnaturels, sous la forme d'un braquage du manoir Trask pour capturer des fantômes, avec une équipe de personnages ayant tous leur propre motivation, pas très compatible avec un semblant d'esprit d'équipe. À la fin du premier tome, le scénariste avait levé le doute sur l'existence du surnaturel, et laissé quelques personnages sur le carreau. En entament ce deuxième tome, le lecteur sait par avance qu'il y aura des fantômes, tout en se demandant quel sera le ressort de l'intrigue.


Le scénariste expose le moteur rapidement : le personnage principal est contraint à une nouvelle mission. L'intrigue reprend la forme d'une mission impossible, tout en en changeant les paramètres : une équipe réduite, un autre endroit, une autre motivation, un autre objectif (sauver une jeune demoiselle d'un gang mal intentionné). Joshua Williamson intègre des fantômes monstrueux, et une forme de second degré flirtant avec la parodie. Les dessins sont au diapason de cette narration. Goran Sudzuka a cédé la place à Davide Gianfelice. Ce dernier utilise des traits de contour un peu plus gras, avec une impression de pas bien fini parce que ces traits ne sont pas tous jointifs.


D'un côté, cela donne un aspect un peu plus vivant, un peu plus spontané aux dessins. Cela n'empêche pas les images de présenter un bon degré de détails quand la séquence le requiert. Ainsi la vision du littoral montre les villas en bord de mer, l'aménagement intérieur de la villa de luxe montre des meubles onéreux, ainsi que des peintures de choix. La pyramide maya ou aztèque ressemble à une vraie ruine. La pièce utilisée par Taylor pour ses activités avec un couteau de boucher ne laisse pas planer de doute quant à ses penchants sadiques. Les scènes du passé se déroulant dans les coulisses du casino attestent d'une équipement haute technologie.


Par contre, cette approche un peu lâche dans les dessins montre ses limites dans d'autres séquences. La flore de la jungle d'Amérique Centrale est générique, et pas forcément très authentique. Certains décors manquent de substance, comme l'intérieur de ladite pyramide qui semble être en carton-pâte, et dans certaines pages les cases sont dépourvues d'arrière-plan. Les visages des personnages sont souvent dessinés grossièrement, ce qui donne des expressions pas toujours déchiffrables et une apparence pas très jolie.


Cette approche graphique est également à double tranchant en ce qui concerne les apparitions fantomatiques ou surnaturelles. D'un côté, cela leur confère un aspect brut et repoussant (une tête effectuant un tour complet de 360 degrés, en étant encore accroché au reste du corps). D'un autre côté, cela donne aussi des formes caricaturales, grossièrement représentées, plus grotesques qu'effrayantes (le spectre informe apparaissant à Winters dans les rues de Mexico). À d'autres moments encore, Davide Gianfelice réalise un dessin dont le lecteur sait qu'il s'agit d'une exagération (parce que sinon l'histoire s'arrêterait là) sans rien perdre de sa force (par exemple Winters et Trick déchiquetés par des balles).


Pour ce deuxième tome, le scénariste combine plusieurs fils narratifs. La trame principale est donc celle de la mission de sauvetage. Williamson ne peut plus jouer sur le ressort de l'existence du surnaturel. Il affiche donc dès le départ une possession par un esprit vraisemblablement maléfique (au vu des déformations qu'il fait subir au corps de la pauvre Nina). Il n'y a pas d'explications sur l'existence de ces spectres et de ces esprits, sur leur nature, vraisemblablement des entités extradimensionnelles, mal intentionnées pour une raison indéterminée. La fin de l'épisode 3 et le début du 4 laissent entrevoir un mélange d'animisme et de panthéisme sans réel fondement, juste pour fournir des opposants.


Par contre, Joshua Williamson gère bien les mécanismes de la mission où tout peut prendre la tangente dans une direction inattendue. A priori le point de départ est simple : des trafiquants d'esclaves ont enlevé une jeune fille pour la revendre au plus offrant dans un autre pays. En fait, le commanditaire de l'enlèvement à des visées bien différentes pour Nina, en l'intégrant dans un business d'une toute autre nature. D'ailleurs, Wenona Blood Crow n'a pas tout dit à Jackson Winters, ni sur l'identité du ravisseur, ni sur la nature de la possession de sa petite fille. Le lien qui unit Wenona Blood Crow et Jackson Winters est bien tordu, avec une dette à régler (comme Winters en avait une à régler vis-à-vis de Markus Schrecken dans le tome précédent). À nouveau Winters se fait imposer des accompagnateurs qu'il n'a pas choisis (Askook Megedagik et un homme de main). À nouveau la mission rencontre un obstacle avant même d'avoir vraiment commencé, avec Taylor et ses affaires criminelles bien tordues. Finalement seul Trick reste égal à lui-même en cherchant comment il peut faire son beurre en récupérant ce qui traîne.


Simultanément à l'exécution de cette mission placée sous le signe des mauvaises surprises, le scénariste dévoile ce qui s'est passé lors du braquage raté à Las Vegas, celui qui a conduit Jackson Winters en prison, c’est-à-dire au point de départ du premier tome de la série. Cette partie du récit présente les caractéristiques évoquées précédemment (= un ratage catastrophique et traumatisant), avec assez de surprises pour être intéressante. Il intègre également les conséquences de la mission du tome précédent. Cette intrigue secondaire est plus inattendue, avec la réapparition d'un personnage ayant connu une fin tragique. Joshua Williamson effectue alors un numéro d'équilibriste des plus périlleux.


En affectant un spectre à Jackson Winters, il augmente le niveau d'exigence de suspension consentie d'incrédulité. Pour ceux qui l'entourent, Winters semble parler tout seul à haute voix, alors qu'il répond aux piques de son fantôme personnel. Cette dimension comique dépare un peu avec la tonalité générale du récit. Il se produit un deuxième effet à haut risque. Ce spectre constitue une variable imprévisible, apparaissant au bon vouloir du scénariste, comme une sorte de deus ex machina bien pratique. C'est d'ailleurs le cas dans le quartier mal famé de Mexico, et Williamson met en place une limite pour neutraliser cette dimension de solution artificielle. Mais l'intervention salvatrice de ce spectre reste quand même possible. Le lecteur peut apprécier que Jackson Winters doive supporter les conséquences de ses actes qui sont matérialisées sous la forme d'un spectre qui le hante. Par contre, il éprouve des difficultés à accepter cette possibilité de sauvetage pouvant sortir du chapeau à tout moment, et désamorçant une partie de la tension narrative. Le dénouement de la présente mission et l'épilogue (qui voit le retour d'à nouveau un autre personnage) viennent aussi malmener l'intensité dramatique.


Ce deuxième tome continue sur le principe de la série établi dans le premier : une mission difficile à effectuer, avec des composantes surnaturelles, et des personnages à qui on ne peut pas se fier. Joshua Williamson maîtrise bien les codes narratifs spécifiques au genre mission, par contre le traitement de la dimension surnaturelle est superficiel. Les dessins de Davide Gianfelice sont vivants et évocateurs, mais leur aspect pas très fini trouve sa limite dans la représentation de fantômes qui manquent de crédibilité, ou au moins de présence. Le développement de fils narratifs du premier tome est plus ou moins heureux, plutôt réussi pour ce qui a capoté dans le braquage de Las Vegas, plutôt pas convaincant pour le retour de 2 personnages.

Presence
6
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le 27 juin 2020

Critique lue 42 fois

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