Ce tome fait suite à Renato Jones T1: Les Un % qu'il faut avoir lu avant car les 2 saisons forment une histoire complète. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2017, écrits, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kaare Kyle Andrews, avec un lettrage réalisé par Jeff Powell. Le tome se termine avec une postface écrite par Andrews, expliquant qu'il avait conçu ce récit comme une satire : ce qui pourrait arriver si les élections présidentielles de 2016 tournaient en faveur des républicains. Suite aux résultats desdites élections, le récit s'est alors transformé en un moyen pour exprimer sa rage. Il conclut en rappelant aux lecteurs que la vérité continue à avoir plus d'importance que celui qui crie le plus fort, et que chaque être humain a de l'importance.


Les 7 premières pages de comics résument rapidement la saison 1 : Renato Jones et sa relation avec Bliss, la mise à mort de Douglas Bradley, l'intervention en public de Nicola Chambers, l'attentat commis par Mister Wicked Awesome. Freelancer exige que Mister Church continue d'avancer vers le site de l'attentat, et il saute de l'avion pour aller porter assistance à Bliss. Dans la foule paniquée, les 5 gardes du corps de Nicola Chambers l'emmènent vers une zone de sécurité, mais sans avoir pris en charge Bliss. Cette dernière se retrouve face à Mister Wicked Awesome persuadé qu'elle est Freelancer. Ce dernier s'interpose entre elle et l'assassin, juste à temps. Le combat s'engage et tourne mal pour Freelancer. Il enlève son masque et montre son vrai visage à Mister Wicked Awesome qui comprend son erreur et se dit qu'il va devoir éliminer 2 personnes plutôt qu'une. À l'issue du combat, Mister Church arrive avec un taxi pour emmener Freelancer et Bliss en sécurité.


Ainsi Bliss Chambers a découvert l'identité secrète de Freelancer. Elle l'invite dans sa chambre pour fêter ça. De son côté, Renato Jones se souvient que le nom de Bliss apparaissait sur la liste établie par Church, celle des très riches faisant partie des 1%, et devant être exécutés par Freelancer. Du coup, ça lui coupe toutes ses envies, à la grande déception de Bliss. De son côté, Mister Wicked Awesome a réussi à rejoindre Nicola Chambers, malgré ses blessures. Chambers explique qu'il a consulté les comptes de son interlocuteur, qu'il y a trouvé des factures pour des prostituées et pour des traitements érectiles. Mais ce qui a retenu son attention, c'est surtout que le Conseil a doublé le salaire de l'assassin, en lui demandant de supprimer une autre cible : Nicola Chambers lui-même. 6 mois plus tard, Nicola Chambers a pu tirer le meilleur parti de l'attentat manqué contre sa personne : il l'a transformé en sympathie des citoyens pour se faire élire et accéder à la Maison Blanche.


Dans le premier tome, Kaare Kyle Andrews ne mâchait ni ses mots, ni ses dessins. Il s'attaquait avec un soupçon d'exagération aux très riches qui concentrent les bénéfices dans leur caste, les 1% de la planète possédant 50% des richesses. Il faisait feu de tout bois sur le plan graphique. Le lecteur retrouve cette exubérance débridée intacte dans ce deuxième tome. Au cas où un lecteur aurait l'idée saugrenue de commencer par le deuxième tome, il découvre un rappel des faits en 5 pages, également utile du fait du temps écoulé entre la parution des 2 tomes. Puis vient une page de publicité pour le justicier de luxe, sous la forme d'une photographie avec une belle mannequin. Elles sont au nombre de 8 dans ce tome, dont la moitié en double page. L'auteur détourne ainsi les codes des marques de luxe pour les mettre au service de la justice sociale avec une moquerie mordante. L'histoire continue en noir & blanc, avec un contraste maximal, évoquant l'apparence radicale de Sin City de Frank Miller, sans qu'il soit possible de parler de plagiat. Kaare Kyle Andrews joue sur le contraste, mais sans aller aussi loin dans l'épure, sans chercher à approcher l'abstraction par des formes géométriques. Le lecteur peut y voir le symbole d'une lutte renvoyant les riches et le peuple dos à dos dans une dichotomie certes simple, mais justifiée par la maxime qui veut que le pouvoir corrompt, et que le pouvoir absolu corrompt absolument (Lord Acton, 1834-1902). Le lecteur assiste à un affrontement physique dans un environnement apocalyptique (les débris de l'explosion), avec des coups d'une violence terrible, exacerbés par les onomatopées occupant le fond de case, ou peintes rageusement comme des graffitis.


Après être passé par une page entièrement noire avec quelques cartouches de pensées, le lecteur retrouve des facsimilés de pliure sur la page pour montrer qu'il s'agit d'une scène du passé. Il voit Church éduquer Renato encore enfant, usant de son autorité d'adulte inflexible. En effet Andrews se montre un directeur d'acteurs subtil, sachant mettre en œuvre un langage corporel sophistiqué. Le lecteur partage le désarroi de Cameron Alves quand elle constate que son frigo est vide alors qu'il ne lui reste pas un sou. Il craque en la voyant dans une robe de soirée verte, charmante et rayonnante. Il ne peut pas réprimer une grimace en voyant Bliss Chambers se moquer de Cameron ayant senti qu'elle ne fait pas partie de la haute société des riches et puissants. Il est écœuré par le sourire carnassier permanent de Nicola Chambers, indiquant qu'il veut dévorer toujours plus. Il ne peut pas retenir un sourire en voyant la joie enfantine de Bean (le fils de Cameron Alves) alors qu'il court comme un beau diable dans les couloirs de la demeure familiale des Jones. Il se rend compte progressivement que sous des dehors de personnages vite croqués, chaque protagoniste dispose d'une morphologie, d'une silhouette et d'un visage spécifiques les rendant immédiatement identifiables. La fougue visuelle de l'artiste s'exprime par des représentations qui donnent l'impression d'être vite faites, sans phase de peaufinage, mais la lecture fait ressortir le savoir-faire d'Andrews, sa capacité à exprimer un sentiment d'urgence, d'émotions vraies.


Tout du long de ces 5 épisodes, Kaare Kyle Andrews est seul maître à bord et il peut se permettre de tout faire. Outre les publicités sous forme de photographie, le lecteur découvre des pages noires (faisant sens dans le cadre de la narration de la séquence concernée), un très gros plan sur un visage tuméfié et ensanglanté (aucun regret pour ce tortionnaire devenu victime), un personnage s'encadrant dans une fenêtre brisée, une double page noire avec un rectangle blanc sur chacune (aucun doute possible sur ce qui est ainsi représenté), ou encore une page avec 3 cases verticales montrant la fuite d'un lapin. Comme il le rappelle dans la postface, l'auteur inscrit son récit dans le registre de la satire, tournant en dérision les conventions de genre. Ainsi lorsque le lecteur voit Freelancer à moto tomber vers une foule de types avec des brassards rouges avec un logo dans un cercle blanc, en défouraillant à gogo de la main gauche, tout en maîtrisant sa moto de la main droite, il sait que cette image s'inscrit dans le registre de la parodie de film d'action. Néanmoins cela n'enlève rien à la force de la composition. Le récit est surtout dans l'outrance, qu'il s'agisse de l'action, de la représentation graphique, ou des situations. Cela n'empêche pas de conserver un sens premier degré à ces moments, même quand Church interrompt Renato Jones au lit avec 3 femmes magnifiques, ou quand Cameron Alves perd un escarpin vert, telle Cendrillon au bal.


Kaare Kyle Andrews avait écrit un récit à charge dans la première partie, laissant le lecteur se demander si le récit allait continuer dans cette veine. Le scénariste commence donc par mettre en scène l'affrontement attendu entre Freelancer et Mister Wicked-Awesome, avec perte et fracas. Ainsi qu'il le dit dans la postface, la réalité a dépassé la fiction avec l'élection présidentielle de 2016 aux États-Unis et la victoire du candidat républicain. L'auteur a intégré cet événement dans son récit, mais sans caricaturer le locataire de la Maison Blanche, sans le transformer en bouffon. Au contraire, il montre un individu démagogique à en vomir, l'incarnation même du capitalisme hors de contrôle, ne vivant que pour toujours plus de profits par la consommation, la fin justifiant tous les moyens. Même en prenant la forme d'un mélange d'action et de comédie baignant dans un humour cynique, le récit fait froid dans le dos. Au pays du profit, les individus sont au mieux le produit, au pire une ressource renouvelable bon marché et jetable. Le lecteur apprécie la catharsis apportée par la vengeance mise en œuvre par le redresseur de tort, avec pertes et fracas, tuant les méchants profiteurs qui méprisent le peuple et les lois, ainsi que le spectacle que cela constitue. Dans le même temps, il ressent toute l'horreur de cette consommation effrénée au point d'en perdre tout sens, et finissant par être même dénuée de plaisir, devenue un comportement obsessionnel maniaque, un monstre créé et entretenu par l'humanité jusqu'à sa dévoration.


Ce deuxième tome vient conclure le récit entamé dans le premier, avec la même fougue, le même excès graphique et narratif, tenu de main de maître par un créateur débridé mettant à profit la liberté qui lui est donnée. Le lecteur éprouve une forte empathie pour Renato Jones combattant les 1% corrompus absolument. Dans le même temps, il perçoit l'urgence dans la narration, ainsi que la fureur née de l'indignation de l'auteur par un tel ordre mondial qui ne connaît plus que le profit et la loi de celui qui parle le plus fort.

Presence
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le 21 juil. 2019

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