Tout simplement excellent!
La vie de flic n’est pas simple à Gotham City. Protégée par un justicier taciturne, elle est la cible des pires criminels qui soient. C’est ce que vont apprendre à leurs dépends l’inspecteur Marcus Driver lorsque son partenaire est abattu par Mr Freeze, ou Renée Montoya lorsque son homosexualité est révélée au grand jour. (Contenu : Gotham Central #1-10)
Gotham Central est une lecture bien différente de ce que l’on peut lire en temps normal chez DC Comics. On est loin des lectures mainstream et pleine de super-héros, où l’action prédomine et où tout est fait pour attirer les lecteurs en masses. Le spectaculaire avant l’extraordinaire. Servie par des écrivains de talent, que dis-je, de génie avec Ed Brubaker et Greg Rucka, Gotham Central nous offre une lecture plus mature, plus adulte et écrite avec génie. Ici pas de super-héros tordant le métal ou stoppant un train à mains nues, non, nous retrouvons à l’honneur des gens comme vous et moi, des gens essayant de faire leur métier face à des choses pouvant dépasser leur imagination. Nous retrouvons des situations plus proches de notre quotidien. Le genre de récit qui peine à trouver un large public alors que c’est pourtant si bon.
Dans Gotham Central pas de Batman omniprésent, pas de super-héros pour attirer et attiser les foules. Non ! Ed Brubaker et Greg Rucka mettent la lumière sur des gens normaux et sans pouvoirs, sur des hommes et femmes qui se battent avec leurs moyens face à des super-vilains : les flics de Gotham. Il n’y a pas que Batman sui poursuit le Joker, qui combat Mister Freeze, qui traque Enigma. Non les policiers du commissariat de Gotham accomplissent les mêmes choses, mais eux n’agissent pas que la nuit. C’est une plongée dans leur univers que nous proposent les auteurs.
Notons que si Batman est quasiment absent de l’ouvrage, c’est aussi le cas de James Gordon, ayant pris sa retraite après avoir échappé à la mort de justesse. Nous suivons les équipes du capitaine Maggie Sawyer, fraîchement arrivée de Metropolis, et du lieutenant Ron Probson. Pas moins de seize inspecteurs œuvrent sous leurs ordres.
Le volume est divisé en « affaires ». La première est écrite à quatre mains par Rucka et Brubaker, ce dernier signant la deuxième seul et Greg Rucka s’occupant de la troisième. Le tout étant dessiné par Michael Lark.
La première affaire, « Dans l’Exercice de ses Fonctions », démarre par un drame ! Les inspecteurs Marcus Driver et Charlie Fields sont à la recherche d’une petite fille disparue. Un indic les dirige dans un appartement. Malheureusement le tuyau n’est pas bon et à la place de la petite fille ils y trouvent Freeze. L’inspecteur Fields ne ressortira pas vivant de cet appartement…
Si l’histoire n’est pas génialissime elle offre cependant un excellent point de départ pour cette série. Les auteurs nous présentent la plupart des personnages, et il y en a un sacré paquet. Leurs différents atomes crochus ou leurs divergences d’opinion nous sont également présentés. Malgré ce flux incessant d’informations, en peu de chapitres, cela est étonnamment digeste. C’est tellement bien écrit, tellement narré intelligemment que cela devient vite immersif.
Nous rentrons vraiment dans le vif du sujet avec la seconde affaire « Le Mobile », qui fait directement suite à la première affaire, où Marcus Driver refuse de prendre des congés après la perte de coéquipier. Il tient à continuer l’enquête sur la petite fille disparue. Mais cette enquête pour disparition se transforme, bien trop vite, en enquête pour meurtre ! Nous y découvrons un peu plus le travail des différents inspecteurs de Gotham, les motivations qu’ils peuvent avoir, les relations qui les lient entre eux. On comprend aussi, et surtout, que nous nous trouvons dans une série policière réaliste, ancrée dans notre réalité, presque que dans la vraie vie, si on enlève les « supers » qui gravitent autour, où les émotions sont intenses, les personnages secondaires nombreux, variés et riches. Brubaker excelle dans les dialogues à travers lesquels les inspecteurs arrivent à transmettre leurs émotions, leurs doutes, leurs certitudes ou encore leurs interrogations. Nous n’avons pas seulement l’impression d’assister à ces enquêtes mais de les vivre.
La troisième affaire, prenant la moitié du tome, « Pour Moitié », se concentre sur Renée Montoya. La jeune femme se retrouve avec l’inspection des services sur le dos pour un meurtre qu’elle nie avoir commis. Et comme si cela ne suffisait pas voilà qu’une photo la forçant à faire son coming-out est dévoilée en plein commissariat et même envoyée à ses parents…
Formidable travail de la part de Greg Rucka sur toutes les scènes d’interrogatoires, des huit-clos oppressants où tous les moyens sont bons pour faire craquer la présumée coupable. Mais Renée Montoya connaît toutes ces méthodes, tous ces moyens de pression. Elle refuse surtout de se poser en victime, elle est persuadée de son innocence et refuse de faciliter la tâche des inspecteurs.
L’autre gros point fort de cette histoire, pour moi, c’est son ancrage dans la réalité. Notamment à travers, ici, le fait d’aborder de grands sujets de sociétés, comme l’homosexualité dans cette histoire de Greg Rucka. Plus que le fait d’aborder ce sujet, c’est vraiment la façon dont Rucka aborde le coming-out de Renée. On sent toute la honte qu’elle éprouve à parler à ses parents. Une honte horrible qu’elle ne devrait pas avoir à ressentir ! Enfin dans un monde utopique… Et nous ressentons sa douleur tellement elle souffre d’être différente. Différente selon qui ? Selon quoi ? Différente de par l’hérésie archaïque de certaines personnes que nous devrions tous être les mêmes, selon leurs codes ? Comme le dit si bien Greg Rucka nous ne sommes pas tous blancs, chrétiens et hétérosexuels. Et c’est tant mieux ! C’est la diversité qui nous rend tous si intéressants, et c’est cette même diversité qui nous permet d’avoir de si bonnes histoires de comics. Surtout quand ces comics nous offrent de telles expériences, de telles histoires fortes, touchantes et si réalistes. De la diversité naît la richesse.
Un mot sur les dessins. Le dessinateur, Michael Lark, a beaucoup œuvré, a beaucoup travaillé sur cette série et cela se ressent, se voit ! Exemple le plus concret et flagrant avec les salles du commissariat nous paraissent familières très vite, selon l’angle de vue on sait inconsciemment où l’on se trouve comme si nous y travaillions nous-mêmes depuis des années. Les autres décors, les autres lieux d’enquêtes sont tous travaillés, ont tous leurs identités propres. Beaucoup de scènes de dialogues, et pourtant Michael Lark se renouvelle à chaque fois, nous offrant différents points de vue, différentes mises en scènes, toujours dans l’optique de nous offrir une série vivante, une série réaliste.
Bref, Gotham Central est une découverte qui nous marque, qui m’a marqué ! Le genre de lecture qui nous tient en haleine du début à la fin. Le temps n’a plus cours ! De nouveaux personnages, des personnages auxquels on ne s’intéresse d’habitude et qui pourtant ont tout autant d’importance que Batman ou les autres héros œuvrant à Gotham. Des personnages auxquels on se surprend à s’attacher. Ed Brubaker et Greg Rucka nous offre des histoires passionnantes et haletantes, menées par des intrigues dignes des plus grands séries policières, des plus grands polars. Une lecture mature et tellement intelligente dans sa narration, des dialogues vivants et prenants, des dessins rendant le tout encore davantage immersif.
Gotham Central est un achat obligatoire !