Junji Ito, maitre es manga d'horreur, qui adapte le Frankenstein de Mary SHelley. La bonne idée, après tout l'importante bibliographie du bonhomme offre un large éventail de sous-genres horrifiques, allant de l'histoire de fantôme au body-horror en passant par le récit kafkaïen.
L'histoire d'un jeune savant qui construit un être vivant à partir de morceaux de cadavres prélevés dans les cimetières, c'est pile dans ses cordes.
Le manga est très fidèle au roman d'origine, Ito conserve l'essentiel de la trame en en raccourcissant certaines parties pour rendre le tout plus digeste en format BD. Si vous connaissez le Frankenstein originel, vous serez assez peu dépaysés, même s'il faut préciser que l'auteur se permet de petits ajouts, notamment un hommage à La Fiancée de Frankenstein du plus bel effet. C'est là qu'on se rend compte qu'ajouter un tel élément dans l'histoire d'origine aurait été une superbe idée. Mais je ne suis pas là pour réécrire des livres cultes.
En fait, l'essentiel de la partie scénaristique est assuré par Mary Shelley elle-même, d'une certaine façon. Comme pour les adaptations de Lovecraft par Gou Tanabe, l'histoire d'origine est tellement parfaite telle quelle qu'il n'y a aucun travail à faire au niveau de l'écriture. Et arriver à être scénariste d'une BD près de 300 ans après sa mort, c'est assez balèze, il faut le dire. Chapeau bas, Madame.
Blague à part, si l'aspect scénaristique ne m'a pas tant intéressé que ça puisque je connais le roman par cœur, c'est bien l'aspect graphique qui m'a emballé. Ito est un bon conteur, même s'il peine bien souvent à construire des personnages qui soient autre chose que des pantins destinés à être victimes des horreurs sorties de son esprit. Mais c'est aussi et surtout un excellent dessinateur.
Sa façon de retranscrire l'épouvante sur le visage de ses personnages, de dessiner la chair transformée, et ses monstres ! Je lui donne mon prix personnel des monstres les plus horribles en bande-dessinée. La créature de Frankenstein n'échappe bien sûr pas à la règle. La force du dessin d'Ito est de créer un contraste saisissant entre le monde normal et les horreurs surnaturelles qui y apparaissent. Le premier est souvent très lisse et propret, les designs des personnages sont banals et se répètent d'une histoire à l'autre, tandis que les seconds sont de véritables cauchemars ambulants, dont le créateur se plait à nous détailler la peau couverte d’immondices, les rictus inhumains et surtout les yeux, d'une insondable noirceur. On retrouvera évidemment cela chez la Créature, qui est sale, glauque, une horreur à forme humaine, mais dont l'auteur a conservé la dimension tragique. Ni tout à fait un bourreau, ni entièrement une victime, c'est dans le livre un personnage ambivalent, et Ito exploite bien cette idée, n'hésitant pas à appuyer l'aspect monstrueux de la Créature, mais sans perdre de vue son côté enfant abandonné. Il se crée alors un double discours entre l'aspect graphique du personnage et son écriture, et Ito a je pense été très malin d'exploiter les spécificités de la bande-dessinée dans son traitement de la Créature.
Je ne retiendrais pas Frankenstein comme le haut du panier de la production de Junji Ito, mais son traitement du roman, à la fois respectueux et suffisamment distancié pour créer sa prppre histoire, est réussi. Tout simplement.