Ce tome fait suite à Propagation (épisodes 18 à 23). Il contient les épisodes 24 à 29, initialement parus en 2014/2015, écrits par Tim Seeley, dessinés et encrés par Mike Norton, avec une mise en couleurs de Mark Englert. Les couvertures sont réalisées par Jenny Frison. Il faut impérativement avoir commencé la lecture de cette série par le premier tome, de nombreuses intrigues secondaires entremêlées se poursuivant de tome en tome.


Le trafic d'individus souhaitant rentrer dans la zone de quarantaine se poursuit, bien organisé. Lester Bajak repointe enfin le bout de son nez au commissariat de police, gentiment tancé par Bonnie la réceptionniste. Le docteur Emil Armherst poursuit son observation de plusieurs revenus (revivers) dans un camp de détention gouvernemental (alors que la dame du premier tome continue de perdre des dents). Ils sont observés de loin par Edmund Holt et Jordan Marie Borchardt.


De son côté, Em (Martha Ann) Cypress fait une découverte déstabilisante sur son état et se souvient de sa dernière rencontre avec le professeur Aaron Weimar. Rhodey Rasch pète les plombs pour la plus grande inquiétude de sa mère. Wayne Cypress (le shérif) a provoqué une réunion en présence de Dana Cypress et d'Ibrahaim Ramin pour évoquer la quarantaine, l'eau lourde et le sort des animaux. Don Wapoose reçoit un visiteur inattendu et malvenu.


Vous qui ouvrez ce tome, soyez prévenu : Tim Seeley continue de mettre en scène sa distribution étendue de personnages, environ une trentaine identifiés nominativement. Il faut donc parfois un petit travail de mémoire pour se souvenir de qui a fait quoi, si on a lu le tome précédent quelque temps auparavant. Et ce d'autant plus que comme le fait remarquer un personnage sur un ton sardonique, il semblerait que tout le monde ait un secret honteux à cacher.


Décidemment, cette série ne perd pas de vue son origine, et Tim Seeley continue de marier plusieurs genres à la fois, à commencer par celui relevant de l'horreur. Il y a donc le retour de ce revenu ("reviver") qui continue à perdre ses dents, vision assez repoussante, aggravée par le fait qu'un autre s'y met également. Dans ce genre assez repoussant, il y a une crucifixion volontaire, avec perçage des paumes par un pistolet à rivet, des poissons morts et revenus affamés (pire que des piranhas), un homme abattu à bout portant, et encore quelques autres trouvailles macabres. Comme dans les tomes précédents, ces moments sont rendus d'autant plus horribles, que Mike Norton les dessine de manière très pragmatique, sans en rajouter dans le sensationnalisme. Difficile de ne pas grimacer, en voyant un individu d'apparence normale perforer la paume d'une femme avec un pistolet à pression pour la clouer au bois d'une croix.


Tim Seeley déroule également la dimension policière de son récit, mâtinée de thriller. C'est vrai qu'il y a un nombre significatif d'individus qui avaient organisé leur petit trafic dans leur coin, en profitant de la tranquillité des grands espaces ruraux. On a donc ces excursions bien organisées qui permettent à des individus de venir se baigner dans l'eau de la rivière qui passe aux environs de Wasau. Le meurtrier d'Em court toujours, et les motivations d'un revenu pour s'en prendre Don Wapoose restent mystérieuses. À nouveau les dessins de Mike Norton montrent que ces événements ont des incidences sur des individus à l'apparence normale, c'est-à-dire pas très éloignés du lecteur, ce qui donne plus de force à la narration.


Après la petite escapade à New York, le lecteur ressent comme une accélération dans ce tome, les révélations se succédant à un rythme soutenu. Il apparaît que le temps est venu d'agir pour Edmund Holt dont les actions sont de plus en plus définitives et lourdes de conséquences. Il brûle les ponts derrière lui, augmentant le niveau des enjeux et montrant ainsi au lecteur que l'aboutissement de ses projets n'est plus très éloigné. Le scénariste augmente la composante thriller, avec un rythme plus soutenu, sans rien sacrifier du reste.


Malgré le nombre important de personnages, le lecteur se fait encore une fois la remarque qu'il n'en a oublié aucun. Bien sûr tous ne bénéficient pas du même degré d'exposition. On peut regretter que Cooper (le fils de Dana) n'ait le droit qu'à une seule scène avec son père, mais d'un autre côté c'est un grand plaisir que de voir que May Tao (la journaliste) revient sur le devant de la scène. Tim Seeley se révèle être un écrivain doué pour faire exister ses personnages, et faire accepter des comportements inattendus. En particulier, May Tao accepte la présence de Blaine Abel, malgré ce qu'il lui a fait subir. Le lecteur comprend ses motivations, et est convaincu par son attitude. Par contre il faut faire un petit effort pour se souvenir de qui est l'agent Geiss.


C'est aussi une grande source de plaisir que de découvrir d'autres habitants de Wasau. Ainsi les revenus gagnent une sorte de représentante, en la personne de Jeannie Gorski. Elle possède encore toute sa tête, avec de fortes convictions, conformément à ce que le lecteur a appris à attendre des revenus dont les pensées présentent un aspect polarisé. Diane Dillisch (la femme du maire) dispose aussi de plusieurs séquences pour que le lecteur puisse la côtoyer. Il en apprend également plus sur les personnages, par le biais des actions qu'ils réalisent. Il y a donc les manigances d'Edmund Holt, mais aussi le savoir-faire politique de Ken Dillisch qui retourne une situation à son avantage avec un art consommé de la communication, digne du meilleur spin-docteur. Le scénariste n'oublie pas non plus ses personnages principaux, que ce soit Dana Cypress ou sa sœur Em, dont les personnalités s'expriment pleinement.


Mike Norton se montre toujours aussi épatant pour planter un décor, et immerger le lecteur dans cette bourgade rurale de petite importance. Ce dernier constate de visu le caractère sauvage de la forêt environnante, le caractère fonctionnel et impersonnel de la chambre de motel d'Ibrahaim Ramin, l'aspect préfabriqué du chalet de Don Wapoose, la standardisation des chaises à roulette de la salle de réunion du commissariat, le délabrement du moulin avec sa roue à aube, ou encore l'urbanisme typiquement indien des constructions sur le bord du Gange. Si les visages des personnages restent un peu lisse (sans marque pour attester des années qui passent), ils présentent des morphologies variées et ne correspondant pas toutes à des mensurations de rêve.


Mike Norton se révèle également être un excellent directeur d'acteurs. Le scénario lui réserve plusieurs séquences difficiles d'un point de vue de l'état d'esprit de plusieurs personnages. En particulier, Tim Seeley attaque de front la dimension spirituelle de son récit. Des morts qui reviennent à la vie, ça provoque forcément des réactions quant à la vie spirituelle, et aux convictions religieuses. Ces 2 aspects deviennent des thèmes centraux du récit. Il ne s'agit pas pour le scénariste de se lancer dans la construction d'un dogme théologique, mais plutôt de montrer les effets de ces "résurrections" sur la spiritualité des individus bien vivants. Pour les croyants de Wasau, la signification est claire, et ils y voient un signal manifeste de Dieu. Il y a un autre personnage à la psyché pas très stable dont les convictions basculent du fait de ces revenus.


Mike Norton se retrouve avec la tâche délicate de montrer ledit personnage basculer d'une certitude à une autre, de montrer par son comportement l'évolution de ses convictions, de rendre crédible les changements dans son attitude. Derrière l'apparence de dessins un peu fades et pas tout à fait assez consistants, les images montrent un individu très présent, et portent son changement pour une part aussi importante que les dialogues, si ce n'est plus, une belle réussite de narration graphique.


Tome après tome, Tim Seeley et Mike Norton développent leur récit suivant plusieurs axes, sans oublier leurs personnages, ni la dimension horrifique du récit. Le lecteur s'attache aux protagonistes, pour leurs qualités, mais aussi pour leurs défauts, car aucun n'est parfait, ou foncièrement mauvais. Même Edmund Holt attendrit le lecteur par ses motivations aussi concrètes que plausibles. Il se passionne aussi pour l'intrigue qui accumule certes les révélations sur les agissements réprouvables des habitants de Wasau, mais qui s'appuie aussi sur des intrigues secondaires solides, sur une intrigue principale pleine de suspense, sur des enquêtes difficiles, et sur une dimension politique qui s'élève au-dessus d'une représentation manichéenne. Enfin la composante horrifique ne se repose pas sur des clichés et des stéréotypes tout fait, mais se révèle inventive et met les nerfs du lecteur à l'épreuve.

Presence
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le 1 août 2019

Critique lue 36 fois

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