Histoire classique avec une narration remarquable

Ce tome est le premier d'une série indépendante de tout autre. Il est paru d'un seul tenant, sans prépublication. La première édition date de 2020. Il est écrit par Robert Kirkman, dessiné et encré par Chris Samnee, avec une mise en couleurs de Matt Wilson et un lettrage de Rus Wooton. Après ce prélude, les mêmes créateurs ont réalisé une série mensuelle dans laquelle l'histoire se poursuit.


Un homme chemine péniblement sur le flanc d'une montagne enneigée en Chine, avec un lourd sac à dos, et une tenue pour les grands froids. Il parvient au sommet de la pente, et il découvre devant lui un vaste panorama de sommets montagneux. Il pose son sac à terre. Il installe sa tente. Il allume un feu pour se réchauffer alors que la nuit tombe. Le lendemain matin, il contemple les montagnes devant lui et il regarde une photographie avec un garçon et ses parents. L'homme est costume-cravate occidental, la femme porte une tenue asiatique et un tatouage est visible sur son avant-bras gauche. Il soupire et il reprend sa marche sur les crêtes. Le soir, il allume à nouveau un feu après avoir monté sa tente. Il finit les dernières miettes dans un sachet plastique qu'il jette au loin une fois vide par dépit. Il va le ramasser et le remet dans son sac. Le lendemain il reprend sa marche. La fatigue et la faim le font tituber. Il tombe allongé dans la neige, sans force.


Oswald Johnson remarque qu'un papillon est venu se poser sur sa main. Il trouve son second souffle : il se relève et il suit le fragile lépidoptère, en avançant péniblement dans la neige qui lui arrive au genou. Il traverse un banc de brume, trébuche sur une pierre. Il dégage la neige et s'aperçoit qu'il s'agit d'un long escalier qu'il commence à monter en s'aidant des mains. Il parvient enfin au sommet, au-dessus de la brume, avec devant lui une étendue d'herbe, des moines Shaolin en train de s'entraîner, et juste devant lui se tient un moine âgé, avec un long bâton fin dans la main droite, une casquette de baseball sur la tête, et un casque audio autour du cou. Maître Wei Lun demande comment Oswald peut oser prendre pied sur les marches sacrées du temple du poing enflammé, sans avoir été invité. Il lui demande pour quelle raison il est venu ici. Le jeune occidental répond qu'il est venu pour apprendre, auprès du grand aître Wei Lun. Ce dernier répond qu'il existe des endroits bien plus facilement accessibles pour apprendre. Oswald répond qu'il a appris tout ce qu'il y avait à savoir dans le monde d'en bas. Lun exige une démonstration immédiate et il se met en position de la grue en attendant son adversaire. Oswald répond qu'il est épuisé et qu'il n'a pas mangé depuis des jours. Le maître lui demande ce qui commande : le corps ou l'esprit ? Le combat commence. Lun évite aisément chaque attaque tout en les nommant : l'attaque du scorpion, le balayage du serpent patient, l'assaut du tigre affamé. C'est lui qui a appris ces techniques à ceux qui les ont enseignées à Oswald. Les autres moines se sont interrompus dans leurs tâches pour observer le combat.


Après la série The Walking Dead (2003-2019, 193 épisodes) et la série Invincible (2003-2018, 144 épisodes), Robert Kirkman a lancé deux nouvelles séries qu'il a également menées à bien : Outcast (2014-2021) 48 épisodes dessinés par Paul Azaceta, et Oblivion Song (2018-2022) dessiné par Lorenzo de Felici. En 2020, le lecteur découvre une nouvelle création : un jeune homme qui étudie les arts martiaux dans un temple Shaolin niché dans une chaîne de montagne en Chine, pratiquement inaccessible. Bien évidemment, le lecteur pense tout de suite à la série Iron Fist, personnage de l'univers partagé Marvel, où Danny Rand, un occidental a acquis le pouvoir de rendre son poing aussi dur que l'acier, dans une cité mystique dont les habitants pratiquent un art martial avec une composante surnaturelle. La séquence d'introduction peut également lui évoquer les origines de The Shadow (personnage créé en 1930) quand Kent Allard atteint la cité de Shangri-La où il y apprend la technique pour brouiller l'esprit des hommes. Il est également possible d'effectuer des rapprochements avec des héros cinématographiques. Le lecteur retrouve bien les situations auxquelles il s'attend dans ce genre, les conventions narratives associées : l'étranger mal accepté par les moinillons, l'étranger avec un secret, la découverte du temple sauf une partie interdite, un art martial permettant, à quelques élus, d'acquérir des capacités extraordinaires, l'école adverse motivée par des intentions moralement réprouvables, des secrets dissimulés, etc. Alors oui, il y a un goût de déjà vu ou déjà lu… mais c'était déjà le cas avec le principe d'une apocalypse zombie.


Comme à son habitude, le scénariste a choisi un collaborateur à la personnalité graphique forte, et les crédits mentionnent qu'ils sont tous les deux co-créateurs de la série, une reconnaissance honnête qui va de pair avec un partage équitable des revenus. L'histoire s'ouvre avec une séquence muette de 11 pages et le lecteur apprécie immédiatement la qualité de la narration visuelle. L'artiste réalise des dessins dans un registre réaliste et descriptif, avec un degré de simplification pour les contours, les traits des visages, avec une variation de l'épaisseur des traits de contour, parfois un peu discontinus, et un usage des aplats de noir aux formes irrégulières pour les ombres portées. Le tout s'avère très agréable à l'œil, et la scène se comprend sans aucune difficulté. Il fait passer des informations de nature très diverse, de manière évidente : la fatigue d'Oswald dans son regard, le panorama impressionnant et quelque peu décourageant des sommets enneigé qui se trouvent devant le jeune homme arrivé au sommet d'une crête, son geste de frustration en jetant le sachet en plastique, sa fatigue proche de l'exténuement, le caractère incongru du papillon, etc. S'il en prend le temps, le lecteur voit tout ce qu'apporte la mise en couleurs avec les teintes de neige, la lueur chaude du feu, l'effet de brume. Par la suite, il n'y prête plus attention car le travail du coloriste se coule dans les dessins sans attirer l'attention. S'il revient en arrière pour considérer cet aspect de la narration, il remarque la discrétion efficace avec laquelle Matt Wilson sait installer une ambiance lumineuse, apporter un peu de relief, un peu de texture, sans exagération, avec des teintes un peu délavées, différentes de la palette criarde des comics de superhéros classiques.


Confiant dans l'artiste, le scénariste conçoit de nombreuses pages muettes, 52 au total, sans aucun mot, la narration reposant intégralement sur les dessins. Il y a en a également de nombreuses autres avec uniquement un ou deux phylactères. Cela confirme le constat de la scène d'ouverture : Chris Samnee raconte avec clarté et nuance chaque scène, qu'il s'agisse d'une discussion, d'un entraînement, d'un combat, ou du tour du temple et de ses dépendances. Le lecteur ressort de ce prélude avec de nombreuses images inoubliables : la dure randonnée pour gravir la pente enneigée, le combat initial entre Oswald et maître Lun, le tranchage horizontal d'un cube de glace d'un revers de main, les nouvelles baskets de maître Lun, les entraînements nocturnes, les pétales de fleur volant au vent, le travail de l'équilibre en se tenant sur un pied en haut d'une perche, l'arrivée du gigantesque dirigeable du clan de la Terre Brûlée, la partie de basketball, etc.


Même s'il peut trouver le récit convenu, le lecteur a vite fait de se trouver emporté par la narration visuelle, par la gentillesse et la détermination du personnage principal, par la curiosité de découvrir cet environnement, d'en savoir plus, par le caractère facétieux de maître Wei Lun, par l'amitié spontanée de Ling Zan, par l'inimitié tout aussi spontanée de Ma Guang un autre moinillon, par la possibilité de l'existence d'un dragon, et par le soin apporté à la mise en scène des combats. Il ne fait aucun doute qu'Oswald Johnson saura retrouver le secret perdu de la boule de feu (avec une influence patente du Kamé Hamé Ha) et qu'il devra affronter son baptême du feu contre les guerriers du clan de la Terre Brulée. Pour autant, Kirkman sait apporter des variations qui rendent ce récit particulier, et pas un schéma générique insipide. Il procède par petites touches pour qu'Oswald gagne l'affection du lecteur. Il intègre des scènes de combats spectaculaires, d'autant plus prenantes qu'elles sont illustrées par Samnee. Le lecteur se prend donc au jeu de cette histoire plutôt bon enfant, d'un étranger devant s'intégrer dans une communauté isolée, les moins accueillants pouvant aller jusqu'à se montrer hostiles. Dans le même temps, s'il a déjà lu une des autres séries du même auteur évoqué plus haut, il se souvient que c'est un scénariste qui privilégie le développement et l'approfondissement sur le long terme, plutôt que l'esbrouffe spectaculaire dès le premier tome. De ce point de vue, il est enclin à lui accorder sa confiance.


Une nouvelle série de Robert Kirkman : s'il en a déjà lu d'autres, le lecteur est conquis d'avance, et le scénariste bénéficie d'un capital confiance élevé. Du coup, il accepte que ce prélude emprunte des chemins déjà bien balisés, qu'il s'agit d'un prélude et que la série gagnera en ampleur et en intérêt avec les tomes suivants. Sinon, il commence par découvrir la narration visuelle de Chris Samnee dans la scène d'ouverture qui est muette. Il ressent le plaisir de l'aventure avec ces dessins simples à lire, tout en décrivant des situations qui peuvent être complexes, et capables d'exprimer des états d'esprit et des émotions nuancées.

Presence
7
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le 1 mai 2022

Critique lue 57 fois

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