Si Chainsaw Man concentre l’essentiel de l’attention le concernant, Tatsuki Fujimoto est décidément un drôle d’olibrius : car si son manga phare figure clairement parmi les fers de lance du Weekly Shōnen Jump, ses précédents travaux illustraient déjà sa propension à la bizarrerie consommée et à la mise en abime. Mais c’est surtout son usage de l’art au sens large qui dénote, les one shots Look Back et Adieu Eri poussant loin le curseur de la création dans la création, un prisme aussi démonstratif que remuant dans leurs finalités autobiographiques.
C’est quelque chose que nous retrouvons aussi dans Fire Punch, dont l’étiquette « shōnen » a tout du leurre réducteur : car ce premier sériel, non content d’avoir rencontré un certain succès, a tout de l’anomalie générale, usant avec malice des codes du genre pour mieux les détourner à ses propres fins. Impossible donc de rester indifférent, en bien comme en mal, aux aventures d’Agni, postulant malgré lui au rôle archétypal du héros vengeur… si ce n’est que rien ne se passera comme prévu, dans la droite lignée d’une atmosphère et d’un décorum déroutant : période glaciaire, pouvoirs surnaturels, mutilations consentantes et désespoir constamment renouvelé ont de quoi remuer.
Entre quête de sens et imprévisibilité chronique, Fire Punch est donc généreux en surprises de tout acabit, pour la plupart funestes et désenchantées, à rebours total des grands principes de ses contemporains. Sans s’attacher vraiment à Agni, qui adoptera à ses dépens un costume des plus ambivalents, le lecteur aura tout le loisir (et déplaisir) d’observer les frasques d’une humanité avilie à l’extrême, l’auteur ne lésinant pas sur l’immoral pour appuyer son effet : une démarche souvent gratuite et donc regrettable, mais paradoxalement indispensable à la signature si atypique de l’œuvre.
Une unicité qui se retrouvera donc, comme évoqué, dans son rapport à l’art et la création, l’imparable Togata dynamitant le manga jusque dans sa narration et sa composition dès son arrivée, illustrant par la même occasion la vista créative et le sens de la mise en scène de Fujimoto : dire que la séquence du train est mémorable tient de l’euphémisme. La suite, quoique peu à peu confuse, développera de façon plus intimiste les enjeux identitaires et objectifs de ses protagonistes, confortant la posture à part de Fire Punch : ce qui, assorti d’une ribambelle de rebondissements inopinés, ferrera jusqu’à son terme un lectorat savamment décontenancé.
Reste donc ses excentricités, parfois à double-tranchant, et un dénouement plutôt décousu qui amoindrissent sa réussite, mais le constat demeure très positif : Fire Punch est une proposition aussi déplaisante (dans le bon sens du terme… globalement) qu’impressionnante dans son essence.