Ce tome est le deuxième dans la série d'adaptation des contes d'Oscar Wilde par P. Craig Russell, et il se lit indépendamment des autres. Il comprend l'adaptation de 2 contes, initialement parue en 1993, écrite, dessinée et encrée par Philip Craig Russell. La mise en couleurs a été réalisée par le studio Digital Chameleon. Ces 2 contes sont tirés de Le prince heureux - Le géant égoïste et autres contes d'Oscar Wilde (1854-1900) publié en 1888, et de La maison des grenades (1891).
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The young king (31 pages) - La veille de son couronnement, le jeune roi reçoit les derniers conseils de ses professeurs d'étiquette, puis il se retrouve seul dans sa chambre. Il repense à la manière dont des chasseurs étaient venus le chercher alors qu'il s'occupait de moutons en train de paître. Il était le seul fils de la princesse, né d'un mariage secret et confié au chevrier en secret, alors que ladite princesse se donnait la mort, et que son amant connaissait un sort peu enviable. Le roi l'avait reconnu sur son lit de mort. Le jeune roi avait dû s'astreindre aux obligations administratives, mais dans le même temps, il était devenu amoureux de la beauté des choses, que ce soit des œuvres d'art devant lesquelles il pouvait tomber à genoux et pleurer, ou des vêtements d'une grande richesse. D'ailleurs, il avait commandé pour son couronnement, un manteau d'une richesse extraordinaire, un sceptre orné de perles rares, et une couronne ceinte de pierres précieuses. Au temps présent, il finit par s'endormir et un rêve vient à lui dans lequel il voit l'artisan chargé de tisser l'étoffe de son manteau d'apparat.
Qu'il ait lu ou non le premier tome de la série Fairy Tales of Oscar Wilde: The Selfish Giant & the Star Child, le lecteur sait ce qui l'attend : 2 contes d'Oscar Wilde, transposés en bandes dessinées. Il n'est donc pas très surpris de découvrir une bande dessinée au format européen, avec des cartouches de texte qui reprennent les phrases d'Oscar Wilde. Il s'en suit une lecture plus lente que pour un comics de superhéros. Il note que les passages oniriques (les 3 rêves du jeune roi) sont l'occasion d'introduire des phylactères pour les dialogues, et aussi de réaliser des cases dépourvues de tout texte. Philip Craig Russell fait donc varier la densité des textes en fonction des séquences, tout en restant très fidèle au texte d'origine. Le lecteur retrouve donc l'ironie mordante d'Oscar Wilde dès le début. L'histoire personnelle du jeune roi relève des conventions des contes pour enfant, avec un jeune enfant qui a la révélation qu'il est le prince du royaume, et qui peut disposer de richesses sans fin. Le lecteur voit la manière dont le royaume exploite les ressources du pays, et de contrées lointaines pour satisfaire les désidératas du jeune roi. Il se rend compte que cette description est d'une étonnante modernité, décrivant la trajectoire de la race humaine, utilisant et dévorant toutes les ressources à sa disposition, semblant ne pas se soucier du lendemain, exploitant de la main d'œuvre bon marché dans des pays éloignés.
Le mordant d'Oscar Wilde se fait encore plus vif quand le prince s'adresse au tisserand pour savoir pour quelle raison il accepte cette forme d'esclavage économique. L'artisan indique qu'il sait très bien que le roi auquel ce manteau est destiné n'est qu'un homme comme les autres, qui ne le mérite pas plus que les autres. Il ajoute qu'il a entièrement conscience de sa nature d'esclave, travaillant pour un individu qu'il ne connaît pas, pour un salaire de misère qui ne lui permettra jamais de sortir de la pauvreté. Il n'y a pas là seulement une bonne description du capitalisme, avec des salariés (ou des esclaves du système) le perpétuant en toute connaissance de cause, et en sachant qu'ils n'en seront pas bénéficiaires. Il y a également un commentaire écologique avant l'heure sur le pillage des ressources naturelles. Dès la première page, le lecteur est entièrement convaincu par la pertinence d'une adaptation, faite par P. Craig Russell. Il donne à voir ces personnages de conte, d'une grande pureté dans leurs traits simplifiés, confondant de naturel dans leurs habits. Le lecteur n'éprouve aucun doute sur la pureté des intentions du jeune roi, même si elles sont fondées sur une vision romantique de la vie, sans prise en compte des réalités de production. Le tisserand est miséreux comme on s'y attend, travaillant sur un métier à tisser aux proportions infernales. Les conditions d'extraction des minerais évoquent plus le travail des esclaves à bâtir les pyramides que les métiers de la mine. L'évêque dispose d'une tenue magnifique, incarnant toutes les richesses de l'Église.
Le lecteur peut ne pas prêter attention à la qualité de la narration visuelle, au-delà de l'apparence des personnages. Il ne peut faire autrement que de la constater pendant les passages oniriques, quand les images racontent l'histoire sans mot. Alors, il prend conscience qu'il est transporté dans un conte depuis plusieurs pages, avec une narration tout public, délicate et pertinente. Il voit des images qui racontent clairement les actions et les comportements. Il peut même remarquer que l'artiste réussit à incorporer une photographie de la cathédrale Notre Dame de Paris, sans solution de continuité graphique. Il réussit également à transcrire la dimension religieuse de la dernière partie, sans tomber dans le ridicule, sans bondieuseries, alors qu'Oscar Wilde met en scène une variation de la passion du Christ pour une fin des plus politiquement correcte, sans pour autant effacer l'impact de la première partie.
Avec ce conte, P. Craig Russell réalise une adaptation impeccable, fidèle au conte originel, avec une mise en images en phase, qui n'est ni redondante, ni outrageuse. 5 étoiles.
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The Remarkable Rocket (13 pages) - Le fils du roi va se marier, et le roi organise une grande fête en son honneur. Les époux ont bu à la même coupe de cristal et tout est clair. Les invités ont supporté le morceau de flute interprété par le roi, massacré serait plus juste, ainsi que les réponses faites par le roi, à des questions posées à d'autres personnes que lui. Les préparatifs vont bon train pour le feu d'artifice qui doit être tiré le soir-même, à l'extrémité du parc du palais. Les différents feux d'artifice papotent entre eux, commentant leur voyage et l'existence de l'amour. Survient une grande fusée rouge qui toussote pour attirer l'attention sur le fait qu'elle va parler, comme elle le fait à chaque fois. La fusée fait observer que le couple de la princesse et du prince a eu vraiment beaucoup de chance de se marier le jour où il va être tiré, ramenant tout à lui. Le feu de Bengale lui fait observer qu'il a mal prononcé le mot Pyrotechnique. La fusée le toise, méprisant et continue son soliloque tout dédié à sa grandeur. L'attente va être longue pour les autres, jusqu'à ce que le feu d'artifice soit tiré.
Le lecteur découvre avec plaisir ce conte où le sarcasme d'Oscar Wilde peut s'exprimer avec méchanceté contre un individu imbu de sa personne, fonctionnant sur un égocentrisme démesuré. Il peut se moquer du comportement de la fusée qui rapporte tout à lui, pour qui le monde n'a de sens que rapporté à lui, pour qui tout tourne autour de lui. Son discours est rendu amusant par la réaction du feu de Bengal qui ne s'en laisse pas conter, qui a parfaitement identifié le trait de caractère de la fusée. Il y a une forme de méchanceté sous-jacente dans le fait que les rodomontades et les fanfaronnades de la fusée s'effectuent le jour du feu d'artifice, c’est-à-dire le jour où sa vie prendra fin. Le lecteur jubile encore plus quand un coup du sort engendré par la fusée elle-même fait qu'en plus elle ne connaîtra même pas la fin glorieuse dont elle se réjouissait tant.
Comme dans les contes précédents, Philip Craig Russell s'en donne à cœur joie pour représenter un palais de conte de fées, avec un beau jardin à la française, un prince et une princesse purs et élégants, un bal gracieux, un magnifique feu d'artifice illuminant le ciel au-dessus du château (visiblement inspiré par celui de Versailles). Dans ce conte cruel, il peut aussi faire montre d'un autre de ses talents : celui de la caricature et de la direction d'acteur. Il donne donc vie à plusieurs artifices : fusée, feu de Bengale, chandelle, soleil, etc. Il leur donne quelques attributs anthropomorphes comme des bras, des jambes et bien sûr un visage. Le lecteur se régale des mimiques de la fusée, de son air tour à tour hautain et méprisant, de sa suffisance et de sa prétention. Il le fait d'autant plus de bon cœur, que la fusée n'est pas un personnage réel, et qu'il se moque avant tout d'un trait de caractère. L'artiste sait ainsi donner vie à des objets, à nouveau dans la logique d'un conte, brossant le portrait d'un individu assommant et ridicule, associant ainsi ces 2 caractéristiques pour un jugement moral sans équivoque sur l'égocentrisme. Le lecteur constate également que la densité de la narration est tout aussi élevée que celle de la première histoire, mais qu'elle repose plus sur des dialogues, ce qui la rend plus vivante, et qui ajoute de la saveur aux réparties.
Ce deuxième conte est d'une légèreté extraordinaire, tant pour sa forme narrative que pour les dessins, avec un fond tout aussi substantiel que celui du premier. Un petit bijou de malice et d'humour.