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Difficile de croire encore à ce tome, heureusement le dernier de la série. Bernard Werber a voulu trop en faire, en l'occurrence cumuler d'une part les règles abracadabrantes du jeu vidéo, qui va de baston en baston, en ménageant des portes de sorties invraisemblables quand ça tourne mal; et d'autre part le récit réaliste, auquel le lecteur est invité à adhérer en raison des références géographiques et culturelles qui sont supposées être communes au lecteur et à lui-même.


L'un et l'autre sont ratés. L'héroïne manque d'une logique élémentaire : inscrite à "Exit", le club de candidats au suicide qui se rendent le service de s'entretuer, elle n'arrête pas de sauver sa peau avec ardeur et enthousiasme, et on se demande ce qu'elle fait dans cette aimable communauté, qui ne ressemble que de loin au Secours Populaire. De plus, pour se tirer des situations très improbables qui s'enchaînent sur sa tête comme les factures sur votre bureau, elle fait preuve de compétences de combat et d'endurance dont on ne sait nullement d'où elles sortent, et qui cassent l'image de jeune fille vulnérable des deux premiers tomes, pour laisser place à une de ces baroudeuses d'acier telles que les affectionne un James Cameron, par exemple.


L'appât réaliste est tout aussi foireux. Non seulement les décors nous ramènent à Paris, mais Werber tente d'élargir son propos à la politique : "Exit" aurait infiltré la société française et le monde politique jusqu'à un degré parfaitement inimaginable, et le jeu vidéo Werbérien s'achève sur une vague enquête policière conspirationniste, d'une assez grande platitude dans la forme. Là, on décroche : l'album nous a montré des membres d' "Exit" partout sur le chemin de l'héroïne, le pompon de l'invraisemblance étant constitué par une fuite de l'héroïne à l'aveuglette dans les égouts parisiens, héroïne qui, lorsqu'elle sort des égouts par une plaque d'acier au milieu d'une rue encombrée, se trouve juste sous les roues d'une voiture amie qui l'attendait là, alors que les méchants sont à trois mètres derrière elle. A certains moments, on a tendance à penser que Werber se moque un peu du lecteur : il nous refait au bon moment le gag du chat qui marche là où il ne faut pas sur le clavier d'un ordinateur...


Werber, qui n'est pas cultivé pour rien, nous offre quelques références culturelles explicites peut-être destinées à justifier ses audaces : "Vingt mille lieues sous les mers", "Les Tribulations d'un Chinois en Chine", "Les Chasses du Comte Zaroff" (on s'en doutait un peu, vu la tournure que prenait le tome 2).


Les mecs "positifs", là-dedans, sont de pâles godelureaux tiédasses dont on se demande en quoi on pourrait s'identifier à eux; ici, c'est un créateur de jeux vidéos assez basiques, dont la seule bonne idée est de vivre dans le décor très fantasmatique (et quasi alchimique) d'un tronc d'arbre creux (planches 12 et 13). Quant aux nanas "négatives", ce sont des hommasses assez épaisses et tatouées (t'as tout compris), brutales et gouines, caricatures de l'animalité faite femme. Seul personnage sympa : le policier probe, d'âge mûr, à qui on a donné la tête de De Gaulle (sans moustaches).


On appréciera quelques astuces (comment se débarrasser d'un traceur électronique).


Le conte est peut-être la métaphore de ce que fait un virus informatique dans les systèmes, avec "Exit" dans le rôle du virus (planche 42), mais on est libre de croire au pas à cette "profondeur" narrative. De même, le "message" politico-cynique [pléonasme] (planches 30-31 et 36-37) est exposé en de longues et assez lassantes tirades qui rompent sans raison le rythme de l'action.


Ajoutons que, pour ce tome, le trait hyper-lisible et les couleurs lumineuses d'Alain Mounier ont fait place aux hachures et aux excès d'encre de Chine d'Eric Puech, ce qui aboutit à des contrastes exagérés dans la luminosité des traits de visage des personnages, qui paraissent de temps à autre scarifiés de partout. Du coup, là non plus, on a du mal à s'identifier à ces personnages.

khorsabad
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le 23 oct. 2015

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