Vierge de tout a priori quant à cette lecture, je n'ai jamais vu un seul des films animés Ghost in the Shell. Aucune comparaison n'aura lieu d'être, j'analyserai Ghost in the Shell le manga pour ce qu'il est.
Peut-être est-ce un tort au fond. Une connaissance des films n'aurait sans doute pas été superflu au regard des clés de lecture que ces derniers eurent été susceptibles de m'apporter. Des clés ; il en aurait fallu à foison pour faire sauter les innombrables verrous dont est cerné le manga.
Tout se présente d'abord sous les augures les plus radieuses : une intrigue politique sur fond de ramifications complexes et joliment orchestrées. Quelle meilleure idée pour ravir mon petit cœur de lecteur ? Cependant, quelques pages seulement après avoir défloré l'œuvre, on en vient à se demander s'il n'y aurait pas finalement maldonne. La suite nous confirmera qu'effectivement, la méprise est des plus totales. Ce qui nous apparaissait comme quelques relents tortueux et denses entourant la trame jusqu'à lui épaissir le cuir ne mime en réalité que la complexité en surface.
Pire encore, là où avoir plus de prétentions que de substance s'avère déjà pompeux - bien que correctement mis en scène car la supercherie a au moins le mérite du paraître - toute information à même de parvenir au lecteur se heurte à un une porte solidement verrouillée située en travers de son parcours.
Pour peu qu'on soit dépourvu du nécessaire crocheter la serrure, Ghost in the Shell s'obstinera à rester hermétique à son lectorat.
Compte tenu de la difficulté de compréhension inhérente à ce Seinen qui repose en plus sur le ressort de la science-fiction, la comparaison avec BLAME! paraît toute trouvée. Il n'en est rien en réalité. Là où Tsutomu Nihei parvenait sciemment à perdre son lecteur dans une mise en scène réfléchie et pensée pour, afin que son lectorat puisse expérimenter la lecture avec le ressenti enchanteur et sombre instillé par l'auteur, Ghost in the Shell... est tout bonnement imbitable. Le rendu est fouillis, saturé d'informations souvent dispensables qui n'en finissent pas de se déverser en averses pour nous accabler au point de nous amener à nous détourner du propos de l'intrigue.
Un manga trop chargé et inutilement alambiqué. J'entends bien que doter son œuvre d'un verni intellectualisant les aléas du scénario joue beaucoup à la pourvoir d'un relief certain ; mais pour peu que l'on en mette une trop grosse couche le résultat laisse très largement à désirer.
BLAME! avait en plus le mérite d'être admirablement servi par ses dessins singuliers et froidement envoûtants quand Ghost in the Shell n'a à faire valoir qu'un ensemble de décors comparativement anecdotiques dans lesquels évolueront une petite meute de personnages prescriptibles au possible. D'abord par leur apparence graphique ; les faciès des personnages sont autant de modelages ratés et asymétriques auxquels les détails font défaut. Quant aux caractères recouverts par ces coups de crayon, il ne se trouve guère que des fonctionnalités élémentaires attribuées à chacun afin que tous s'en tiennent à un rôle plus qu'à une personnalité.
Et puis... je n'aime pas trop qu'on persiste à appeler un personnage «Major», rapport à un traumatisme récent.
Des bribes d'éléments relatifs aux composants technologiques que j'ai pu glaner en dépit de l'herméticité de l'œuvre, je dois reconnaître qu'on y décelait un certain potentiel. Prometteur, certes, mais toujours incompréhensible au regard de ce qui nous était servi. Chaque information parvenant au lecteur étant surchargée de données, le disque dur sautait dès lors où il était question de les ingérer. Masamune Shirow aurait indéniablement gagné à rendre sa création un chouïa plus abordable en prenant la peine de mieux diluer son univers afin de le présenter convenablement au lecteur.
À nous gaver d'informations comme il l'a fait, je n'ai pas pu m'empêcher de régurgiter. Ça avait l'air bon pourtant, mais mes repas, je les prends à la fourchette, pas à l'entonnoir.
Je me plais à croire que c'est le petit détail qui fait l'authenticité et à ce titre, j'ai trouvé que le vocabulaire nouveau usité et employé de manière naturelle par les protagonistes donnait du corps à l'œuvre. Le procédé m'a rappelé Orange Mécanique où, là aussi, des mots et expressions nouvelles étaient abordés par les personnages sans que le narrateur ne s'embarrasse à faire parvenir leur signification au lecteur, le contexte se suffisant en principe à lui-même. Que Shirow ait eu recours aux abondantes et confondantes notes de bas de page ne contribuait en réalité qu'à nuire à la subtilité avec laquelle s'opérait la narration du procédé. Il tenait une bonne idée, mais il a sous-estimé son lecteur au point de la ruiner.
Déjà difficilement compréhensible, la trame de Ghost in the Shell n'en est que plus décevante qu'elle repose exclusivement sur un recueil d'histoires courtes. En deux tomes, on ne m'ôtera pas de l'idée qu'un script plus conséquent aurait pu être privilégié. Chaque scénario se veut évidemment plus abscons que le précèdent. À tout nous présenter sans entrée en matière, l'affaire est soudainement plus ardue. Je veux bien mettre le pied à l'étrier aussi longtemps qu'étrier il y ait.
Plonger dans l'aventure Ghost in the Shell, pourquoi pas, tant qu'on ne me lie pas les mains dans le dos le temps de la nage.
Résolument nébuleux et inaccessible par la faute d'une narration incapable de faire le travail attendu d'elle, on ne retient rien ou pas grand chose d'un manga dont on sait pourtant qu'il a bien des choses à offrir. Un supplice de Tantale en deux volumes.
La conclusion se veut le paroxysme le plus abouti de ce qu'est l'œuvre : un bordel scénaristique et technologique dont on ne saisit pas nettement les tenants et aboutissants. Une affaire de scandale policier rapportée par la presse mêlant l'ambassade syrienne et le MOSSAD... L'histoire est décousue et hâtivement jetée au travers de la gorge du lecteur qui n'a pourtant pas eu le temps de digérer le reste.
Mon indifférence comme seul ressenti à l'issue de cette lecture m'indiqua que je n'avais jamais ressenti la moindre forme de tension émaner de l'œuvre. Les choses se passent. Le train roule et ces bœufs de lecteurs - dont je suis - le regardent passer sans trop comprendre ce qu'il est ni pourquoi il circule. Mais il roule sous nos yeux, c'est à peu près la seule certitude que l'on puisse avoir.
On ne saurait trop dire au final qui de l'absence de mise en scène ou d'enjeu a le plus gâté l'œuvre au point de la pourrir. Ghost in the Shell, c'est quand même quelque chose. Mais quoi au juste ?