Tetsuya Toyoda avait beaucoup fait parler de lui en 2008, lors de sa première publication en France avec « Undercurrent ». Accueillit à la sélection du festival d’Angoulême, il aurait mérité un prix tellement l’ambiance, la mise en scène et les personnages de ce manga étaient une véritable réussite, proche du chef-d’œuvre. On sentait là un style maîtrisé, qui n’en était probablement pas à son coup d’essai. En effet, il avait commencé sa carrière avec le récit « Goggles » en 2002 au Japon, qui lui avait valu le prestigieux prix Afternoon à l’époque. Inédite en France, cette histoire et cinq autres sont réunis dans un recueil de 230 pages publié en octobre 2013 dans nos contrées. L’occasion de découvrir d’autres pépites de cet admirable mangaka.
Scénario : Six récits donc, avec la thématique des relations familiales qui revient dans quatre d’entre eux. Toyoda y explore notamment la relation compliquée que peuvent entretenir un parent sévère et violent avec son enfant maltraité, mais toujours d’un point de vue radicalement diffèrent. Segment principal de l’œuvre, « Goggles » est le plus abouti d’entre eux, même s’il est le moins récent. On y sent déjà l’aura unique de l’auteur, avec ses séquences muettes sublimes et particulièrement émouvante, qui nous rappelle que le dialogue n’est pas le meilleur moyen pour faire passer des émotions en bande dessinée. Pour les autres histoires, le mangaka nous gâtent tout autant : une préquelle à « Goggles », un récit culinaire comme on les adore, l’évocation d’une légende japonaise cocasse… Une variété réjouissante, qui nous rappelle que les auteurs japonais vivent encore aux dépens des magazines de manga, et se doivent souvent de faire le grand écart dans le format de leurs différentes publications.
Dessin : Classique au premier abord, les dessins de Toyoda n’ont pourtant rien d’ordinaire. Le mangaka nous livre des planches tantôt détaillés, tantôt épurés qui appuient toujours pertinemment le ton de l’histoire. Mais ce sont dans ses cadrages, ses découpages et les visages de ses personnages que le travail de l’auteur prend une autre ampleur, et magnifient certaines scènes. D’autres cases n’échappent toutefois pas à la facilité avec « les lignes de force » tracée à la règle qui font partie des clichés énervants du manga. On remarque par ailleurs que l’ouvrage utilise intelligemment les trams, à bon escient, ne tombant justement pas dans cette facilité citée plus haut.
Pour : Il est amusant de constater que Toyoda utilise souvent un même personnage pour des histoires complètement différentes. Il est ainsi plaisant de retrouver le détective Yamazaki de « Undercurrent » dans un des récits de ce manga, ou Kôichi qui apparaît à plusieurs reprises.
Contre : S’il est compréhensible d’avoir placé l’histoire principale « Goggles » au centre de l’œuvre, n’aurait-il pas été plus pertinent de répartir les récits par ordre chronologique de leur parution japonaise, histoire qu’on constate l’évolution du style de l’auteur plus facilement ? Par ailleurs, le manga n’incluant que six récits de l’auteur sur dix années de travail, on se doute qu’il n’a pas publié que cela et de ce point de vue le recueil est plutôt frustrant, on en voudrait toujours plus. Qu’à cela ne tienne, « Cofee Time », un nouveau recueil du travail de Toyoda est sortie en octobre dernier, et réunit cette fois huit de ses récits.
Pour conclure : Histoire d’enfoncer le clou, il paraît assez envisageable que Testsuya Toyoda, s’il continue d’être publié en France, pourrait atteindre un jour la popularité d’un Taniguchi dans l’hexagone tellement ses histoires sont universelles et indéniablement marquantes. « Goggles » faisait d’ailleurs partie de la sélection officielle d’Angoulême 2014, soit dit en passant.