Roman graphique israélien (traduit de l'hébreu). Un jeune homme, Kobi, chauffeur de taxi, a perdu sa mère, et son père a peut-être péri dans un attentat remontant à quelque temps. Le fil conducteur de l'intrigue est l'enquête sur la survie éventuelle de ce père (qu'on ne voit jamais, sauf une fois en photo). Kobi est aidé dans sa quête par une fille, Nomi, complexée par son physique très moyen, mal fringuée, mal coiffée, mais issue d'une famille riche.
Pas d'éclat, pas de temps fort dans cette quête. L'attentat est un prétexte à faire ressortir le vide de ces personnages, errant en quête d'un père-fantôme qui se caractérise surtout par son absence, son inconsistance, et qui se révèle, au fil des pages, tout aussi instable dans ses valeurs personnelles que dans ses choix amoureux. On ne peut pas compter sur le père, dont on devine qu'il est déstabilisé par l'absence de sens à sa propre vie.
Le personnage de Nomi est touchant : elle fait un peu n'importe quoi pour qu'on s'intéresse enfin à elle, mais en même temps redoute cette éventualité, de peur d'être déçue. Le contraste de son apparence quelconque et peu attirante, avec sa mère et sa soeur, vraies caricatures de bourgeoises obsédées par le paraître futile et la séduction, revêt un côté dramatique par moments.
Le dessin, ligne très claire tendant à empâter un peu les corps et les postures physiques, contribue à susciter cette impression de léthargie morale, de perte d'idéal paternel / sociétal, où la seule perspective de vie est d'assumer au quotidien un boulot sans intérêt et la médiocrité des relations humaines. Même les attentats sont banalisés : on y est habitué, ceux qui les redoutent prennent des taxis plutôt que le bus, mais de toute manière personne ne se met en colère. L'imprécision répétitive des déclarations faites par les témoins de l'attentat en question confirme que la mémoire est comme endormie et ne sert pas à grand chose. Imprécision aussi de la relation entre Kobi et Nomi : ils pourraient être amoureux, mais cette attente de la part du lecteur est contrebalancée par les petites querelles qui reviennent assez régulièrement entre eux : finalement, ils sont peu compatibles, et la décision finale au sujet de leur relation ressemble à un coup de dés, à un pis-aller bien plus qu'à une décision mûrement réfléchie. Là aussi, perte de repère après la perte du Père.
L'épisode à l'Institut médico-légal est lourd d'ironie et d'humour noir : les tripes sont découpées comme pour une préparation culinaire, et la réceptionniste, débordée par l'afflux de cadavres, a la sûreté de l'emploi : "Dieu merci, il n'y a pas pénurie de cadavres dans ce pays.". Autre critique sociale : la discrimination établie entre Juifs et non-Juifs dans les cimetières. Assez peu d'allusions aux coutumes juives : Bar-Mitsvah, kreplach...
"Plaies ouvertes" : perte de sens, d'idéal, du père, des Pères fondateurs d'Israël. Une sorte de mélancolie automnale suinte de la résignation sous-jacente à ces dissipations d'énergie morale, dont on ne voit pas ce qui pourrait s'y substituer. Ni cicatriser les plaies.