Ce tome fait suite à FreakAngels, tome 2 qu'il faut avoir lu avant. Cette série a fait l'objet d'une prépublication sous forme de webcomics gratuit du 15/02/08 au 05/08/11. Il s'agit d'une histoire complète en 6 tomes.
Les FreakAngels ont décidé de revoir leur rôle dans Whitechapel, le quartier de Londres dont ils préservent et protègent les habitants après la grande inondation. Ils deviennent plus proactifs et les 13 pages d'ouverture permettent de découvrir (ou confirmer) les métiers respectifs de Kirk, Alice (intégrée dans le cercle intérieur des FreakAngels), Karl, Arkady, Connor, Jack, Caz (Carolyn), Luke, KK, Sirkka, Miki et Kaitlin.
Alors que la constitution de la communauté en société structurée prend forme, Kaitlyn découvre un cadavre humain sauvagement mutilé. À l'évidence le meurtrier connaît son métier puisqu'il a reproduit les mutilations perpétrées par Jack l'Éventreur sur l'une de ses victimes. Alors que les autres FreakAngels mettent leurs talents à contribution pour l'avenir de la communauté, Kaitlyn entame son enquête pour découvrir le coupable. Au milieu de ces événements, Luke utilise ses pouvoirs à des fins moins altruistes.
En consultant le site de FreakAngels, le lecteur voit que Warren Ellis avait structuré son récit en 6 tomes dès la prépublication. Effectivement en commençant celui-ci, il constate qu'Ellis effectue un rappel un peu insistant sur le rôle de chaque FreakAngel dans la communauté, leur métier ayant déjà été établi dans le précédent tome. Le récit se poursuit donc avec ce rythme un peu nonchalant qui découle à la fois de la narration peu dense, et de la mise en page à base de 4 cases par page. Le lecteur a tout le temps d'admirer les illustrations et d'intégrer chaque événement, à un rythme posé.
Or c'est un vrai plaisir que de prendre le temps d'apprécier les illustrations de Paul Duffield. Pour ce tome, il est aidé par 2 assistantes à la mise en couleurs : Alana Yeun et Kate Brown. En fait le titre de ces collaboratrices est un peu réducteur puisqu'elles ajoutent également les textures sur ces dessins réalisés à l'infographie. Ces premières pages passant d'un endroit à un autre au gré du FreakAngel mis en avant permettent de se faire une idée de leur talent et de leur apport. Les couleurs participent à enrichir chaque forme : les motifs des tissus des vêtements, les ombres portées, le léger clapot de la Tamise, les bulles du papier-bulle, les variations de teintes dans les carreaux d'un carrelage, les briques des murs des maisons, les souillures sur un papier peint, la rouille sur une plaque métallique, etc. Elles évitent sciemment les couleurs vives au profit de teintes délavées qui adoucissent les planches sans les affadir. Leur talent éclate encore dans la dernière séquence qui se déroule sous une pluie battante grâce à un outil infographique parfaitement maîtrisé. Le mode de rendu de la pluie est la fois original et très efficace. Les illustrations bénéficient de la taille respectable des cases (entre 4 et 2 par page, avec quelques pleines pages). Duffield délimite simplement les contours des formes avec un trait toujours de la même finesse. Il s'est amélioré pour la justesse et l'expressivité des visages et il utilise au mieux le faible nombre de cases pour des enchaînements qui appartiennent bien à l'art séquentiel de la bande dessinée, sans tomber dans le piège d'illustrations statiques et figées juxtaposées.
Inutile de se cacher derrière son petit doigt : le meurtre atroce permet d'introduire du suspense dans une narration intéressante, mais jusqu'alors un peu paresseuse. Et il survient d'autres événements tout aussi dramatiques qui ramènent le récit dans le genre de l'aventure, avec une composante psychologique bien maîtrisée. Le lecteur aura vu venir de loin la référence aux crimes commis en 1888 à Whitechapel, mais rien à ce niveau d'avancement de l'intrigue ne permet de dire si elle est purement gratuite ou pleinement intégrée à l'intrigue.
Warren Ellis a bâti son récit sur le thème de la reconstruction de la société après un cataclysme. Il se concentre sur une communauté réduite, clairement gérée par des jeunes adultes dotés de dons exceptionnels qui légitiment leur position de pouvoir. Dans un premier temps, le lecteur peut être décontenancé par une modélisation de la société très sage et traditionnelle, à partir de ces 10 métiers qui représentent les constituants de base de la société occidentale moderne. Mais Ellis n'est pas un débutant et il explique logiquement pourquoi les FreakAngels reproduisent ce modèle.
Et cet aspect trouve naturellement sa place dans une intrigue resserrée, avec une tension psychologique révélatrice des caractères des personnages et de leurs motivations spécifiques. L'investissement effectué par Ellis et Duffield pour donner une personnalité spécifique à chaque FreakAngel s'avère payant et implique le lecteur dans ces affrontements qui dépassent la confrontation physique pour également mettre en jeu les émotions et la raison. Ce tome s'achevant sur une situation potentiellement mortelle pour un FreakAngel, la plongée dans FreakAngels, Tome 4 est indispensable.