Ça part d’une bonne idée. J’imagine. À condition de l’assumer derrière en tout cas.
Frieren doit nous raconter « l’après » ; ce qui serait consécutif à une épopée de héros de J-RPG après que ceux-ci aient vaincu le boss final. Je n’ai rien contre, je suis même ouvert au principe. Mais s’il fut possible d’y joindre les formes, et même d’y ajouter ne serait-ce qu’un semblant de fond, je n’aurais alors été que plus réceptif à ce que j’ai lu ici.
Les dessins, rigides, factices, dont on aperçoit plus distinctement la patte graphique de l’ordinateur plutôt que celle de l’auteur, ne cherchent pas à nous convier à la fête ; le paneling encore moins alors que l’agencement des cases y est consternante ; sans audace aucune ni capacité de maîtrise pour seulement nous agonir d’une scénographie plus plate encore que le papier sur lequel elle est imprimée. En outre, un character design banal et lisse nous jette des personnages quelconques sous les yeux. Personnages dont on découvrira bien assez tôt que ce qui les définit du point de vue du dessin s’accepte au diapason de ce qui les constitue sur le plan de l’écriture. Une écriture certainement pas saturée alors que trois adjectifs, au mieux, suffisent à circonscrire leur seule personnalité.
Rarement des personnages auront véhiculé une telle apathie. Il ne se dégage aucun caractère du moindre d’entre eux. Ce qu’on y lit n’est pas poignant et pudique, mais morne et amorphe au dernier degré. On se sent presque dépérir et pourrir sur place à le lire tant tout est mou.
À la question « Que fait un groupe de héros après avoir terminé sa quête ? » la réponse se présente comme le début d’une nouvelle quête qui advient après avoir réuni un nouveau groupe. Original, n’est-il pas ? C’est si prévisible que l’auteur devait sans doute se figurer que ses lecteurs trouveraient ça imprévisible. À moins qu’il espéra que l’apathie ambiante qui se dégage de Frieren, aurait un possible effet hypnotique sur ses lecteurs, au point où ceux-ci seraient réduits à tout accepter sans coup férir.
C’est verbeux, Frieren. Pas parce que ça a beaucoup à nous faire savoir, mais parce que ça aime à ressasser ce qu’on sait déjà ou bien parler pour ne rien dire. Il ne se passe rien à longueur de chapitres, MAIS, puisque le rythme de l’intrigue y est lent, que les personnages y sont presque inertes, on pourra alors masquer la chienlit derrière l’argument du « lyrique ». Qui lira Frieren les yeux ouverts saura faire la distinction entre une œuvre écrite sans qu’il n’y ait de propos et un contenu résolument lyrique, que celui-ci me plaise ou non par ailleurs. C’est pas poétique, Frieren ; c’est juste chiant comme la pluie. Et ça, au nom d’un style d’écriture qui ne convaincra que les plus impressionnables de ses lecteurs. Non, décidément, la supposée mélancolie de l’œuvre ne se concrétisera jamais sous nos yeux. Tout concourt à nous la rendre omniprésente, mais ce tout y est si maladroit – et ce du dessin à l’écriture – que la sauce ne prend pas. D’où le sentiment d’apathie qui en résulte, pareil à une mayonnaise qui en serait restée à une bête flaque d’huile remplie de moutarde et d’un jaune d’œuf y flottant là.
Pour moi qui me suis déjà pris tout ce qu’il y avait de pire sur la gueule question manga et, dans tous les registres qui soient, je me sais ici confronté à un Girl's Last Tour transposé à un registre fantastique. Les mêmes lourdeurs y sont aussi pesantes. C’est au poids qui m’accable l’échine que j’ai pu établir la parenté entre les deux. Le style est le même : on n’a rien à dire, alors on le fait calmement, en se donnant des airs contemplatifs et paisibles. En gros, on cherche à émuler Escale à Yokohama sans s’être doté d’un réel propos… ce qui tourne le moindre acte qui s’orchestre ici vers le néant. La douleur de Frieren de voir tous ceux qu’elle a aimé mourir du fait de sa longévité ne se ressent à aucun moment. Parfois elle pleure, mais parce que le récit lui commande à un instant donné ; un instant prévisible qui plus est.
L’intrigue s’accepte ainsi comme une errance molle où l’on traîne des pieds sans trop aller nulle part. Les choses se passent mais rien ne s’accomplit. Cela, jusqu’à ce qu’à la moitié de l’œuvre environ, Kanehito Yamada s’ennuie lui-même de ce qu’il a écrit pour commander des combats de magie en série. C’est fou ce que « l’après » aventure – dont Frieren a fait son propos liminaire pour se démarquer du RPG moyen – ressemble à l’aventure elle-même. De là à dire qu’on se sera fait pigeonner avec de fausses promesses.
Allons.
Frieren, pour ce qui tenait à son idée de base, aurait très bien pu s’accepter comme un One Shot. Mais de ce One Shot putatif, on en aura étiré la substance pour qu’il n'en reste qu’une longe pâte filandreuse et sans consistance, n’ayant décidément rien de solide à nous offrir. Pour lier la sauce sans goût qu’on nous sert, on compensera par des combats de magie sans imagination où les rayons virevoltent sans impacter la lecture. Frieren est morne dans tous ses attributs, y compris lorsque l’action est de mise, celle-ci ne parvenant jamais à convaincre. Tout cela aura été écrit sans imagination, avec en plus le propos présomptueux de vouloir déconstruire le récit fantasy coutumier pour finalement l’émuler jusqu’au dernier poncif.
Qui souhaitera lire un récit où la fantasy s’y trouve réinterprétée et repensée par un auteur consciencieux ne pourra que se ruer sur Gloutons et Dragons. Le contraste entre les deux œuvres est en effet saisissant après qu’on se soit essayé à l’une et l’autre. Il faut dire que Ryoko Kui, préférant se targuer d’un style bien à elle pour donner libre cours à une imagination prolifique et maîtrisée, ne se cache pas derrière des faux airs mélancoliques pour se donner une consistance. Quand on a en soi un réel élan de création, celui-ci, par sa seule authenticité, laisse émaner une atmosphère qui lui est propre. Chercher à forcer cette atmosphère par une narration bancale n'est pas l'expression d'une sensibilité, mais la démonstration criante d'une incapacité flagrante à savoir établir un récit convainquant. Ce dont est fait Frieren en dernière instance.