Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite qu'une connaissance superficielle des Inhumains pour être comprise. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus entre 2015 et 2017, écrits par Warren Ellis. Gerardo Zaffino a dessiné et encré le premier épisode en entier et les 16 premières pages de l'épisode 2. Les 4 dernières pages sont dessinées et encrées Antonio Fuso. Les épisodes 3 à 6 sont dessinés et encrés par Roland Boschi. La mise en couleurs a été réalisée par Dan Brown. David Aja a dessiné les 6 couvertures des épisodes mensuels.


Karnak est en train de méditer dans sa tour de la sagesse, devant un énorme cube de pierre. Un des acolytes vient le chercher pour lui indiquer que le téléphone de la tour sonne. Il prend l'appel, et apprend que le SHIELD vient le chercher pour qu'il accomplisse une mission. Il se rend à Svalbard en Arctique dans une base clandestine du SHIELD. Phil Coulson le reçoit et le dirige vers les époux Sarah et William Roderick. Ces derniers lui expliquent que leur enfant (déjà adulte) a été exposé aux brumes terrigènes (l'élément qui révèle si un individu est un Inhumain latent en faisant apparaître ses pouvoirs). Il n'a obtenu aucun pouvoir particulier, si ce n'est qu'il a été guéri de ses allergies. Mais quelques jours après, il a été enlevé. Ils demandent à Karnak de le retrouver.


En tant que plénipotentiaire du SHIELD, Phil Coulson indique que les frais engendrés par cette mission seront couverts par eux. Karnak accepte en stipulant 2 exigences. La première est qu'il prendra en charge l'éducation d'Adam Broderick au sein de sa Tour de la Sagesse, et ne le rendra que quand il le jugera bon. La deuxième condition est que les parents lui donnent l'objet qui leur permet de croire que l'univers est bon et beau. Juste après avoir écouté leurs dires, il détecte un agent double au sein de la base et le neutralise. Il parvient à lui faire dire où se trouve la cellule pour laquelle il travaille. Il se fait alors téléporter à Berlin pour pénétrer dans leur base.


En 2014, Warren Ellis avait réalisé une nouvelle interprétation mémorable de Moon Knight (dans From the dead avec Declan Shalvey). Le lecteur attend donc avec curiosité de découvrir ce qu'il va pouvoir faire d'un personnage comme Karnak, capable de trouver où se trouve la faille en toute chose, et de mettre à bien cette capacité pour la détruire. Pour des raisons personnelles liées aux créateurs, le lecteur qui suit la parution mensuelle des épisodes abandonne rapidement l'affaire. Non seulement Gerardo Zaffino n'a pas réussi à dessiner 2 épisodes complets, mais en plus Warren Ellis semble avoir eu du mal à livrer ses scénarios. Du coup, il vaut mieux découvrir cette histoire d'un seul tenant. Karnak apparaît pour la première fois dans sa tour, assis en tailleur, méditant devant un bloc de pierre cubique. Les dessins évoquent une vie austère tournée vers l'intérieur, au milieu d'autres personnes tout aussi impliquées dans une quête spirituelle et grave. Le visage de Karnak est à moitié mangé par l'ombre d'une capuche qu'il porte quasiment en permanence, et ses yeux sont dépourvus de pupille, vaguement luminescent. Phil Coulson indique à l'agent à ses côtés qu'il faut absolument éviter de sourire en présence du magister qui le prendrait comme une offense. La conversation avec les parents montre un individu dur, peu enclin aux émotions, et froid à en être cruel. Les dessins de Zaffino semblent avoir été réalisés au burin, renforçant cette impression d'ascétisme et dureté. Les couleurs de Dan Brown sont assez sombres, avec des teintes vertes diverses et variées, renvoyant à la couleur associée au costume de Karnak.


Le lecteur se rend bien compte que les créateurs font en sorte de distancier l'apparence de Karnak, de celle d'un superhéros. Il s'habille avec des vêtements fonctionnels, sans grande particularité, si ce n'est leur praticité. Karnak ne perd pas de temps en grand exposé, il agit. Fidèle à son habitude d'écriture, Warren Ellis ménage une séquence muette par épisode. La première montre Karnak arrêtant une balle d'arme à feu, à main nue. Les dessins tirent vers une épure, s'éloignant d'un registre descriptif, pour mettre en avant les mouvements comme presque des concepts. Le deuxième épisode s'ouvre avec une séquence muette de 7 pages, pendant laquelle Karnak massacre des individus sans aucune arrière-pensée, avec une économie de geste impressionnante. Les dessins de Zaffino ménagent des aplats de noir copieux aux formes torturées, donnant une impression de détachement, comme si Karnak agissait de manière mécanique. L'encrage moins incisif d'Antonio Fuso pour les 4 dernières pages font perdre de la superbe au personnage, et même de sa mystique.


Warren Ellis a concocté une intrigue assez simple : retrouver Adam Roderick, et essayer de comprendre la nature de son pouvoir. Karnak réussit à lui faire face dans un premier temple, puis il doit ensuite le retrouver dans un autre temple, car il a réussi à lui échapper. Roland Boschi dessine dans le même esprit que Gerardo Zaffino. Il ne s'attache pas aux détails, mais insiste sur l'impression générale. Les silhouettes conservent des proportions d'êtres humains normaux, sans musculature extraordinaire. Les décors sont rapidement esquissés, sans volonté de description détaillée, ou de conception sophistiquée. Le lecteur identifie la forme générale d'un Helicarrier du SHIELD, la forme des orgues de la première église, ou encore une sorte de souterrain avec de murs en brique. Par contre, il ne peut pas observer la technologie de l'Hellicarrier, prendre du recul pour voir les orgues dans leur ensemble, ou même déterminer si les tunnels souterrains servent également d'égout ou non. Dans l'épisode 4, Boschi prend en charge une séquence muette de 10 pages, alors que Karnak progresse dans le temple en éliminant les fidèles qui s'interposent sur son chemin. La narration visuelle est claire et efficace, sans fioriture. Boschi a tendance à arrondir les contours des personnages humains, ce qui leur fait perdre un peu de mystère et d'horreur. Il s'économise de manière flagrante sur les arrière-plans, ce qui donne une allure de ballet aux affrontements. La mise en couleur permet de conserver l'impression générale du lieu dans l'esprit du lecteur.


Ce choix de ne pas représenter les décors de manière systématique permet également d'entretenir le doute dans l'esprit du lecteur. Dans l'épisode 5. Karnak fait face à un individu capable d'altérer la réalité, et faute de repère clair, le lecteur lui-même ne sait pas dire si ce qu'il voit se déroule dans le monde réel, ou sur un plan psychique, et dans quelle proportion. Il apprécie la rapidité de la lecture, sa clarté, en même temps qu'il regrette un peu que les dessins ne contiennent pas plus d'informations visuelles, qu'ils donnent une impression de flou, pas toujours raccord avec la précision mortelle de Karnak. Ellis dépeint un personnage des plus inattendus, avec une volonté sans faille, malgré des contradictions irrésolubles.


Plus que l'intrigue, c'est bien la personnalité de Karnak qui fait tout l'intérêt du récit. Le lecteur s'attend à un postulat qui repose sur les conventions des superhéros. Il découvre tout autre chose. En surface, Karnak est bel et bien un individu doté de superpouvoirs, ou en tout capable de réaliser des actions dépassant les capacités d'un être humain normal. Mais il ne porte pas de costume moulant, et les marques vertes sur son visage ne relèvent pas des us et coutumes des superhéros. Dès les premières scènes, le lecteur comprend que ses actions ne relèvent pas de l'altruisme. Non seulement Karnak intervient pour le SHIELD dans le cadre d'un accord financier bénéficiant à sa Tour de la Sagesse, mais en plus il impose ses propres règles, en cohérence avec sa philosophie de vie. Il exige donc un prix à payer aux parents d'Adam Roderick aussi original que cruel, mais en plus la suite montre un individu ne s'embarrassant pas d'autrui.


Warren Ellis déstabilise le lecteur tout au long du récit par le comportement de Karnak. Il n'hésite pas à tuer ses opposants. Il n'hésite pas à recourir à la torture, la plus douloureuse possible pour obtenir des informations d'un prisonnier. Il fait exploser un prisonnier pendant un interrogatoire, au point de repeindre la glace sans tain avec son sang. Il ne cherche jamais à minimiser les dommages collatéraux, y compris s'il s'agit de vies humaines. Ensuite, le lecteur comprend vite que l'enjeu est d'ordre spirituel. Karnak a des convictions inébranlables sur la nature de l'existence et de la vie. Il sait identifier les références ésotériques obscures, comme un dessin de Robert Fludd (17ème siècle), auteur entre autres de Traité de géomancie (de geomantia). Lorsqu'il confronte Adam Roderick ou ses suiveurs, il leur explique pour quelle raison ils n'ont pas de prise sur lui. Il déclare qu'il n'a pas d'égo, et que son but est d'apprendre aux autres qu'ils ne sont rien, considération qu'il s'applique également à lui-même. Karnak est un individu éminemment rationnel, conscient de la nature éphémère de chaque humain. Ce regard décillé lui permet de voir le défaut en chaque chose, ce qui explique son comportement dépourvu de toute gentillesse pour autrui. Le lecteur est assez convaincu par cette étude de caractère, mais il se demande pourquoi la scène relative à l'enfance de Karnak (les cubes et l'absence d'exposition aux brumes terrigènes) ne débouche pas sur une un éclairage plus convaincant.


Encore une fois, Warren Ellis fait bon usage de la liberté narrative que lui attribuent les responsables éditoriaux Marvel, pour donner une vision différente d'un personnage secondaire. Son récit souffre un peu du changement de dessinateur, Roland Boschi n'arrivant pas à se montre aussi radical que Gerardo Zaffino. Son histoire souffre un peu de raccords mal peaufinés, peut-être du fait des interruptions dans la parution mensuelle, peut-être d'autres choses.

Presence
6
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le 1 janv. 2020

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