Ce tome fait suite à Poison (épisodes 16 à 21) qu'il faut avoir lu avant. Pour comprendre les enjeux du récit, il faut avoir commencé par le premier tome. Il comprend les épisodes 22 à 26, initialement parus en 2016/2017, écrits par Greg Rucka, dessinés et encrés par Michael Lark, avec l'aide de Tyler Cross. La mise en couleurs a été réalisée par Santi Arcas. Ce tome comprend également une courte page de présentation de la situation, et deux pages de trombinoscope, présentant succinctement 23 personnages.


Un commando de soldats dépêchés par la famille Carlyle approche en avion de camouflage du canton de de Graubünden, en Suisse, à l'Ouest de Davos. Ils sautent de l'avion avec des jetpacks sur le dos et se dirigent vers le siège de la famille Rausling. Pendant ce temps, Forever Carlyle est en train d'être opérée par une équipe de la famille Carlyle, malgré l'absence d'efficacité des sédatifs et un instinct combatif irrépressible. Johanna Carlyle reste toujours responsable des affaires de la famille pendant que Malcolm Carlyle reste alité parfois inconscient. Elle se renseigne auprès du docteur Bethany Carlyle (sa propre sœur) pour savoir dans combien de temps Forever Carlyle sera opérationnelle au maximum de ses capacités. Le délai a du mal à passer : 2 mois.


Puis Johanna Carlyle va prendre connaissance des progrès d'Ève (numéro 8 de la lignée des Lazarus), auprès de Marisol Occampo. Elle se présente à Ève, pour la serer dans ses bras. Ensuite, elle prend connaissance des avancées des autres familles sur leur territoire, auprès du général Valeri. Enfin, elle se rend au chevet de son père, et prend de ses nouvelles par le médecin Michael Barrett. L'intrusion dans la demeure des Rausling a progressé. La petite troupe se retrouver face à Cristof Mueller, le Lazarus de la famille Rusling. Sonja Bittner (Lazarus de la famille Bittner) se charge de l'affronter en tête à tête.


Depuis le premier tome, Greg Rucka a placé à la barre très haut pour les intentions de son récit. Il développe un futur proche qu'il doit nourrir pour que le lecteur puisse y croire, dans lequel évolue des individus aux capacités physiques extraordinaires ce qui en fait des combattants exceptionnels, avec en plus une situation géopolitique évoluant vers un conflit armé. Le lecteur ne sait donc pas trop ce qu'il va trouver dans chaque tome, le scénariste pouvant choisir de développer plus un axe qu'un autre. Il apprécie de disposer d'un trombinoscope en ouverture du tome ce qui lui permet de se rappeler des personnages, si cela fait déjà quelques semaines ou mois qu'il a lu le tome précédent. À l'évidence, Rucka sait très bien de quels épisodes sera composé chaque tome, et il a décidé d'ouvrir celui-ci par une séquence d'action se lisant rapidement, pour agripper de suite le lecteur. Cette première scène comporte peu de mots, et Michael Lark effectue un travail impressionnant avec des aplats de noir attestant d'une scène nocturne, mais aussi de la volonté de passer inaperçus du commando, avec des tenues avant tout fonctionnelles. Le lecteur éprouve la sensation d'assister à leur infiltration, en étant un journaliste embarqué avec eux, dans un reportage sans fioriture. L'artiste met ensuite en scène un premier affrontement de 10 pages entre 2 Lazarus, puis un deuxième en fin de tome, à nouveau d'une dizaine de pages, entre plusieurs Lazarus dont Zmey, celui de la famille Vassalovka.


Le lecteur apprécie les compétences de Michael Lark en tant que metteur en scène. Ces affrontements se situent à l'opposé d'une suite de cases dans lesquelles les combattants seraient en train de poser. Il prend soin de concevoir un plan de prise de vues qui permette de suivre les personnages, de montrer comment ils évoluent en fonction de la configuration des lieux (dans un bâtiment pour le premier, sur une place publique pour le second). Le premier affrontement est décomposé en 2 phases, chacune dans un épisode différent, avec un découpage sur la base de cases de la largeur de la page. Cela permet d'observer les mouvements des 2 combattants, l'un par rapport à l'autre. Lors de ce combat, le dessinateur joue habilement sur le degré de précision de ses représentations, étant concret sur les armes et les mouvements, un peu plus dans le sous-entendu sur l'étendue des blessures pour que l'imagination du lecteur fasse le nécessaire. En fonction de la phase d'affrontement, il précise plus ou moins sa représentation des décors, montrant la progression des personnages, ou se focalisant exclusivement sur leurs mouvements, pour conserver à chaque moment un rythme de lecture rapide, en phase avec l'action.


Au cours du deuxième affrontement, Lark n'utilise pas de manière systématique les cases de la largeur de la page, afin de pouvoir montrer aussi la simultanéité des actions de personnages qui sont plus nombreux que dans le premier combat. La mise en couleurs augmente la sauvagerie des coups, en ajoutant des tâches de sang, des marques sur la peau. L'artiste continue de jouer sur le degré de précision de la représentation, en particulier pour faire passer la quasi invulnérabilité de Zmey, capable de résister à un tir de bazooka. Le lecteur assiste à l'impact, et la silhouette en ombre chinoise évite de s'appesantir sur la démesure du coup porté. En utilisant des traits de contour un peu anguleux, en apposant de petites griffures par le biais de traits secs, Lark décrit un monde dur, usant les personnages, à l'opposé des rondeurs de l'enfance. Il montre des individus qui s'affrontent de manière plausible, pour des combats à chaque fois particuliers, à l'opposé d'échanges de coup génériques. Il est tout aussi impressionnant avec la mise en scène de l'attaque d'un cortège de voitures.


Ainsi Michael Lark et Greg Rucka réalisent d'impressionnantes séquences d'action, découlant naturellement des personnages et de leurs capacités, remplissant le quota d'action de manière naturelle et organique par rapport au récit. Il s'avère que le volet géopolitique progresse également de manière significative, sans prendre le pas sur les scènes d'action. Dans les tomes précédents, le scénariste avait établi la fragilité de l'équilibre entre les grandes familles, les alliances de façade pouvant donner lieu à des trahisons dès que l'intérêt financier et territorial est avéré. Ce cinquième tome met à profit cette instabilité et emmène le lecteur en direction de 2 nouvelles familles : celle des Rausling, et celle des Vassalovka. La force de la construction narrative est de lier ces intérêts géopolitiques quelque peu abstraits, aux Lazarus qui sont les représentants des familles, leur fer de lance également. Du coup, lorsqu'ils s'affrontent physiquement, le lecteur sait qu'il assiste également à l'affrontement des familles, à la dissolution d'alliance, à des coups de poignards dans le dos qui ont des répercussions sur les peuples des familles concernées. L'évolution de la situation politique et des alliances s'incarne dans ces personnages. Finalement cette dimension du récit ne souffre pas du fait qu'il n'apparaît presqu'aucun individu qui n'appartienne pas aux familles dans ce tome.


Le lecteur suit avec délectation les manœuvres des uns et des autres pour conserver leur position dominante, soit sur l'échiquier politique, soit pendant les affrontements. Il découvre les actions des autres familles en même temps que Johanna Carlyle et la voit les gérer en temps réel, ou de manière différée. Greg Rucka se montre tout aussi habile pour faire exister ses personnages que pour les affrontements physiques et l'évolution de la situation politique. Au fil des tomes, le lecteur a pris conscience que Lazarus constitue le pivot du récit et qu'elle apparaît régulièrement, comme le personnage liant les différents points de vue de la série. Il sait aussi que les autres personnages sont susceptibles d'occuper le devant de la scène, et d'être mis à l'écart par les événements. Ici il apprécie de voir comment Johanna Carlyle gère son nouveau positionnement. Elle a accédé à la responsabilité exécutive de la famille Carlyle, avec des conseils ponctuels de son père. Mais il lui revient de prendre les décisions, à la fois à l'échelle de la stratégie de la famille Carlyle, à la fois à l'échelle des individus les plus précieux dans cette stratégie. Elle a également conscience que chaque décision peut entraîner une perte de pouvoir catastrophique pour sa famille, aussi bien que des drames individuels. Le lecteur la voit manipuler les uns et les autres, évaluer les différentes possibilités et calculer les conséquences de ses choix. Lark la représente comme une femme d'une trentaine d'années, au visage dur, à la posture droite, au tailleur noir strict, accentuant le contraste avec son chemisier blanc. Il n'en fait pas un objet du désir, juste une femme volontaire focalisée sur sa mission. Une expression du visage fugace permet de souligner le risque inhérent à une décision, à une action. Rucka se montre très sadique vis-à-vis d'elle puisque Malcolm Carlyle est toujours vivant, en train de l'évaluer, comme dans une phase de mise à l'épreuve. Pourtant elle doit prendre des décisions qui vont à l'encontre de ce qu'aurait fait son père, créant ainsi une tension dramatique palpable.


Les auteurs réussissent à faire en sorte que chaque personnage diffuse un minimum de personnalité. Du fait de sa situation et de ce qu'elle apprend, Forever Carlyle est dans l'obligation de réévaluer sa famille, à commencer par son père. Elle reste une combattante émérite et exceptionnelle, mais elle pense également par elle-même. Le lecteur la voit avec un visage dur et peu amène, écouter les révélations de Johanna Carlyle, tout en s'interrogeant quant à ce qu'elle peut croire, et en se demandant comment son interlocutrice cherche à l'instrumentaliser. Par la suite, elle se retrouve face à un ennemi qui la surclasse de manière évidente, ce qui l'amène à envisager une stratégie de repli en essayant de sauvegarder ce qu'elle peut. Ses choix constituent également l'expression d'une facette de sa personnalité. Ayant vu Malcolm Carlyle au sommet de ses capacités dans les tomes précédents, le lecteur regarde ce vieil homme bien conservé qui continue de planifier le futur, tout en se retrouvant obligé de lâcher prise et d'apporter son soutien à sa fille. Là encore, ce personnage se retrouve contraint par les circonstances d'agir contre sa volonté.


De la même manière, le lecteur apprécie de revoir le docteur Michael Barrett, car il se souvient encore de son accession au statut de serf de la famille Carlyle. Là aussi, il voit comment cet individu se retrouve ballotté par les circonstances, obligé de conserver une indifférence de façade bien rendue dans les dessins, même s'il se rend compte des enjeux pour lui et sa famille, et du fait que son sort dépend entièrement de la capacité de Johanna Carlyle à bien mener sa barque. Il découvre Seré Cooper (journaliste TV) et Luis (son caméraman), la première ambitieuse, le second conscient que l'amélioration de son quotidien dépend également de la capacité de sa chef à décrocher un scoop et à rester en vie. Non seulement, Michael Lark réussit à les animer et à les rendre vivants, mais le scénariste sait leur donner des motivations particulières et une personnalité. En prenant un peu de recul, le lecteur se rend compte également que fidèle à son habitude, Greg Rucka a fait la part belle aux personnages féminins, et pas seulement Forever Carlyle et Johanna Carlyle.


Ce cinquième tome confirme l'excellence de cette série d'anticipation dans un futur dystopique. Greg Rucka réussit à tenir toutes ses promesses : des personnages attachants, un futur avec une résonance sociale, une intrigue complexe et facile à suivre. Michael Lark (aidé par Tyler Boss et Santi Arcas) donne à voir des personnages réalistes, luttant pour tenir leur place, et essayant de résister aux contraintes du système.

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le 14 mars 2020

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