- Alors comme ça, nous allons nous laisser massacrer au détail comme des moutons... Sans même contre-attaquer ?...
- Tout ce que nous pouvons tenter, c'est de limiter la casse au maximum...
- Quel séduisant programme, vous nous proposez là, lieutenant Blueberry...
- Malgré leur écrasante supériorité numérique, les peaux rouges répugneront à nous attaquer à découvert. Nos canons leur faucheraient trop de monde... Non, ils vont chercher par tous les moyens à nous attirer sur le terrain de leur choix... Là où notre artillerie ne pourra plus stopper leurs charges à distance !...
- Terminer le cours de stratégie ?... Well, si j'ai besoin un jour des conseils d'un couard, je n'aurai qu'à siffler !... En attendant... Go to hell !
- Nous y sommes déjà, sir !...
L'Enfer Jaune !
Blueberry tome 10 : Général "Tête Jaune", est le quatrième opus du deuxième cycle composé de quatre tomes de la saga Blueberry, intitulé "cycle du Cheval de fer". Sur un scénario de Jean-Michel Charlier, le récit nous projette en novembre 1868 après les événements mouvementés de "La Piste des Sioux". On retrouve Mike Steve Blueberry engagé sur le sentier de la guerre malgré le précaire armistice négocier avec les Indiens. Une promesse faite aux chefs sioux et cheyennes comme quoi durant la chasse aux bisons avec le départ des guerriers de leur campement, les tuniques bleues ne tenteraient pas d'attaquer ceux-ci. Seulement, le général McAllister, en soif de se tailler une glorieuse réputation militaire ne l'entend pas de cette oreille, et compte bien profiter du départ des guerriers pour éradiquer les camps indiens, au mépris de la parole donnée. Un procédé immonde contre lequel se révolte Blueberry, que le général réincorpore dans son 7e de Cavalerie pour mieux le forcer à participer aux tueries. Haletant, viscérale et bouleversant à plus d'un titre, « Général "Tête Jaune" » est un album anxiogène extrêmement tendu et impitoyable. Un périple énergique avec des rebondissements saisissants comprenant des guet-apens intensifs, des fusillades à profusion, des combats enragés, des retranchements fortifiés... Un déluge de mésaventures catastrophiques dû à la course endiablée pour la construction d'une voie ferrée traversant le continent de l'Atlantique au Pacifique que se livrent deux compagnies ferroviaires rivales avec "Central Pacific" et "Union Pacific", qui se paye très très cher. Le prix du sang !
Les personnages sont ébranlés par les décors hivernaux qu'ils franchissent difficilement avec des crêtes ardues qu'ils dévalent à toute vitesse sur des pentes faisant office de tombeaux ouverts. Un environnement qui devient un personnage à part entière avec les collines sauvages et glacées du Wyoming et du Colorado, que l'armée de McAllister chevauche à travers les Black Hills, à la recherche des camps sioux et cheyennes. Une action tendue qui prend forme sur un territoire hostile qui ne lâche à aucun moment l'emprise sur le lecteur qui dévore chaque page. Une tension savamment entretenue par l'imminence d'un danger omniprésent, d'abord avec les tuniques bleues pour ensuite virevolter du côté des indiens. Un harcèlement constant qui conduit à bon nombre de péripéties, comme lors de la fuite au pied des collines enneigées dans une boucle de la Platte River avec des eaux gelées qui vont s'avérer être un véritable piège autant pour les indiens que pour les tuniques bleues. S'ajoutent de nombreuses fusillades périlleuses où Blueberry manque de se faire scalper par une hache lancer sur lui, ou encore par un couteau. Un Blueberry qui va user de stratagèmes pour tromper les peaux rouges et faire gagner du temps aux tuniques bleues. Un gain de temps qu'il sait fatalement illusoire puisqu'il est conscient que la résultante de toute cette folie ne peut être que la mort. Un album extrêmement pessimiste et amer qui démontre avec quelle violence et fourberie les tuniques bleues ont éradiqué les indiens. Une conduite dramatique intelligente qui va mener à un grand final situé sur de vastes pleines enneigées à travers un dédale de collines. Une confrontation finale épique. Un grand moment ! Seul petit bémol : l'histoire se termine sur un bien paraître ironique sarcastique bien trop simpliste entre Blueberry et McAllister. Un album qui aurait dû s'achever sur quelque chose de beaucoup plus punitif pour le général à l'image du général Georges Armstrong Custer.
Bloody Hell !
« Général "Tête Jaune" » est une bande-dessinée époumonée époustouflante qui sublime sa mise en page via des cadres fabuleux offrant une ambiance visuelle qui atteint la perfection. Des dessins impressionnants signés Jean Giraud, dit "Moebius", qui insuffle à l'histoire une technicité visuelle fabuleuse offrant à sa fresque une grandeur de lecture irréprochable. Une représentation ahurissante qui trouve un réalisme bluffant lors des déplacements du convoi militaire, qui sur une seule ligne s'étendant à perte de vue déambule à travers les Black Hills du Wyoming. Même constat lors des vastes attaques militaires qui offrent des schémas grandiloquents qui absorbent le lecteur. Une mise en mouvement adroite cadrée dans des vignettes riches en détails. Giraud se focalise sur un découpage grand format intuitif avec des cadres larges qui offrent à son paysage montagneux une ampleur à la hauteur de la tragédie humaine et guerrière qui se joue. En découle une atmosphère hivernale chaotique, miséreuse et glaciale imprégnée par un feu ardent qui durant la nuit contraste la froideur de son incandescence meurtrière sur un superbe jeu de lumières qui imprègne l'ensemble du récit. Une technicité rare avec un dessinateur qui a force d'acharnement parvient à atteindre une perfection artistique phénoménale. Une fluidité d'exécution aussi bien dans les mouvements graphiques que les expressions physiques sur un environnement d'une fluidité sidérante pour un résultat adroitement organisé afin de rendre un spectacle de grande échelle. En découle l'un des albums les plus éclatants de la franchise.
Notre Jean-Paul Belmondo westernien alias "lieutenant Mike Steve Blueberry", se retrouve une fois de plus confronté à l'impossible. Pour la première fois, sa foi inébranlable envers les indiens opprimés qu'il défend faces aux abus d'une nation naissante qui ne prend aucun gant avec eux, va se retourner contre lui. Blueberry devient la cible numéro un des indiens qui le considère comme un traitre. Une terrible méprise qui jusqu'à la fin fera de lui la cible à abattre. Un élément désastreux qui va le conduire à subir des situations tendues et désespérées avec d'un côté les indiens qui rêvent de lui prendre son scalp, et de l'autre son général qui fantasme à l'idée de l'envoyer au peloton d'exécution. Blueberry est pris entre deux feux et va devoir compter sur sa chance pour le tirer de ce mauvais pas tout en essayant de sauver un maximum d'hommes autant d'un côté que de l'autre. Blueberry en arrive à espérer trouver la mort :
« Cette brute galonnée ne me pardonnera jamais de l'avoir menacée devant son état-major ! Il ne me reste plus qu'à mourir si je ne veux pas finir sous les balles d'un peloton américain. »
Le général McAllister alias Général “Tête Jaune” est un exécuteur de peaux rouges manœuvré par les politiciens de Washington qui n'y trouve qu'un intérêt financier à l'envoyer à la guerre. McAllister est l'incarnation non sublimée du général Georges Armstrong Custer. Initialement apparu dans la dernière partie de "La piste des Sioux", McAllister se présente comme un homme malveillant haïssable. Impitoyable, cruel, sournois, raciste, menteur et arriviste, il incarne le pire de l'armée. Il n'hésite pas à sacrifier les siens pour pouvoir survivre et atteindre son objectif. “Tête Jaune” méritait une fin à la hauteur de ses méfaits. Les nombreuses discussions entre Blueberry et le général McAllister alimente la dualité entre les deux hommes qui sont en confrontation idéologique constante. Red Neck et Jimmy Mc Clure sont une fois encore très utile à l'intrigue principale. Si les deux pochards semblent être des bons à rien, ils prouvent à quel point ils sont des amis indispensables pour Blueberry.
CONCLUSION :
BLUEBERRY : Général "Tête Jaune", du duo fertile Jean-Michel Charlier et Jean Giraud, dit Moebius, est un dixième volume exceptionnel qui à peu de chose près aurait pu être un chef-d'œuvre. Un album surprenant où le lecteur est totalement aspiré par la fresque épique guerrière grandiloquente qui se joue. Une pièce saisissante dotée d'une technicité impressionnante offrant un périple pleinement maîtrisé. On se régale !
Hell, cette bande-dessinée c'est du lourd !
- Je vous rappelle la consigne !... Ni feu, ni lumière. À l'aube, nous dévalerons des crêtes au galop pour tomber sur les rouges, avant même qu'ils soient sortis de leurs tipis !... Gentleman !... Rejoignez vos sections !... Vous devez tous occuper vos postes avant le milieu de la nuit !... Bonsoir et bonne chance !...
- Un mot Sir !... Une dernière fois, je vous supplie de renoncer à cette attaque... C'est une vraie félonie !... Les Indiens ont notre parole de...
- La vôtre Blueberry ! Pas la mienne ! Quant à moi, j'ai mes ordres, et ils émanent de Washington !... Vous avez décidément le crâne dur, lieutenant... Aussi, pour vous éviter toute tentation et dans votre propre intérêt, je vous prie de remettre vos armes à feu au lieutenant Budinglow !...