Ce tome est le premier d'une nouvelle série débutée en 2015. Il comprend les épisodes 1 à 5, écrits par Ray Fawkes, dessinés, encrés et mis en couleurs par Ben Templesmith. L'histoire correspond à une première saison, avec une résolution satisfaisante. Il n'est pas besoin de connaître Batman ou l'univers partagé DC pour l'apprécier.
Dans le Precinct 13 (un commissariat spécialisé), le lieutenant Weaver accueille un nouvel arrivant : le sergent Rook. Contrairement à ce qu'il espérait, ce n'est pas une nouvelle affectation à la Detail Case Task Force (surnommée Midnight shift), mais un agent de l'inspection générale de la police qui vient pour constater que ce service est une fraude, et pour le fermer. le lieutenant lui présente Szandor Tarr, le scientifique de l'équipe (en train d'ausculter une curieuse statue), et la soeur Justine.
Les 2 autres membres de l'équipe sont sur le terrain. Lisa Drake attend dans la voiture, pendant que Jim Corrigan (le Spectre) discute avec Batman dans un entrepôt. Il en ressort avec une affaire dans leur corde : le retour des fillettes de Mme & M. Artwood. le sergent Rook accompagne Corrigan et Drake chez les Artwood et constate ce qui ressemble à un cas de possession.
Fin 2014, début 2015, les responsables éditoriaux de DC continuent comme jamais de capitaliser sur le personnage de Batman et son univers associé, que ce soit par le biais de plusieurs séries dérivées du jeu vidéo Batman Arkham City, ou évoluant en périphérie du personnage, comme Gotham Academy, Arkham Manor et Gotham by midnight. Cette dernière retient tout de suite l'attention du lecteur du fait de l'identité du dessinateur : Ben Templesmith.
Cet artiste s'est fait connaître avec 30 days of night de Steve Niles, puis par ses propres oeuvres comme Wormwood: Gentleman Corpse - The First Few Pints, ou plus récent The Squidder. Au départ, le lecteur se demande s'il ne s'agit pas d'une fumisterie : bien des éléments dessinés s'apparentent à de simples gribouillis. En page 3, les affiches sur le mur sont des quadrilatères irréguliers vite-fait mal-fait. En page 4, une étagère est réduite à des simples segments pas droits, avec des rectangles de guingois dessus. La voiture de Drake et Corrigan semble littéralement avoir été dessinée par un enfant de 6 ans. Il y a des exemples comme ça tout au long des 5 épisodes de ce tome.
On peut également évoquer les décors souvent aux abonnés absents ou réduits à 3 vagues traits en arrière-plan, ou encore les visages esquissés à gros traits. Un lecteur qui découvre pour la première fois les dessins de Ben Templesmith se demande s'il est vraiment possible de qualifier ces dessins de professionnel. Un lecteur habitué a le plaisir de retrouver ce parti pris graphique très tranché. le principe de cette série est donc de suivre une unité (très) spéciale de la police de Gotham, créée à la discrétion de James Gordon, et spécialisée dans les affaires surnaturelles. Si cette première histoire présente une telle intensité, c'est majoritairement grâce aux dessins de Ben Templesmith.
Une fois dépassé cette apparence évoquant un amateurisme de mauvais aloi, le lecteur se rend compte que l'ambiance est à couper au couteau et que la narration dégage un parfum vénéneux. Les dessins ne rendent pas l'histoire plus réaliste, mais ils apportent une réelle consistance à cette histoire de possession et de fantômes. Bien sûr, la technique la plus évidente mise en oeuvre pour arriver à ce résultat saute aux yeux : la mise en couleurs. Dans un premier temps, le lecteur a l'impression que l'artiste se contente d'une couleur majeure par scène, qu'il applique à la truelle sans se préoccuper des lignes de contours, et qu'il délave par endroit au petit bonheur la chance.
En y regardant de plus près, le travail de Templesmith avec les couleurs s'avère plus subtil que cette première impression. Pour commencer, les zones délavées n'ont rien d'erratique, car elles soulignent un visage ou un objet comme s'ils se trouvaient directement sous une source de lumière. Ensuite elles sont réalisées de manière à renforcer le volume de chaque surface, complétant ainsi les informations sur les surfaces délimitées par des traits de contour. Enfin la mise en couleurs donne également à voir le flux des énergies surnaturelles qui habitent un individu, ou qui se répandent dans l'atmosphère.
Le lecteur observe aussi que le mode de représentation de Templesmith présente une cohérence plus importante qu'il n'y paraît. Ses exagérations simplificatrices vont de pair avec des exagérations des formes et des visages pour les rendre plus expressionnistes. Il s'en sert pour accentuer la dentition d'un monstre, le cri d'un personnage, une manifestation surnaturelle. En feuilletant les pages avant la lecture, ces interprétations visuelles semblent sorties tout droit d'un dessin animé pour enfant, mais à la lecture elles s'inscrivent dans une narration cohérente au premier degré, donnant des formes répugnantes et contre nature à des concepts usés jusqu'à la corde.
Avant de lire l'histoire, le lecteur ne sait pas trop quelle sera la tonalité du récit : franchement superhéros (il y a quand même le Spectre), plus orientée vers l'horreur, ou même expérimentale. Ray Fawkes a aussi bien écrit des histoires de superhéros au kilomètre que des récits très personnels et expérimentaux (par exemple le très réussi Intersect Volume 1: Metamorph). L'histoire débute avec l'arrivée de l'inspecteur de la police des polices qui va servir de nouveau pour présenter le service de la Detailed Case Task Force. le lecteur bénéficie donc de cette présentation. le premier cas commence dès le premier épisode. le scénariste s'acquitte également dès le premier épisode de devoir situer cette équipe spéciale par rapport au superhéros omniprésent de Gotham, à savoir Batman. La narration s'inscrit plutôt dans le registre policier, avec une composante surnaturelle.
Le lecteur suit donc l'enquête de l'équipe : possession chez les Artwood, passage par un marais hanté (Slaughter Swamp), découverte de l'entité surnaturelle et de ses motivations. L'intrigue est bien construite, les motivations sont originales, et les autres superhéros ne s'invitent pas dans le récit. Fawkes présente les personnages en les individualisant avec efficacité. Il insère de brefs retours en arrière pour expliquer leurs liens entre eux, et justifier leur incorporation dans cette petite unité très spéciale. L'intrigue n'est pas très dense, les horreurs ne sont pas trop malsaines, mais le suspense est bien présent. le récit s'adresse à des adolescents ; il comprend assez de substance pour retenir l'attention d'adultes, et les dessins de Templesmith l'élèvent vers une narration originale et prenante, le bonifiant.
Toutefois un familier de l'univers partagé DC s'interroge dès le début sur le bienfondé d'avoir intégré Jim Corrigan dans l'équipe. Ce personnage est l'hôte d'une entité personnifiant la colère divine (voir par exemple Crimes and judgments de John Ostrander et Tom Mandrake). D'expérience, il s'avère très difficile pour les créateurs de trouver le bon dosage pour ses pouvoirs. Au fil des décennies, ce personnage a même acquis une réputation de deus ex machina bien pratique (il arrive au dernier moment et il résout tout), ou de gêneur qui doit être neutralisé dès le début du récit (pour éviter l'effet Deus ex machina). Dans leur version, John Ostrander et Tom Mandrake avaient admirablement résolu ce dilemme avec une approche élégante et efficace. Dès la première apparition du Spectre, le lecteur constate que Ray Fawkes n'a pas su aussi bien faire et que l'étendue des pouvoirs du Spectre est disproportionnée par rapport aux capacités des simples êtres humains qui composent l'unité de nuit.
De fait, dans sa première apparition, le Spectre retrouve sa fonction de Deus ex machina, et dans le combat final sa stature écrase celle des personnages au point de les rendre insignifiants. Fort heureusement l'interprétation graphique de Templesmith permet de limiter les dégâts.
Ce premier tome d'enquête de l'unité spécialisée dans les affaires surnaturelles offre le plaisir de voir Ben Templesmith donner son interprétation de l'univers partagé DC. Son approche graphique est toujours aussi personnelle et immersive, élevant la qualité du récit de plusieurs crans. Ray Fawkes imagine une enquête assez originale mais dont l'intérêt diminue à chaque apparition du Spectre, entité trop puissante qui neutralise une bonne partie du suspense.