Avec Gaston (1957), André Franquin et Jidéhem inventent un personnage qui transforme le quotidien en un désastre hilarant et délicieux. Bien plus qu’une simple série humoristique, Gaston est une révolution douce dans la bande dessinée : un hymne à la nonchalance, au bricolage douteux, et à l’absurde. Franquin prouve ici qu’un employé inefficace peut devenir une légende.
L’univers de Gaston est simple : un bureau où rien ne fonctionne comme prévu, grâce à un employé dont l’inventivité n’a d’égal que son incompétence. Gaston Lagaffe, armé de sa créativité débordante, de son insouciance totale, et de son amour pour la sieste, est un héros malgré lui. Ses inventions ratées, ses animaux envahissants (coucou la mouette rieuse et le chat), et sa guerre permanente contre les deadlines transforment chaque journée de travail en une aventure improbable.
Gaston lui-même est un personnage unique. Avec son sourire béat, son pull trop grand, et son talent pour ruiner la productivité, il incarne l’antihéros parfait. Derrière son allure de doux rêveur se cache un rebelle pacifique, un esprit libre qui défie les conventions avec une innocence désarmante. Et pourtant, on ne peut s’empêcher de l’aimer, car son chaos est toujours empreint de bonne volonté.
Le reste de la galerie de personnages est tout aussi savoureux. Prunelle, l’éternel gestionnaire au bord de la crise de nerfs, offre un contraste hilarant avec la placidité de Gaston. Son cri emblématique de "Rogntudjuuu !" est devenu une institution. De Mesmaeker, l’homme d’affaires désespéré qui tente de signer des contrats dans ce capharnaüm, est une victime récurrente des catastrophes de Gaston, offrant des moments de pure comédie visuelle.
Visuellement, Franquin est au sommet de son art. Les gags sont sublimés par un dessin précis, dynamique, et incroyablement expressif. Les inventions de Gaston, mélange de génie et d’absurde (mention spéciale à la gaffe-bugne et au gaffophone), sont des chefs-d'œuvre d'imagination. Chaque case regorge de détails, des piles de dossiers jamais rangés aux réactions exagérées des personnages, rendant l’ensemble aussi drôle à lire qu’à observer.
Narrativement, Gaston ne suit pas une intrigue classique, mais c’est là tout son charme. Chaque gag est une petite histoire en soi, un instantané hilarant de la vie au bureau. Franquin excelle à trouver l’équilibre entre comédie visuelle, dialogues percutants, et un sous-texte gentiment subversif sur le travail, la société, et la créativité.
L’humour de Gaston est universel et intemporel. Que l’on ait déjà vécu la vie de bureau ou non, il est impossible de ne pas rire devant les désastres orchestrés par cet employé improbable. Et pourtant, au-delà des gags, il y a une certaine tendresse dans cette série. Franquin célèbre l’imperfection humaine, la fantaisie, et la liberté de rêver.
En résumé, Gaston est une œuvre géniale, où l’humour et l’imagination s’unissent pour créer une série qui transcende les générations. Avec un héros unique, des personnages mémorables, et un dessin impeccable, cette bande dessinée est une ode au rire et à la créativité. Une symphonie de chaos et de génie, orchestrée par un Gaston qui ne signe jamais rien, sauf des éclats de rire.